Malgré une progression d'environ 175 % en cinq ans, les titres industriels américains semblent toujours prometteurs, estiment les experts consultés par Les Affaires. Certaines actions canadiennes pourraient aussi profiter du phénomène de la «renaissance américaine».
Depuis de nombreuses années, le déclin de l'empire américain est attendu par les économistes, mais ne s'est toujours pas concrétisé. Au contraire, tel le phénix, l'industrie manufacturière des États-Unis renaît de ses cendres.
«À long terme, des coûts énergétiques plus faibles et l'inflation des salaires à l'échelle mondiale continuent de former le socle de la renaissance américaine», soutient Tobias Welo, gestionnaire de portefeuille sectoriel, de Fidelity Investments, dans un rapport sur le secteur industriel américain.
Les entreprises cherchent à rapatrier et à étendre leur capacité manufacturière au sud de la frontière. Un des derniers exemples en lice est la décision de la taïwanaise Foxconn, qui fabrique entre autres des iPhone en Chine, d'investir 40 millions de dollars américains dans des installations aux États-Unis.
«Après plus d'un quart de siècle de délocalisation de la production manufacturière vers les pays émergents, dont la Chine, on observe un certain désenchantement. Certains vont même jusqu'à parler de rapatrier la production manufacturière en sol américain, canadien et québécois», écrit dans ses perspectives François Dupuis, vice-président et économiste en chef de Desjardins Études économiques.
Si cette idée séduit et qu'elle a bonne presse, il est loin d'être évident qu'elle se matérialisera à grande échelle, soutient M. Dupuis.
Malgré certaines interrogations, plusieurs gestionnaires de portefeuille voient ce thème comme une occasion de placement incontournable, même s'il n'est pas nouveau. «Ce thème d'investissement demeure très prometteur. Peu d'investisseurs réalisent qu'il s'agit peut-être de la meilleure histoire de croissance du monde», a dit à Les Affaires Richard Bernstein, ancien stratège en chef de Merrill Lynch et actuel pdg de Richard Bernstein Advisors.
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Les États-Unis demeurent la locomotive du monde
«Nous pensons que l'économie américaine continuera d'être la locomotive du monde», dit Jean Duguay, vice-président placements chez Gestion de placements Eterna, à Québec. Le gestionnaire prévoit une croissance du PIB de l'ordre de 2 % à 3 % au cours des prochaines années.
Il y a de moins en moins de risques politiques, c'est-à-dire d'incertitudes liées au plafond de la dette américaine, un effet de richesse a été créé par la hausse des Bourses, l'immobilier s'est ressaisi et le déficit est en baisse grâce à une hausse de la consommation et à une réduction des dépenses, constate M. Duguay.
De plus, les coûts de la main-d'oeuvre américaine ont baissé en termes réels (sans impact de l'inflation). «Les salaires ont augmenté dans les pays émergents tandis qu'ils ont baissé aux États-Unis. L'écart de compétitivité s'est réduit, bien que les États-Unis et les pays émergents ne soient toujours pas au même niveau», dit Jean Duguay, qui n'anticipe aucune pression sur les salaires américains, car la confiance des ménages est en hausse et l'inflation stable.
«À long terme, l'économie américaine est très intéressante grâce à un accès privilégié aux richesses naturelles [gaz, pétrole, etc.] et une démographie favorable en raison d'une hausse de la population en âge de travailler attendue vers 2040-2045», affirme M. Duguay. Les États-Unis devraient être autosuffisants sur le plan énergétique vers 2025. «Historiquement, les pays qui ont eu de faibles coûts énergétiques ont toujours connu de la croissance.»
De son côté, Richard Bernstein dresse une analyse similaire de l'économie américaine. Plusieurs facteurs permettront au secteur manufacturier américain de gagner des parts de marché, selon l'expert. «Nos trois raisons principales restent les salaires et la productivité, les coûts énergétiques et la stabilité politique [des États-Unis].»
Richard Bernstein continue donc d'investir dans la renaissance américaine par l'intermédiaire de petites sociétés industrielles centrées sur les États-Unis et de petites institutions financières qui prêtent aux entreprises industrielles publiques ou privées, méconnues au Québec comme le fabricant d'une multitude de produits d'éclairage Acuity Brands (NY, AYI, 143,38 $ US).
Un géant de l'aérospatial dans la mire
Pour Jean Duguay, de Gestion de placements Eterna, les titres de Precision Castparts (NY, PCP, 255,29 $ US) et d'Emerson Electric (NY, EMR, 65,26 $ US) semblent bien positionnés pour profiter du phénomène.
Precision Castparts, qui avait acheté en juillet 2012 une division de la longueuilloise Héroux-Devtek, fabrique des moules en métal utilisés dans les secteurs industriel, aérospatial, de la défense et de l'automobile. Des 23 analystes sondés par Bloomberg, 20 recommandent l'achat du titre et 3 suggèrent de le conserver. Le cours cible moyen des analystes est de 298,53 $ US, soit un potentiel d'appréciation d'environ 17 % à la fin de 2014.
Brian Jacoby et Lauren Dai, analystes de Goldman Sachs, estiment que le titre de la société de l'Oregon, surperformera la moyenne de son secteur. «Nous aimons particulièrement la solidité du bilan de l'entreprise et son importante exposition au marché en croissance de l'aérospatiale commerciale», écrivent-ils dans leur rapport. Le taux d'endettement (dette/capital) de l'entreprise n'était que de 28 % en 2013 et est attendu en baisse à 24,4 % à la fin de l'année.
Toutefois, les ventes du troisième trimestre et le bénéfice par action de l'entreprise ont raté les attentes des analystes, «mettant en relief les inquiétudes qui se sont accumulées au fil des trimestres quant à la progression des bénéfices», rapporte Joseph Nadol, analyste de J.P. Morgan. La croissance interne des ventes est décevante, juge l'analyste qui a ramené sa cible à 288 $ US par rapport à 295 $ US précédemment.
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Un champion du dividende
Quant à Emerson Electric, l'entreprise fournit une vaste gamme de services d'ingénierie aux secteurs industriels et commerciaux. Parmi les 29 analystes qui suivent le titre, 10 conseillent de l'acheter tandis que les 19 autres préconisent de le conserver. Le cours cible moyen est de 72,38 $ US, soit une hausse prévue d'environ 12 %.
La société du Missouri s'est construit une solide réputation en différenciant sa technologie et en possédant des produits vedettes sur certains marchés, note Stephen Tusa, analyste de J.P. Morgan. L'entreprise est donc perçue par la banque américaine «comme l'une des franchises les plus solides» qu'elle couvre.
Néanmoins, les derniers bénéfices ont loupé la cible. Les marges, déjà élevées, ont un potentiel de hausse limité, écrit Stephen Tusa. J.P. Morgan recommande donc de conserver le titre et établit un cours cible de 72 $ US. Emerson est une société modèle au chapitre du dividende, selon Value Line. L'entreprise vient encore de le bonifier ; elle vise à procurer un rendement de 2 % à 4 %.
Des entreprises canadiennes qui peuvent y gagner
Bien que le phénomène de «renaissance» soit largement observé au sud de la frontière, il n'a pas encore beaucoup attiré l'attention des investisseurs au Canada. Pourtant, certaines sociétés du pays pourraient profiter du renouveau manufacturier aux États-Unis, estiment les experts consultés.
«Les entreprises canadiennes sont souvent en concurrence avec les manufacturiers américains», remarque Benoit Brillon, chef des placements et représentant-conseil chez Gestion de portefeuille Landry. Les titres américains s'étant plus appréciés que leurs équivalents canadiens, «il pourrait donc y avoir un retour cyclique». Les vendeurs de machineries industrielles et les firmes d'ingénierie du pays pourraient profiter de ce phénomène, dit-il.
En effet, tandis que l'indice Industrial Select Sector, qui représente les titres industriels du S&P 500, a enregistré une hausse de 174 % au cours des cinq dernières années, son homologue canadien, le sous-indice industriel du S&P/TSX, a gagné 158 %, soit un différentiel de rendement annualisé de 1,46 % (22,33 % par rapport à 20,87 %).
Pour Martin Roberge, stratège quantitatif de Canaccord Genuity, le sous-secteur de la machinerie est à privilégier. «La dernière "Enquête sur les perspectives des entreprises" de la Banque du Canada confirme notre conviction que les dépenses en machinerie et équipement vont s'améliorer», note-t-il dans une lettre à ses clients.
Néanmoins, le cycle du secteur canadien des machines est à un stade très précoce, «probablement au stade de l'aérospatiale l'an passé», dit M. Roberge. Par conséquent, Canaccord Genuity plébiscite pour le moment l'action du plus gros distributeur de produits Caterpillar du monde, Finning International (Tor., FTT, 30,16 $), qui devrait profiter de la demande en hausse d'équipements, notamment miniers.
En janvier 2012, Finning a acheté les droits de distribution du spécialiste de l'équipement minier Bucyrus. Son chiffre d'affaires a atteint un record de 6,8 milliards de dollars en 2013, en hausse de 3 % sur un an. Onze analystes sondés par Bloomberg recommandent d'acheter le titre, tandis que deux conseillent de le conserver. Le cours cible moyen est de 32,95 $, soit un potentiel d'appréciation d'environ 11 %.
L'action d'AirBoss of America (Tor., BOS, 8,25 $) recèle aussi du potentiel, pense Ben Jekic, analyste, produits industriels, de l'Industrielle Alliance. L'entreprise développe des produits en caoutchouc pour les secteurs du transport, de la défense et de l'industrie. Elle devrait profiter du regain de santé du secteur manufacturier américain et de la hausse du billet vert. «AirBoss génère environ 70 % de ses revenus aux États-Unis et dispose d'importantes usines manufacturières au sud de la frontière.»
Comme la majorité de ses revenus proviennent des États-Unis et que ses coûts de main-d'oeuvre sont libellés en dollars canadiens, chaque cent gagné par l'aigle américain face au huard devrait entraîner une hausse de son bénéfice comprise entre 250 000 $ US et 300 000 $ US (environ 1 ¢ US par action), estime Ben Jekic. Les trois analystes qui suivent le titre d'AirBoss of America recommandent à l'unanimité de l'acheter, ciblant un cours moyen de 10,28 $, soit une hausse espérée d'environ 16 %.
Stantec en bonne posture
Ben Jekic pense aussi que le foreur Major Drilling (Tor., MDI, 8,86 $), qui opère entre autres au Canada et aux États-Unis, est bien placé pour tirer indirectement partie de la renaissance américaine et de la hausse de la demande de métaux et autres matières premières qu'elle engendre. Toutefois, l'analyste a abaissé sa cible à 7 $ contre 7,75 $ précédemment, en raison d'une «faible visibilité» à court terme. M. Jekic maintient tout de même sa recommandation de conserver l'action. La société est plus risquée, mais elle détient une encaisse nette de 48,5 M$ US.
Enfin, la firme d'ingénierie Stantec (Tor., STN, 67,85 $) pourrait aussi bénéficier de ce phénomène, dit Jean Duguay d'Eterna. En effet, l'entreprise d'Edmonton offre ses services à des clients des secteurs public et privé dans divers marchés, dont la construction, le transport et l'industrie en Amérique du Nord et partout dans le monde. Environ 40 % de ses revenus proviennent des États-Unis. Des 16 analystes interrogés par Bloomberg, 9 recommandent l'achat du titre. Le cours cible moyen est de 72,36 $. Stantec vient de relever son dividende trimestriel de 12 %.
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