La hausse des marchés et le retour des investisseurs sur le marché des fonds communs sont de bon augure pour les fournisseurs de l'industrie. Mais après cinq ans d'appréciation et des records pour les Bourses, il vaut mieux être plus prudent et plus sélectif. Surtout quand on sait que les autorités de réglementation pourraient éliminer en 2015 les commissions de suivi versées par les fournisseurs aux conseillers indépendants qui vendent leurs produits.
Durant l'âge d'or des fonds communs, pendant les années 1980 et 1990, les financiers disaient parfois privément que les investisseurs feraient mieux d'acheter les titres des sociétés de fonds que leurs produits.
Avec des marges d'exploitation de 50 % pour la Société financière IGM et de 47,4 % pour CI Financial, la boutade a du sérieux.
Cette industrie bénéficie de l'appréciation naturelle des actifs financiers à très long terme et des besoins d'enrichissement de l'énorme cohorte de baby-boomers.
La gestion de fonds communs ou de fortunes privées requiert peu de capital. Les fournisseurs ont donc les moyens de verser de bons dividendes et de racheter leurs actions pour donner du rendement à leurs actionnaires, peu importe la conjoncture des marchés, indique Dom Grestoni, gestionnaire du Fonds de dividendes Groupe Investors.
CI Financial verse aujourd'hui un dividende annuel de 1,20 $, l'équivalent de son cours ajusté de 1,37 $ à son entrée en Bourse en juin 1994.
Pas étonnant, donc, que les principaux amateurs de ces titres soient d'autres gestionnaires de fonds, dit Steve Belisle, gestionnaire chez Investissements Standard Life.
Ces titres se retrouvent surtout dans les fonds de dividendes.
«Tous les titres à dividendes sont chèrement évalués, mais je préfère un titre comme celui de CI à celui d'Enbridge, par exemple, qui se négocie à un multiple très élevé de 20 fois ses bénéfices, qui procure un rendement de dividende inférieur et qui croît peu», explique M. Grestoni, le vétéran qui part à la retraite après 37 ans chez Investors.
La concurrence des grandes banques et des fonds négociés en Bourse, tout comme les pressions de la réglementation, compriment déjà les marges, mais l'industrie reste très rentable, ajoute-t-il.
Deux petits bémols
Steve Belisle recommande aux investisseurs de ne pas se laisser emballer par la hausse récente des ventes de fonds d'actions ni par les records boursiers. «Les fournisseurs ne verront pas la hausse habituelle des marges qu'ils ont connue par le passé.»
Le gestionnaire de Standard Life ne voit pas non plus de cibles d'acquisition intéressantes à se mettre sous la dent à bon prix, qui propulseraient à la hausse les perspectives des acquéreurs. Les banques, les assureurs-vie, les gestionnaires de fortunes privées et les fournisseurs de fonds communs se disent tous en mode acquisition.
Les gestionnaires de portefeuille n'ont pas fini de s'apprécier, croit pour sa part Martin Roberge, de Canaccord Genuity. Principale raison : le retour de l'appétit du risque qui accompagne les sommets boursiers encore tout frais.
Puisque ces titres n'ont pas pleinement profité de la hausse boursière de 2014 , leur évaluation est redevenue plus abordable, selon lui.
Dans l'industrie financière, M. Roberge préfère les titres des gestionnaires de fonds communs à ceux des banques et des fonds immobiliers à capital fermé (FPI), dans sa stratégie sectorielle.
«Le retour des investisseurs aux actions ne fait que commencer. Or, les fonds d'actions procurent des honoraires plus élevés à leurs gestionnaires que les fonds d'obligations, plus populaires depuis 2009», explique-t-il.
Il est vrai que les cours des gestionnaires de fonds fluctuent en fonction des marchés, mais c'est ce que M. Roberge recherche justement. Leur rendement de dividende moyen de 4 % est aussi très attrayant.
1 GLUSKIN SHEFF + ASSOCIATES
Une première acquisition prometteuse pour la boutique indépendante
La boutique de gestion de fortunes privées Gluskin Sheff (Tor., GS, 32,27 $), mieux connue pour son savoir-faire dans la gestion de titres à revenu fixe, vient de conclure une première acquisition.
L'achat du gestionnaire Blair Franklin Asset Management de Toronto pour 72 M$ est prometteur. Quatre des six analystes consultés estiment que Gluskin Sheff mérite une nouvelle recommandation d'achat et un meilleur cours cible.
À première vue, l'acquisition paraît très chèrement payée, dit Graham Ryding, de Valeurs mobilières TD. Elle l'est toutefois moins quand on sait que les honoraires de performance que récolte Blair Franklin, lorsque ses fonds surpassent certains niveaux de rendement, lui procurent la moitié de son bénéfice d'exploitation.
«Les fonds de Blair affichent une bonne performance et ses produits mondiaux de revenu fixe sont complémentaires aux produits canadiens de Gluskin Sheff», explique l'analyste.
Les honoraires récoltés pour la gestion des 625 M$ d'actif de Blair Franklin devraient ajouter 3 % au bénéfice de 2015 et 5 % à celui de 2016 de Gluskin Sheff.
M. Ryding augmente son cours cible de 35 à 37 $, pour un gain potentiel de 20 %.
«Les bienfaits stratégiques de la transaction vont bien au-delà de la contribution immédiate aux bénéfices. Gluskin achète de la qualité. Les produits de Blair l'aideront à proposer à ses clients des solutions recherchées dans un contexte de hausse des taux», explique Paul Holden, de Marchés mondiaux CIBC.
Le chef des placements de Blair, Peter Zaltz, prendra aussi en charge la gestion des revenus fixes chez Gluskin.
M. Holden bonifie son cours cible de 1 $ à 35,50 $.
Quatre autres analystes maintiennent leurs cours cibles de 33-34 $, car ils attendent de voir comment Gluskin Sheff saura intégrer une première acquisition et vendre ses fonds canadiens de revenu fixe aux 200 clients de Blair Franklin et vice versa.
«Surtout qu'après avoir plus que doublé depuis juin 2012, l'action de Gluskin Sheff s'échange déjà à une évaluation supérieure à sa moyenne depuis 10 ans à un moment où ses honoraires de performance sont appelés à se modérer», indique Shubha Khan, de la Financière Banque Nationale.
Gluskin verse un dividende régulier, de 0,80 $ l'action par année et distribue aussi périodiquement un dividende spécial à même ses primes liées au rendement.
Fred Westra, de Valeurs mobilières Industrielle Alliance, prévoit un gain potentiel de 16 à 34 $, plus un dividende régulier de 2,7 % et un dividende spécial de 4,8 %
À long terme, la société est elle-même perçue comme une cible d'achat, après l'élimination en 2013 des actions à droits de vote multiples.
2 SOCIÉTÉ FINANCIÈRE IGM
La doyenne prend du mieux
Le gestionnaire, mieux connu pour ses fonds Investors, plaît à certains analystes pour d'autres raisons que celles des favorites CI et Gluskin.
Le titre de Société financière IGM (Tor., IGM, 51,03 $)est peu chèrement évalué alors que les ventes de ses fonds s'améliorent depuis plusieurs trimestres, dit Geoffrey Kwan, de RBC Marchés des capitaux.
De meilleures ventes de fonds chez Investors et Mackenzie devraient stimuler ses bénéfices et revaloriser son titre en Bourse au cours des deux prochaines années, prévoit M. Kwan, qui fixe son cours cible à 62 $.
Sa filiale Corporation financière Mackenzie est près d'un revirement, grâce à des ventes institutionnelles positives pour trois des cinq derniers trimestres.
Au premier trimestre de 2014, Mackenzie a aussi connu ses meilleures ventes de fonds depuis 2006, grâce au nouvel intérêt des investisseurs pour les actions étrangères et à la vente de fonds Mackenzie par la Banque Laurentienne, indique Phil Hardie, de Banque Scotia.
«Un revirement durable des ventes de Mackenzie serait un important élément déclencheur pour l'action d'IGM», croit-il.
Pour l'instant, M. Hardie fixe sa cible à 59 $, mais se tient prêt à l'augmenter si la hausse des ventes de fonds permet à IGM d'exploiter son levier de rentabilité comme prévu.
À son avis, les affaires s'améliorent suffisamment pour que IGM augmente son dividende plus tard en 2014, pour la première fois depuis 2012. M. Kwan mise sur une hausse de 4 % à la fin de 2014, tandis que Scott Chan, analyste chez Canaccord Genuity, est plus généreux, avec une augmentation prévue de 5,6 %.
3 FINANCIÈRE POWER
Un choix peu cher et plus diversifié
Gaelen Morphet, gestionnaire chez Empire Vie, préfère un titre financier plus diversifié pour participer indirectement à l'industrie des fonds.
Celui de la Financière Power (Tor., PWF, 35,07 $), à la fois actionnaire de la Société financière IGM et du deuxième assureur-vie canadien Great-West, lui semble tout indiqué.
«En raison de l'étendue de ses activités, l'entreprise offre un profil plus stable dans le temps», dit-elle.
En plus, son action est une des moins chèrement évaluées du secteur financier canadien, ce qui procure une marge de sécurité pour parer aux éventualités.
Mme Morphet estime qu'au cours actuel, son titre est 21 % moins cher que sa valeur intrinsèque de 43 $.
«Pour une entreprise aussi bien gérée, qui a un rendement de l'avoir de 16 % depuis 10 ans et un dividende qui procure un rendement de 4,2 %, c'est une proposition très attrayante», précise-t-elle.
La Financière Power est aussi dans le portefeuille de Dom Grestoni, d'Investors. Il a bon espoir que la société de la famille Desmarais augmente à nouveau son dividende pour la première fois depuis la crise, maintenant que les ventes s'améliorent chez IGM et que Great-West a renforcé son capital de base.
«La famille Desmarais est toutefois bien plus patiente que la majorité des autres actionnaires», reconnaît-il.
La Financière Power est aussi un pari bien indirect sur le redressement promis du gestionnaire de fonds américain de Great-West, Putnam, qui n'est toujours pas rentable sept après son acquisition, malgré un actif en gestion de 154 milliards de dollars américains (G$ US).
4 CI Financial
La première de classe
CI Financial (Tor., CIX, 35,63 $) est le titre favori des gestionnaires de portefeuille et des analystes pour son parcours de croissance rentable, ses dividendes croissants, ses rachats d'actions et ses acquisitions.
Entre 2008 et 2012, CI a racheté 10 % de ses actions en circulation, y consacrant 338 millions de dollars (M$).
«Grâce à des ventes nettes de fonds qui équivalent à 4 % de son actif, CI affiche aussi la meilleure croissance interne», dit M. Belisle.
Considérée plus efficace que ses semblables, la société est aussi en bonne posture pour combattre les pressions qu'exercent la concurrence et les autorités réglementaires sur les frais des fonds et les marges.
«C'est une entreprise bien gérée, dans une bonne industrie, qui accroît ses bénéfices avec beaucoup de régularité. On peut miser sur un rendement total minimum de 6 à 8 %, dont la moitié provient du dividende», explique Dom Grestoni, d'Investors.
Récemment affranchie de la Banque Scotia, qui a vendu son bloc d'actions de 37 %, CI reprend le contrôle de sa destinée pour la première fois depuis 2002, croit Doug Young, de Desjardins Marché des capitaux.
Déjà, CI a ravivé son programme de rachat d'actions, peu actif depuis 2012. L'entreprise pourrait emprunter pour racheter jusqu'à 9 % de ses actions d'ici 12 mois, pour 700 M$, prévoit John Aiken, de Barclays. Un tel rachat ajouterait 4 % à son bénéfice de 2015, estime-t-il.
M. Young prévoit aussi une hausse du dividende de 5 % au deuxième semestre de 2014 et de 11 % en 2015.
La performance de CI a toutefois un coût : son action est 16 % plus chèrement évaluée que celles de ses semblables.
Les acquisitions ont toujours fait partie de sa stratégie. CI convoite surtout de petits gestionnaires, comme Marret Asset Management, un spécialiste des titres à revenu fixe de Toronto, dont elle a acheté 65 % des actions en novembre 2013.
CI rentabilise ses achats notamment en confiant la gestion de fonds existants au nouveau gestionnaire et en lançant de fonds grâce au savoir-faire acquis.