Au cours des dernières semaines, nous avons vécu la période de la publication des résultats financiers du trimestre qui s'est terminé le 30 septembre. Un constat me saute aux yeux à la lecture de certains d'entre eux : plusieurs mégaentreprises américaines, les blue chips [sociétés de premier ordre] des blue chips, semblent connaître de sérieux problèmes de croissance.Si le plus récent trimestre a été difficile sur le plan de la croissance pour ces entreprises, le phénomène n'est toutefois pas récent. Par exemple, selon Value Line, les revenus de Coca-Cola stagnent depuis 2011 : ils sont passés de 46,6 milliards de dollars américains cette année-là à 46,9 G$ US en 2013. Les analystes prévoient maintenant des revenus de 45,2 G$ US en 2014 et de 45,9 G$ US en 2015, ce qui se traduirait par un taux de croissance annuel composé de - 0,4 %.
Quant à IBM, ses revenus ont reculé depuis 10 ans. En 2004, ceux-ci s'élevaient à 96,3 G$, tandis que les analystes prévoient en moyenne des revenus de 94 G$ US en 2014 et de 90,1 G$ US en 2015. La société a toutefois réussi à faire un virage majeur en laissant aller une part importante de ses activités de fabrication d'équipements pour se positionner dans le segment des services. Ce remaniement lui a permis d'augmenter ses marges bénéficiaires après impôts pour les faire passer de 9,0 % en 2004 à près de 17 % en 2014.
Le risque de se cannibaliser
Coca-Cola domine le segment des boissons gazeuses, et son produit vedette (Coke) lui procure probablement des marges bénéficiaires beaucoup plus élevées que ses autres produits tels que les jus ou l'eau. La direction est donc face à un dilemme. Doit-elle favoriser les produits santé qui font l'objet d'une demande croissante aux dépens de son produit phare ?
Et comment IBM pourra-t-elle composer avec les importants changements technologiques qui ont cours, notamment l'infonuagique, sans cannibaliser ses ventes de logiciels et ses revenus provenant de services aux entreprises ?
C'est aussi dans ce contexte que Procter & Gamble compte se départir de près de la moitié de ses marques de commerce d'ici quelques années afin de fouetter la croissance de ses revenus à long terme.
Privilégier les petites blue chips ?
Ce constat ne fait pas nécessairement de ces titres de mauvais placements. Ces sociétés peuvent créer de la valeur pour leurs actionnaires s'ils se débarrassent de certaines activités moins rentables et investissent dans celles qui ont plus de potentiel (comme IBM), rachètent beaucoup d'actions ou diminuent leurs dépenses. C'est encore plus vrai s'ils achètent ces titres à des ratios d'évaluation relativement bas. Le titre d'IBM se négocie à moins de 10 fois les profits prévus.
Par contre, à mon avis, une entreprise qui ne réussit pas à faire croître ses revenus à un rythme intéressant ne représente pas un placement spécialement attrayant pour un investisseur en quête d'une appréciation à long terme.
En revanche, en tant qu'investisseur, j'apprécie particulièrement les qualités des mégaentreprises. Elles dominent généralement leur marché, sont très diversifiées, tant par leurs sources de revenus que géographiquement, et elles jouissent d'avantages concurrentiels importants. Compte tenu de son pouvoir d'achat exceptionnel, il est difficile d'égaler les prix offerts par Wal-Mart. Le réseau de distribution mondial de Coca-Cola serait très difficile à reproduire. Les titres de ces géants sont donc peu risqués. En prime, ils offrent également un dividende intéressant qui est appelé à augmenter au fil des ans.
Il est toutefois possible d'investir dans des entreprises dont la taille est importante, mais sensiblement moins grande que celle des méga-blue chips. Selon moi, ces entreprises jouissent des mêmes avantages concurrentiels tout en présentant un plus fort potentiel de croissance à long terme. Si vous investissez dans une société de biens de consommation de base telle que Procter & Gamble, peut-être serait-il avantageux de jeter votre dévolu sur son concurrent plus petit qu'est Colgate-Palmolive. Les revenus du fabricant de dentifrice devraient atteindre près de 17,5 G$ US en 2014, un montant considérable mais loin des revenus de P&G (83,5 G$ US prévus pour l'exercice qui prendra fin en juin 2015). L'avantage d'investir dans une société comme Colgate est que cette dernière est très concentrée. En effet, la grande majorité de ses revenus provient de la vente de dentifrices et de brosses à dents, alors que P&G est hyper-diversifiée et que, même si certains de ses segments sont en croissance, d'autres ne le sont pas.
Enfin, plutôt que d'investir dans Wal-Mart, pourquoi ne pas prendre en considération TJX Companies ou Dollarama qui sont de grandes sociétés du secteur de la vente au détail, mais dont les revenus ne représentent qu'une fraction de ceux de Wal-Mart ?
Même si le titre d'un méga-blue chip n'est pas un mauvais placement, surtout si on l'achète à un faible ratio d'évaluation, j'estime que la plupart de ces grandes entreprises risquent de connaître de sérieux défis de croissance au cours des prochaines années. Mieux vaut se tourner vers des blue chips de moindre envergure qui jouissent d'un plus grand potentiel de croissance à long terme.
COTE 100 détient des actions de Colgate et de TJX dans divers portefeuilles sous sa gestion.
17 %: Le positionnement d’IBM dans le créneau des services lui a permis de faire passer sa marge bénéficiaire de 9 %, en 2004, à près de 17 % en 2014.
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100.