C'est un euphémisme de dire que le marché avait perdu confiance dans la direction de Bombardier. Son nouveau patron, Alain Bellemare, devra user de tout son talent pour convaincre analystes, investisseurs institutionnels, journalistes financiers et actionnaires qu'après plusieurs trimestres à la renverse, l'heure est aux changements durables susceptibles d'entraîner des résultats positifs pour Bombardier et ses actionnaires.
Le nouvel homme fort de Bombardier jouit d'une bonne réputation dans l'industrie. Et chacun s'entend pour dire que la mission qu'il a accepté de faire sienne revêt quelque chose de titanesque. En l'absence d'un druide capable de lui concocter une potion magique, voici quelques pistes aptes à orienter ses prochaines actions.
1. Réduire les attentes
Rapidement, Alain Bellemare devra rétablir les attentes, autant du marché que de l'industrie, en particulier des clients et des fournisseurs. Robert Spingarn, analyste de Credit Suisse, s'attend à ce qu'Alain Bellemare doive encore réduire les attentes déjà peu élevées pour l'exercice 2015. On prévoit que ce geste survienne rapidement, à l'occasion soit de la réunion avec les investisseurs du 11 mars, soit de la publication des résultats du premier trimestre de 2015 (clos le 31 mars), prévue le 7 mai 2015.
2. Dissiper les inquiétudes à propos des liquidités
L'entreprise a une bonne encaisse (plus de 2,4 G$ US) et des lignes de crédit non utilisées (1,4 G$ US), mais ces capitaux sont assortis de certaines conditions. Elle a besoin de plus de capital pour compléter ses programmes de développement des Global 7000 et 8000 et du CSeries. Celui du Learjet 85 a été suspendu.
Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, s'attend à ce qu'Alain Bellemare agisse rapidement, malgré les 25 mois qu'il s'est alloués pour réaliser son plan. La situation financière de Bombardier préoccupe, et à mesure que le temps passe, plus de clients et d'investisseurs sont susceptibles de perdre confiance dans la capacité du géant montréalais de relever la tête et de poursuivre son développement. Desjardins s'attend à ce que l'entreprise conclut son financement par action (600 M$) au cours du premier trimestre de 2015 et parvienne à accroître sa capacité de crédit de 1,5 G$ US (dette à long terme) au cours du deuxième trimestre de 2015.
3. Clarifier le plan
Que fera exactement Bombardier des nouvelles facilités de crédit de 2,1 G$ US qu'elle a annoncé vouloir obtenir il y a une semaine ? Une partie devrait servir à refinancer une dette de 750 M$ venant à échéance en 2016, mais le reste n'est pas clair. La direction a parlé de la possibilité que « certaines activités d'affaires participent au regroupement qui s'opère au sein de l'industrie, afin de réduire sa dette ». Il fallait être à l'écoute de l'a ppel conférence du 12 février dernier pour comprendre à quel point cette phrase, doublée de vagues explications de la direction, a laissé les analystes pantois. Si les uns ont conclu que l'entreprise chercherait à vendre certaines de ses activités, jugées moins stratégiques, d'autres ont déduit que l'entreprise flirtait au contraire avec l'idée d'en acquérir de nouvelles. Une situation somme toute peu conciliable, a souligné Robert Spingarn, avec l'objectif de réduire sa dette.
4. Fusionner, vendre ou faire taire les rumeurs
Les rumeurs vont bon train quant aux différentes possibilités que pourrait embrasser Bombardier pour permettre l'entrée de nouveaux capitaux et diminuer son endettement. En conférence téléphonique, Pierre Beaudoin, l'ex-pdg devenu président du conseil d'administration en remplacement de son père, Laurent Beaudoin, a laissé les portes ouvertes en disant vouloir explorer toutes les possibilités de partenariat ou de vente d'unités d'affaires.
Le mois dernier, Bombardier a vendu ses activités de formation dans le secteur de l'aviation militaire à CAE pour 19,8 M$. En septembre 2013, Bombardier avait cédé Flexjet, une filiale spécialisée dans la multipropriété d'avions et le courtage de vols nolisés à Directional Aviation Capital pour 5,2 G$. Et 10 ans plus tôt, Bombardier avait vendu, pour 1 G$, sa division de produits récréatifs à la famille Beaudoin, à Bain Capital et à la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Le même scénario pourrait se reproduire. Steve Hansen, analyste chez Raymond James, suggère que la direction profite de la réflexion en cours pour passer au peigne fin chacune de ses plateformes de fabrication et décider de celles qui doivent être conservées.
Fadi Chamoun, de BMO Marché des capitaux, estime que Bombardier a de toute manière un portefeuille de produits déjà trop étendu et qu'une minorité d'entre eux (Global et Challenger) sont réellement rentables. La vente partielle ou totale des activités de fabrication de Learjet à Embraer ou Textron continue de faire couler de l'encre, à l'instar d'ailleurs d'un partenariat avec une société chinoise pour le CSeries.
L'analyste Benoit Poirier croit à ce dernier scénario, estimant qu'en plus du CSeries, un tel partenariat pourrait aussi englober les appareils Q400. Un partenariat dans la division Transport serait également plausible, à son avis, avec des rivaux de second rang comme General Electric, Kawasaki et CAF, afin de mieux concurrencer les constructeurs chinois CSR et CNR, nouvellement fusionnés en CRRC Corp.
5. Faire redécoller les ventes du CSeries
Alain Bellemare devra trouver le moyen de faire gonfler les ventes du programme CSeries. Avec 243 commandes fermes, le programme tarde à atteindre les 300 commandes promises pour l'entrée en service, toujours prévue pour le deuxième semestre de 2015. Chaque report de service fait perdre au transporteur de précieuses ventes au profit d'Airbus et de Boeing qui ont choisi en attendant de ne lui faire aucun cadeau.
En plus de vite remettre de l'ordre dans l'équipe de vente des avions commerciaux, qui a vu partir deux patrons depuis un peu plus d'un an, des analystes suggèrent que Bombardier se montre plus agressive à l'égard de la concurrence, quitte à assouplir sa grille de prix. Selon Fadi Chamoun, ce changement de stratégie pourrait au moins lui permettre de conclure de nouvelles ventes, ce qui augmenterait la confiance des clients, actionnaires et autres observateurs et, par ricochet, la valeur de son titre en Bourse durement touchée au cours de la dernière année. Depuis un an, son titre a perdu près de 30 % de sa valeur.
6. Accroître les marges bénéficiaires
En janvier, Bombardier avait révisé à la baisse les marges bénéficiaires avant impôts, intérêts et amortissement de sa division aéronautique, les faisant passer de 5 % à 4 %, et celles de sa division ferroviaire, les ramenant de 6 à 5 % pour 2014.
Alors que la division Transport pourrait maintenir ses marges (entre 5 et 6 %) et sensiblement les augmenter au cours des prochaines années, la division Aéronautique préoccupe davantage. L'analyste de la Scotia, Turan Quettawala, s'attend à ce que la marge de la division diminue de plus belle, à 3,8 % en 2015 et encore à 3,2 % en 2016, et cela, malgré les bénéfices liés au taux de change et à l'amélioration des conditions dans l'aviation d'affaires. Les investisseurs aimeraient certainement que 2015 marque la fin de l'érosion des marges et signale un début d'amélioration pour l'année suivante.
7. Rehausser l'image publique
En dépit de toute sa volonté, Bombardier n'est pas à l'abri d'autres pépins ou erreurs de parcours. Advenant l'échec de sa stratégie, des médias ont commencé à souligner qu'il ne fallait pas exclure le fait que l'entreprise puisse, pour se maintenir à flot, demander une aide spéciale des gouvernements du Québec et du Canada. Un peu comme l'industrie automobile (Chrysler et GM) qui, au plus fort de la dernière crise, a pu profiter d'un prêt de 13,7 G$ d'Ottawa et de Toronto.
Dans un tel contexte, M. Bellemare aurait sans doute avantage à recommencer à soigner l'image de marque de Bombardier auprès de la population afin de s'assurer d'obtenir en retour, au besoin, un minimum d'empathie des représentants politiques. L'utilisation de paradis fiscaux, son nom cité dans les médias lors d'enquêtes sur des pratiques commerciales, le retard de livraison des wagons du métro de Montréal et des mises à pied successives sont des éléments qui, au cours des derniers mois, ont eu pour effet de ternir l'image de l'entreprise et, ce faisant, son capital de sympathie dans la population.