Les petites capitalisations américaines ont été rattrapées par leurs grandes soeurs. En juillet, l'indice Russell 2000 a effacé sa surperformance par rapport au S&P 500. Vaut-il la peine de miser sur un retour en force des petits coureurs ? Des experts nous présentent leurs analyses et nous suggèrent quelques entreprises susceptibles de bien finir à la ligne d'arrivée.
Deux tendances s'affrontent, ce qui fait en sorte qu'il est difficile de faire son pari, dit Phil Taller, vice-président et portefeuilliste chez Placements Mackenzie à Toronto. «Les petites capitalisations américaines tendent à mieux performer que les grandes sociétés lorsque l'économie américaine est vigoureuse», commente-t-il.
En fait, les sociétés du Russell 2000, l'indice phare des petites capitalisations américaines, tirent en moyenne 83 % de leurs revenus de l'Amérique du Nord, selon les données compilées par Bloomberg. Ce pourcentage tombe à 70 % pour les 500 plus grandes sociétés américaines (S&P 500).
La concentration américaine a donné un coup de pouce au Russell 2000 au cours de la première moitié de l'année. L'indice a affiché sa plus forte hausse semestrielle de début d'année depuis 2010. En juin, les achats du Fonds négocié en Bourse iShares Russell 2000 (NY., IWN) aux États-Unis ont atteint un sommet depuis septembre 2008. Au Canada, le iShares US Small Cap Index (Tor., XSU) reproduit le même indice, mais avec une protection contre le risque de devise.
Plus volatiles, les actions des petites capitalisations sont davantage secouées dans les périodes de volatilité, nuance cependant M. Taller. L'onde de choc provoquée par la débâcle de la Bourse de Shanghaï et la crainte d'un défaut de la Grèce ont alimenté cette volatilité. L'avance des petites capitalisations s'est ainsi évaporée en juillet. Désormais, la question sera de savoir laquelle des deux tendances contraires prédominera, résume le gestionnaire.
Croissance ou taux d'intérêt
Jonathan Golub, stratège en chef des marchés américains de RBC Marché des Capitaux à New York, croit que les petites capitalisations devraient reprendre les devants dans la course. «Les petites capitalisations sont plus chères, mais vous payez une prime modeste en comparaison du potentiel de croissance, explique l'expert en entrevue téléphonique. Pour les 12 prochains mois, le bénéfice des petites capitalisations devrait progresser de 11 %. Au cours de la même période, le rythme sera de 7 % pour les grandes capitalisations.»
Dubravko Lakos-Bujas, de Credit Suisse, s'attend lui aussi à ce que les bénéfices croissent beaucoup plus vite dans l'univers des petites capitalisations. De nombreux risques réduisent cependant leur attrait, affirme-t-il dans une note à ses clients. Parmi ceux-ci, il note que les petites capitalisations sont plus exposées à la dette à court terme, ce qui fait qu'elles seront plus touchées par une hausse des taux d'intérêt.
La hausse des taux pourrait représenter un risque si elle s'accompagne de trop de volatilité, ajoute M. Golub. «Maintenir les taux à 0 % voudrait dire qu'on ne peut pas faire fonctionner l'économie sans faire de prêt gratuit, nuance-t-il. Si la Fed réussit à augmenter graduellement les taux sans créer de trop grands mouvements, ce sera positif pour le marché, et encore plus pour les petites capitalisations.»
Six idées de petites capitalisations
Nous avons demandé à des gestionnaires de portefeuille de nous parler de leurs petites capitalisations favorites. Voici leurs six meilleures idées.
Une université privée chrétienne
L'université privée chrétienne Grand Canyon Education (Nasdaq, LOPE, 42,08 $ US) investit beaucoup d'argent afin de maintenir sa bonne réputation, et c'est payant pour ses actionnaires, affirme Owen Gibbons, gestionnaire de portefeuille spécialiste des petites capitalisations américaines chez Van Berkom et associés de Montréal.
«La société affiche un rendement des capitaux propres de 25 %, dit-il. Dans le marché, c'est très facile de trouver une société qui a une bonne marge bénéficiaire. C'est cependant beaucoup plus difficile de trouver une entreprise qui sera capable d'obtenir un rendement aussi élevé lorsqu'elle investit ses liquidités.»
Grand Canyon Education accueille près de 12 000 étudiants à son campus de Phoenix et donne des cours en ligne à 45 000 personnes. Son avantage concurrentiel est d'offrir des formations de qualité à moindre prix que les autres institutions dans la région, explique M. Gibbons. D'ailleurs, les options sont peu nombreuses dans le Sud-Ouest des États-Unis, ce qui limite la concurrence. «Il y a peu d'universités de qualité dans la région, précise-t-il. Il y en a en Californie, mais elles sont très chères.»
L'université peut compter sur de bonnes avenues de croissance. La direction estime que son campus pourra accueillir jusqu'à 20 000 étudiants, par rapport à 12 000 en ce moment. Elle pourrait aussi ouvrir un autre campus à Las Vegas ou à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. M. Gibbons anticipe une croissance annuelle du bénéfice qui pourrait se maintenir à environ 20 % pendant les cinq prochaines années.
Les huit analystes qui suivent le titre partagent l'optimisme du gestionnaire. Alexander Paris, de Barrington Research, note que le titre est le plus cher de son univers, à 16,5 fois les bénéfices 2015, mais le potentiel de croissance à moyen terme justifie cette évaluation, selon lui.
Un fabricant de véhicules de camping
Le constructeur de véhicules de camping Thor Industries (NY, THO, 56,00 $ US) profitera des départs massifs à la retraite des baby-boomers, croit Owen Gibbons.
Le propriétaire de 11 marques de véhicules récréatifs, dont Keystone RV Compagny, Heartland et CrossRoads, a de l'espace pour croître, estime M. Gibbons. En plus des baby-boomers qui auront plus de temps libre pour s'adonner aux joies du camping, il note qu'il y a près de 50 millions de ménages américains adeptes de cette activité. De ce nombre, seulement 10 millions possèdent un véhicule récréatif, ce qui laisse encore un grand bassin à «convertir». «La direction prévoit enregistrer une croissance annuelle de son bénéfice de 11 % à 12 % pendant encore cinq à sept ans», rapporte le gestionnaire. Peu d'acteurs se pointeront au portillon pour profiter de la manne. En fait, seulement trois entreprises se partagent plus de 80 % du marché.
Le gestionnaire aime également la structure de coût flexible de l'entreprise, qui génère un rendement des capitaux propres de près de 18 %. Les installations de Thor s'occupent de l'assemblage des véhicules, mais achètent les composantes chez des fournisseurs externes. Cette approche permet d'ajuster plus aisément la production en fonction de la demande. «Même durant la crise de 2008, Thor a réussi à générer un bénéfice, ajoute-t-il. On est passé près d'une perte, mais on est resté rentable.»
La majorité des analystes sont acheteurs du titre. Ils sont sept à émettre une recommandation d'achat et quatre à en émettre une «conserver». Celui-ci s'échange à 14,8 fois les bénéfices de 2015 et à 12,5 fois les bénéfices de 2016.
Le courtier de devises
Les déboires du franc suisse au début de l'année offrent une porte d'entrée dans le titre du courtier de devises FXCM (NY, FXCM, 0,96 $ US), croit Ed Lugo, gestionnaire de portefeuille chez Franklin Equity Group à New York. Le déclin de la devise suisse a passablement ébranlé le courtier. En janvier dernier, la Banque nationale suisse a décidé de mettre fin à une politique monétaire visant à limiter l'écart entre le franc suisse et l'euro. En une seule journée, la valeur du franc suisse est passée de 1,17 à 1,39 dollar canadien, un bond de 19 %.
Le contrecoup est immédiat pour FXCM. L'action perd près de 90 % de sa valeur, chutant de 16,65 à 1,60 $ en quelques jours. Normalement, la société, qui ne fait aucun pari sur les devises, résiste aux variations du marché. Ce sont les clients qui enregistrent des pertes ou des gains. Mais cette fois, un client important se trouve en situation de défaut, mettant ainsi FXCM sur la touche. Embourbé, le courtier est secouru par le conglomérat Leucadia (NY, LUK). «Tout ça pour dire que le titre est maintenant une aubaine et devrait valoir plus à long terme», assure M. Lugo.
Le gestionnaire de portefeuille ajoute que la société a un bon bilan, maintenant que Leucadia s'est portée à son secours en y injectant 300 millions de dollars américains. La société domine toujours son secteur.
Le choix de M. Lugo s'aligne sur sa stratégie, qui est de miser sur des entreprises sous-estimées par le marché. Le consensus des analystes est en effet très pessimiste. Sur six analystes, quatre émettent une recommandation «vendre», par rapport à une recommandation d'achat et une recommandation «conserver».
Ashley N. Serrao, de Credit Suisse, croit elle aussi que la société sera en mesure de se redresser, «mais cela prendra du temps», prévient-elle. Pour cette raison, elle conseille d'éviter le titre. Son cours cible est à 1,25 $ US.
Le constructeur de tout-terrain
Phil Taller, vice-président et portefeuilliste chez Placements Mackenzie, a rencontré la direction de Polaris Industries (NY, PII, 135,86 $ US) à Las Vegas, récemment. Il reste convaincu que le constructeur de véhicules hors route (véhicules tout-terrain, motoneiges, motos) reste une société «de grande qualité», malgré une erreur coûteuse.
La société a trop pressé le citron en voulant réduire ses coûts. Des consultants lui ont recommandé d'investir 41 M $ US dans un projet de remplacement de son système de peinture et de s'accorder une période d'essai de trois mois pour déceler les imperfections. L'entreprise a dépensé 31 M $ US et a fait une vérification de trois heures, a confié Scott Wine, le chef de la direction, lors d'une entrevue au Wall Street Journal à la fin de juillet. Le dirigeant dit ne pas avoir été mis au courant des recommandations du consultant. Le subalterne responsable ne serait plus à l'emploi de la société.
Résultat de la bourde, la chaîne de production est déficiente, la société peine à répondre à la demande et doit sous-traiter certains services. Corriger les erreurs lui coûteront au moins 20 M $ US. Le mea-culpa de la direction a convaincu M. Taller. «C'est une difficulté temporaire, et l'impact n'est pas considérable», note le portefeuilliste, qui voit une occasion d'acheter le titre.
La majorité des analystes partagent son avis. Ils sont 17 à recommander l'achat, par rapport à 5 qui suggèrent de le conserver.
Le transporteur aérien au rabais
Unique dans le marché américain, le transporteur aérien au rabais Spirit Airlines (Nasdaq, SAVE, 59,08 $ US) est sur la bonne voie pour accroître ses parts de marchés, estime Phil Taller, de Placements Mackenzie.
Le concept de Spirit Airlines est d'offrir des vols à moindre prix que les autres transporteurs en réduisant les services - et le confort - au minimum. À l'exception de quelques vols vers le Mexique ou les Caraïbes, la majorité des vols se font à l'intérieur des États-Unis.
Ce concept est bien établi en Europe avec des acteurs tels que Ryanair et EasyJet. Pour l'instant, Spirit Airlines fait figure d'exception dans l'espace aérien américain et ne représente que 2 à 3 % des parts de marché, explique M. Taller. «Ça donne des occasions pour augmenter les parts de marchés, notamment en attirant des voyageurs qui n'auraient pas pris l'avion auparavant.»
Grâce à ses coûts d'exploitation bas, Spirit Airlines est en mesure de se protéger de la concurrence. Les grandes compagnies aériennes n'ont pas la marge de manoeuvre pour rejoindre ses prix.
Même si les marchés ont tendance à être pessimistes en ce qui a trait aux compagnies aériennes, le consensus des analystes est tout de même favorable à Spirit Airlines. Parmi les 16 analystes qui suivent le titre, ils sont 11 à recommander de l'acheter, et quatre à émettre une recommandation «conserver». Un seul émet une recommandation «vendre». Le cours cible moyen est à 77,93 $ US.
Le chasseur de dettes
Les malheurs des uns offrent les occasions d'enrichissement des autres. Les perturbations économiques mondiales multiplient les cibles pour l'équipe d'Oaktree Capital Group (NY, OAK, 53,34 $ US), croit Ed Lugo, gestionnaire de portefeuille chez Franklin Equity Group à New York.
La firme de Los Angeles se spécialise dans les titres de dette d'émetteurs en difficulté. «Lorsque la valeur des obligations d'un secteur s'effondre, le rendement de leur distribution monte en flèche pour les nouveaux acheteurs, explique M. Lugo. Oaktree lève alors des capitaux privés pour tirer profit de ces occasions en créant un fonds.»
«La Grèce s'est effondrée, le secteur minier s'est effondré, le pétrole s'est effondré, la Bourse de Shanghaï s'est effondrée, énumère M. Lugo. Lorsque des situations comme celles-ci surviennent, cela ouvre la porte à un nouveau fonds qui générera d'autres frais de gestion - autrement dit, plus de revenus. Nous croyons donc qu'il s'agit d'un bon contexte pour acheter une société comme Oaktree.»
M. Lugo ne s'inquiète pas de voir la firme se tromper dans l'un de ses choix d'investissement. «Elle investit peu de son argent, explique-t-il. Ce sont les clients qui mettent leur argent à risque. Si l'un des fonds affiche un mauvais rendement, leurs frais de gestion diminueront, mais ils ne perdront pas nécessairement de l'argent.»
Les analystes sont partagés. Sur 10, ils sont six à émettre une recommandation d'achat et quatre à en émettre une «conserver».