On les appelle des châteaux forts. D'autres diraient que ce sont des entreprises qui ont un avantage concurrentiel durable. Leurs caractéristiques ? D'abord, elles sont rares. Ensuite, la plupart ont un bilan sain, possèdent de bons brevets et peuvent augmenter leurs prix plus facilement que d'autres. De plus, elles sont capables de créer de la valeur. À ce stade de la reprise boursière, ces châteaux forts sont plus aptes à affronter une conjoncture encore incertaine, fait valoir Morningstar. La firme de recherche a déniché exclusivement pour Les Affaires cinq titres qui, en plus d'être peu chers, obtiennent une cote cinq étoiles.
Pour choisir les entreprises à l'épreuve de la concurrence, Morningstar fait appel à ses 90 analystes. Que font-ils ? Ils évaluent les entreprises américaines en recherchant les attributs qui leur donnent un avantage concurrentiel durable.
" C'est un processus d'analyse robuste. Des 1 700 sociétés suivies par l'ensemble de nos analystes, 160 réussissent le test. Un comité établit quelles entreprises cumulent le plus de caractéristiques propres aux championnes de la concurrence ", explique Paul Larson, stratège, actions, chez Morningstar.
L'analyse comprend, dans le bilan des entreprises, la valeur attribuée aux marques de commerce et aux brevets.
Les analystes étudient aussi la capacité des entreprises d'imposer ou de relever leurs prix de vente, dans leur industrie respective. Ou encore, ils examinent la structure des coûts d'exploitation, puisque les fabricants et les fournisseurs de services ayant les coûts les plus bas et bénéficiant d'économies d'échelle ont souvent un avantage concurrentiel durable sur leurs rivaux.
Si les clients d'une entreprise subissent des coûts élevés pour changer de fournisseur, cela présente aussi un avantage concurrentiel pour cette dernière, indique M. Larson, en donnant l'exemple de Cisco Systems, dont les équipements de réseau effectuent les tâches essentielles et critiques de ses clients.
Certaines entreprises bénéficient aussi de " l'effet de réseau ", un phénomène par lequel la valeur du réseau d'affaires croît avec chaque nouveau client, fournisseur ou partenaire. " Par exemple, eBay compte le plus grand nombre de vendeurs, parce que l'encanteur virtuel affiche aussi le plus grand nombre d'acheteurs ", illustre M. Larson.
En fin de compte, ces attributs se reflètent dans un ratio financier : l'écart entre le rendement que l'entreprise obtient sur le capital qu'elle investit et son coût en capital (soit les intérêts sur la dette et le coût d'émission des actions). Une entreprise crée de la valeur lorsqu'elle tire de son capital investi un rendement supérieur à ce qu'il lui en coûte.
" Ce n'est pas tant l'ampleur de l'écart qui est important, mais sa constance. On essaie de trouver les entreprises les plus susceptibles de faire croître la valeur économique de leurs bénéfices au cours des 20 prochaines années ", précise M. Larson.
Les sociétés qui réussissent à créer de la valeur de façon durable possèdent ce que l'investisseur légendaire Warren Buffett appelle un " economic moat ", faisant une analogie entre les douves qui protégaient les châteaux et les avantages concurrentiels qui permettent aux meilleures entreprises de préserver leurs parts de marché et leur rentabilité à long terme.
" Une entreprise vraiment exceptionnelle doit avoir un avantage concurrentiel durable qui protège ses excellents rendements du capital investi ", a écrit Warren Buffett dans le rapport annuel 2007 du conglomérat Berkshire Hathaway.
Parmi les 160 entreprises américaines qui peuvent se targuer d'être de petits châteaux forts, Morningstar propose ci-contre les cinq titres qui, en plus d'être peu chers, obtiennent une cote cinq étoiles reflétant la confiance des analystes dans leur valeur économique.
RENDEMENT DE L'INDICE MORNINGSTAR WIDE MOAT FOCUS1
2011
Indice / S&P 500
+ 7,1 % / + 5,9 %
3 ans
Indice / S&P 500
+ 11,7 % / + 1,8 %
5 ans
Indice / S&P 500
+ 9,4 % / + 3,0 %
Depuis sa création, le 2 janvier 2002
Indice / S&P 500
+ 15,5 % / + 8,1 %
Morningstar attribue le rendement supérieur de l'indice par rapport au S&P 500 depuis huit ans au fait qu'elle achète les châteaux forts lorsque leur cours devient sous-évalué. Les titres du secteur de la santé représentent 30 % de l'indice, alors qu'ils étaient pratiquement absents, il y a deux ans.
1 Au 15 février 2011. L'indice est remanié trimestriellement.
CISCO SE RECENTRE
Numéro un mondial des équipements de réseau, Cisco Systems amorce un recentrage afin de revaloriser son titre qui a perdu 37 % depuis un an. Ainsi, la société procède à la fermeture de sa division de caméscopes numériques Flip et au repositionnement de sa division de routeurs résidentiels Linksys. Ces premiers gestes lui permettront de concentrer ses énergies à défendre ses parts de marché dominantes et ses marges élevées contre les avancées de Huawei, Hewlett-Packard, IBM et Oracle, estime Grady Burkett, de Morningstar.
Disposant de 40 milliards de dollars américains d'encaisse et de placements, Cisco a les moyens de réaliser le virage qui s'impose et d'enrichir à nouveau ses actionnaires, ajoute l'analyste.
Morningstar lui attribue une valeur juste de 30 $ US par action, en fonction d'une croissance annuelle prévue de 8,5 % de ses revenus d'ici 2015, abstraction faite des acquisitions.
EXELON BOUDÉE EN RAISON DE SES CENTRALES NUCLÉAIRES
Le principal exploitant de centrales nucléaires aux États-Unis devient encore plus gros avec l'achat prochain de Constellation Energy, grâce à un échange d'actions de 7,9 milliards de dollars américains. La transaction, qui n'a pas encore reçu le feu vert des autorités du Maryland, augmentera la part des revenus qu'Exelon tire de la vente réglementée d'électricité. Exelon estime que les synergies augmenteront ses bénéfices annuels d'au moins 5 %, à partir de 2013.
Exelon devrait aussi bénéficier d'un rebond prévu des prix de l'électricité, en raison des restrictions environnementales imposées aux centrales au charbon de ses rivaux, et d'une reprise de la demande industrielle, explique Travis Miller, de Morningstar.
L'effet des prix se fera davantage sentir après 2013, lorsque les contrats à terme de l'entreprise, qui fixent le prix du tiers de ses revenus d'électricité, arriveront à échéance.
Une hausse de 10 % du prix de l'électricité au cours des prochaines années pourrait accroître les bénéfices d'Exelon de 20 %. Ce levier reflète les faibles coûts d'exploitation liés à la génération d'énergie nucléaire d'Exelon, dit l'analyste.
Si la catastrophe nucléaire du Japon suspend les projets de nouvelles centrales, Exelon connaîtra moins de concurrence.
VULCAN MATERIALS A LE POTENTIEL DE REBONDIR
Le principal fournisseur de pierre, de sable et de gravier devrait plus que doubler le volume de ses ventes et les faire passer à 230 millions de tonnes, d'ici cinq ans, à mesure que la construction non résidentielle et de routes retrouvera un niveau plus normal d'activité. Une telle hausse doublerait les marges de l'entreprise, prévoit Elizabeth Collins, de Morningstar.
Une reprise de la construction permettrait aussi à Vulcan Materials de tirer profit des avantages concurrentiels propres aux exploitants régionaux de carrières. Le prix par tonne des agrégats de construction étant faible, il n'est pas économique de les transporter sur une distance de plus de 45 minutes, de sorte que les carrières adaptent leur production et leurs coûts à la demande locale et peuvent imposer leurs prix.
Investir dans Vulcan n'est pas sans risque, puisque l'entreprise s'est fortement endettée pour acquérir Florida Rock, en 2007, ce qui lui vaut une cote de crédit de pacotille.
APPLIED MATERIALS AU COEUR D'UNE REPRISE
Dans une industrie connue pour ses hauts et ses bas, le principal équipementier des fabricants de puces saura profiter des avantages de sa taille dans la reprise des dépenses par les fabricants tels que Intel et Taiwan Manufacturing, qui s'étendra jusqu'en 2012, prévoit Andy Ng, de Morningstar.
Surtout que l'entreprise, qui équipe aussi les fabricants de cellules solaires, a profité de la dernière récession pour réduire ses coûts.
Applied Materials est bien placée pour préserver et même augmenter sa part de marché dominante de 15 %. " Ses revenus de 11 milliards de dollars, son encaisse de 4 milliards, ses dépenses d'un milliard en R-D et ses 22 000 pièces d'équipement déjà installées lui donnent un avantage concurrentiel inégalé dans une industrie très cyclique ", écrit l'analyste.
LABORATOIRES ABBOTT OFFRE UN BON ÉQUILIBRE
Diverses sources de flux de trésorerie, des ventes de son médicament Humira pour traiter l'arthrite rhumatoïde à l'endoprothèse vasculaire Xience, en passant par des produits nutritionnels et ophtalmologiques, permettront à la société pharmaceutique de dégager un rendement financier supérieur à son coût en capital de 9 %, au cours des prochaines années.
Morningstar prédit que ses revenus croîtront à un rythme moyen de 6 % par an, au cours des cinq prochaines années, grâce à ses produits existants et à d'autres acquisitions. L'élimination de 5 % de ses effectifs améliorera aussi ses futures marges, puisque Abbott perdra moins de revenus de l'expiration de médicaments-vedettes que ses concurrents.
Le titre de l'entreprise est attrayant à un cours inférieur de 54,40 $ US, précise l'analyste Damien Conover.