L'ajustement brutal des Bourses au nouveau ralentissement mondial crée des occasions pour les investisseurs. Même si la correction était attendue et souhaitée, les financiers restent tout de même prudents dans leur chasse aux aubaines. La grande volatilité des devises, des obligations et des ressources risque de provoquer d'autres spasmes, en fonction des données économiques et des remèdes prescrits par les banques centrales.
Après une chute abrupte des cours, amplifiée par les ventes de fonds spéculatifs, les Bourses s'offrent déjà un bon rebond. Les marchés risquent toutefois de connaître d'autres soubresauts au cours des prochains mois pour s'adapter à une conjoncture plus incertaine que prévu, croit André Chabot, président de Triasima.
«Chaque nouvelle statistique économique ou orientation fournie par les entreprises pourrait donner d'autres motifs aux investisseurs d'ajuster encore une fois leur tir», explique le gestionnaire de portefeuille.
Un autre bond du dollar américain, qui sert de refuge aux investisseurs du monde, pourrait tout autant faire fléchir les cours des matières premières de nouveau.
En conséquence, la plupart des gestionnaires consultés préfèrent acheter de façon graduelle les occasions qui émergent de la correction de septembre et d'octobre.
CHOIX ÉNERGIE : VERMILION, CANADIAN ENERGY SERVICES ET SHAWCOR
Au pire de la correction, le secteur de l'énergie de la Bourse de Toronto avait perdu 22 % par rapport au sommet qu'il avait atteint en juin. Pas étonnant, donc, qu'il s'agisse d'un secteur de prédilection pour la chasse aux aubaines.
Pour l'instant, la chute des cours du pétrole ne menace pas les bénéfices des producteurs ni leurs projets, qui font aussi vivre leurs fournisseurs, s'entendent pour dire les observateurs.
D'autant que le prix que reçoivent les producteurs canadiens, le Western Canadian Select (WCS), a augmenté de 9 % depuis un an, grâce à la baisse du huard.
«Depuis le début de l'année, le cours moyen du WCS en dollars canadiens est de 12 $ supérieur au prix moyen de 2013», précise Martin Roberge, stratège, de Canaccord Genuity.
Les producteurs canadiens reçoivent 39 % de plus pour leur pétrole qu'en décembre 2012, si on tient compte à la fois du recul du huard et du rapprochement entre le cours du WCS et celui du pétrole américain West Texas Intermediate (WTI), estime Stéfane Marion, stratège de la Financière Banque Nationale.
Marie-Ève Savard, gestionnaire de portefeuille chez Investissements Standard Life, désigne le producteur de pétrole et de gaz Vermilion Energy (Tor., VET, 64,47 $) en raison de la hausse prévue de 55 % de sa production, de 2013 à 2016.
Forte d'un bon bilan, la société de Calgary finance ses projets d'expansion à même ses flux de trésorerie. Son niveau d'endettement est aussi de 38 % inférieur à la moyenne de son industrie, en fonction de ses flux de trésorerie.
Active au Canada, dans quatre pays européens ainsi qu'en Australie, Vermilion diversifie bien ses sources de revenus. Par exemple, le prix du gaz naturel en Europe est deux fois plus élevé qu'en Amérique du Nord, cette année.
La société verse déjà un bon dividende et l'a augmenté de 26 % depuis 2007.
Le petit fournisseur de fluides qui améliorent l'efficacité du forage et de la production de pétrole et de gaz naturel Canadian Energy Services (Tor., CEU, 8,84 $) est l'autre choix de Mme Savard.
L'entreprise gagne des parts de marché tant au Canada qu'aux États-Unis, grâce à l'acquisition de fournisseurs régionaux solides.
Contrairement aux producteurs, ses activités requièrent peu de dépenses en capital et lui procurent de bons flux de trésorerie, que la société de Calgary redistribue en partie sous forme de dividendes mensuels.
Philippe Hynes, président de Tonus Capital, a profité du repli de 20 % du titre du fournisseur mondial de revêtements de pipelines ShawCor (Tor., SCL, 51,46 $), entre juillet et octobre, pour se procurer des actions, à un cours d'environ 49 $.
«Je préfère jouer l'énergie avec une société qui bénéficie d'avantages concurrentiels qui la distinguent dans son secteur», dit-il.
Après un petit passage à vide à la suite de l'achèvement de deux énormes contrats en Australie au début de 2014, de nouveaux projets raviveront sa croissance à partir de l'an prochain.
La société s'approprie environ 70 % du marché des projets en mer profonde où les tuyaux relient plusieurs plateformes et acheminent le pétrole aux raffineries.
«Le coût total de production de ces plateformes est raisonnable par rapport à celui des sables bitumineux», dit M. Hynes.
ShawCor devrait aussi tirer sa part des projets de 517 milliards de dollars américains qu'a prévus le Mexique dans ses infrastructures énergétiques, d'ici 2018.
Le bilan de la société ne compte aucune dette, et une récente émission d'actions de 230 millions de dollars financera de nouvelles acquisitions.
Son évaluation de 10,6 fois le bénéfice ajusté de 4,80 $ par action prévu en 2015 est attrayante pour un taux de croissance interne de 10 % à 15 %, en plus du potentiel d'acquisition, fait valoir M. Hynes.
CHOIX INDUSTRIELS : LE CN ET JACOBS ENGINEERING
Le secteur industriel n'a pas échappé à la correction, puisqu'il s'ajuste aussi au risque selon lequel la chute des prix des matières premières freine les projets des donneurs d'ordres.
Le Canadien National (Tor., CNR, 73,44 $), qui transporte tous les matériaux et les marchandises consommés et exportés au pays, a fléchi de 11 % dans la correction.
«C'est le type de société rentable de qualité, que la correction a rendu encore plus attrayante qu'avant. Sa croissance est assez prévisible», juge Garey Aitken, chef des investissements de Franklin Bissett.
Le chemin de fer profite notamment de la reprise américaine qui stimule la construction et le secteur manufacturier. Le volume de pétrole transporté par la société montréalaise devrait aussi doubler d'ici deux ans.
À moyen terme, une nouvelle phase d'expansion du terminal portuaire de Prince Rupert (Colombie-Britannique) qu'elle dessert, lui sera aussi favorable. Ce port offre le plus court trajet pour le commerce entre l'Asie et l'Amérique.
Son action se négocie à 17,5 fois le bénéfice prévu en 2015, comparativement à une croissance annuelle prévue de 14,3 % de ses bénéfices au cours des cinq prochaines années.
Le transporteur pourrait aussi hausser la part des bénéfices qu'il distribue en dividendes et racheter encore plus de ses actions, pour donner davantage de rendement à ses actionnaires.
Le groupe américain de génie construction Jacobs Engineering (NY, JEC, 45,40 $ US) est bon marché, au moment où sa croissance et sa rentabilité devraient s'améliorer, soutient M. Hynes.
La société restructure sa division minière après deux acquisitions opportunistes, qui lui ont permis de percer ce marché, mais qui n'ont pas donné la rentabilité voulue.
La firme devrait aussi profiter de la construction prévue de 16 nouvelles usines chimiques et raffineries aux États-Unis, auxquelles elle pourra offrir ses services d'entretien au cours des prochaines années. La majorité des contrats décrochés par Jacobs fonctionnent selon la formule de coûts majorés, ce qui limite son risque financier.
«C'est un modèle de revenus plus stables et plus récurrents que la prise en charge de la construction et de la gestion d'infrastructures», explique le gestionnaire de Tonus.
Aux États-Unis, on assiste également à un nouveau cycle de dépenses pour la construction de routes, de prisons et d'hôpitaux, maintenant que les gouvernements ont réduit leurs déficits.
Son action est aussi moins chèrement évaluée que celles des entreprises équivalentes canadiennes. Elle se négocie à 11 fois ses flux de trésorerie, comparativement à 15 ou 16 fois pour Stantec, Groupe WSP et SNC-Lavalin, précise le gestionnaire.
CHOIX PME : CANYON EDUCATION, THERMON GROUP, CABELA'S, MTY ET ELEMENT FINANCIAL
L'autre segment le plus ravagé du mouvement de repli est celui des titres à faible capitalisation, qui menaient la charge depuis 2009. Les PME américaines sont tombées de leur piédestal, l'indice Russell 2000 ayant perdu 11 % depuis le 1er juillet. Au Canada, l'indice des titres à faible capitalisation du S&P/TSX a plongé de 16 % depuis le 4 juillet. Cela aide les gestionnaires à y repérer plusieurs occasions.
«La beauté d'une baisse aussi généralisée, c'est que les entreprises performantes sont tirées vers le bas. On peut donc accumuler graduellement des titres ciblés en visant un bon rendement potentiel sur cinq ans», dit Mathieu Sirois, gestionnaire chez Van Berkom et Associés.
Globablement, l'évaluation élevée des PME américaines s'est dégonflée. Leur multiple de 16,5 fois les bénéfices se compare à celui de 14,5 fois pour le S&P 500, un écart qui se rapproche de sa moyenne à long terme. C'est le cas de l'établissement d'enseignement Grand Canyon Education (Nasdaq, LOPE, 40 $ US), de l'Arizona. Son ratio de 15 fois les bénéfices est redevenu intéressant pour une entreprise qui croît de 12 % à 15 % par an, qui dégage une marge d'exploitation de 25 % et qui réalise un rendement de 20 % du capital investi.
La formation de professeurs et de professionnels de la santé, ses deux principaux créneaux, dépend peu de l'évolution de l'économie américaine. «L'établissement est reconnu pour la qualité de ses formations, le taux élevé de placement de ses étudiants et ses tarifs abordables. La société gagne des parts de marché», dit le gestionnaire.
Les autorités sévissent en effet contre les établissements qui ont des pratiques de recrutement trop agressives et exagèrent les avantages de leur formation.
Thermon Group (Nasdaq, THR, 22,37 $ US) a aussi été malmenée, accusant une chute de 18 % depuis le début de l'année. Pourtant, ses atouts n'ont pas changé, dit Mathieu Sirois.
Le fournisseur mondial de câbles et de capteurs de température partage son marché avec une seule autre entreprise, PentAir, ce qui lui assure de bonnes marges.
L'entretien et le remplacement périodique des systèmes de contrôle installés dans les pipelines, les raffineries et les complexes pétrochimiques font en sorte qu'environ 60 % de ses revenus sont récurrents.
«L'entreprise du Texas est bien positionnée pour rafler sa part habituelle de 40 % des nombreux projets d'infrastructures énergétiques et chimiques dans le monde. Une fois en chantier, ces projets risquent peu d'être abandonnés et ont une longue durée de vie», explique le gestionnaire de Van Berkom.
Pour une société qui dégage un rendement de l'avoir des actionnaires de 10 % à 15 % tout au long d'un cycle économique, son ratio de 15 fois les bénéfices est intéressant. Autres atouts : elle est peu endettée et dégage de bons flux monétaires, note M. Sirois.
Après un recul de 20 % depuis mars, le détaillant d'articles de chasse et de pêche Cabela's (NY, CAB, 58,08 $ US) attire de nouveau l'oeil de Jean-Philippe Bouchard, gestionnaire chez Giverny Capital.
La réforme des armes à feu a nui à ses ventes, mais les perspectives du détaillant renommé pour ses 61 magasins musées reposent davantage sur ses nouveaux établissements de 150 000 pieds carrés et moins. Leurs ventes et leurs bénéfices par pied carré sont de 40 % à 50 % plus élevés que ceux des magasins d'origine, dit M. Bouchard.
Cabela's compte ouvrir 18 autres magasins destinations d'ici deux ans. L'offre accrue de marques maison et les ventes en ligne ont fait passer son rendement du capital investi de 9,5 % à 16,1 %, de 2008 à 2013.
«Au multiple actuel de 13,8 fois les bénéfices, c'est peu pour une entreprise qui peut doubler ses ventes d'ici cinq ans», fait valoir M. Bouchard.
Le franchiseur de 2 600 restaurants à service rapide sous 30 enseignes Groupe d'alimentation MTY (Tor., MTY, 29,04 $) n'a pas perdu la confiance de M. Bouchard, malgré le déclin des ventes comparables des établissements ouverts depuis plus d'un an et le recul de 16 % de son titre. Pour les neuf premiers mois de 2014, les flux de trésorerie de 32,1 M$ équivalaient à 37 % de ses revenus.
«On n'achète pas la société pour ses ventes comparables. Ses acquisitions font croître ses revenus et ses bénéfices. À moyen terme, son incursion aux États-Unis a plus d'importance à nos yeux», ajoute le gestionnaire.
Son évaluation a aussi diminué de 22 fois à 18,5 fois le bénéfice prévu en 2015, depuis janvier.
Marie-Ève Savard, de Standard Life, juge que la chute récente de 22 % du prêteur émergent Element Financial (Tor., EFN, 12,21 $) est exagérée, compte tenu de sa forte croissance. Menée par l'ex-dirigeant du prêteur non bancaire Newcourt Credit, la société croît rapidement parce que plusieurs institutions se sont retirées du financement des équipements. À 55 ans, Steven Hudson n'a pas perdu sa fougue. Element vient d'acquérir les activités de gestion de parcs de véhicules de PHH pour rien de moins que 1,35 milliard de dollars. La gestion de parcs, avec ses services à honoraires, est moins risquée que le prêt.
Comptant 660 000 véhicules en location, Element occupe le premier rang au Canada, avec 40 % de ce créneau, et le troisième aux États-Unis, avec 13 % du marché. La société a promis un bénéfice par action de 0,95 $ en 2015 et de 1,35 $ en 2016.
CHOIX BLUE CHIPS : JP MORGAN, WELLS FARGO, BANQUE SCOTIA, CI FINANCIAL ET IBM
Les valeurs sûres n'ont pas échappé au ressac boursier, comme en témoigne le recul de 5,6 % du Dow Jones et de 9 % du S&P/TSX 60.
Dans un contexte fort pour le dollar américain, l'investisseur canadien sera bien servi en achetant des titres américains de grande qualité.
Et pourquoi se casser la tête quand on peut se procurer deux grandes banques américaines à bon prix, lance François Têtu, vice-président de Desjardins Marché des capitaux.
Wells Fargo (NY, WFC, 48,69 $ US) et JP Morgan (NY, JPM, 56,20 $ US) se négocient à des multiples très raisonnables de 12 et 10 fois leurs bénéfices, respectivement. «Ces deux grandes franchises se sont mieux sorties de la crise financière, grâce à leur excellente équipe de gestion», dit-il.
La force de la quatrième banque américaine, Wells Fargo, réside dans la croissance de ses dépôts, ce qui lui procure un capital bon marché à prêter ensuite. La banque est aussi passée maître dans la vente croisée de six à sept services financiers à chacun de ses clients.
Elle vise à distribuer à ses actionnaires de 55 % à 75 % de ses bénéfices sous forme de dividendes et de rachats d'actions.
Malgré des frais juridiques d'un milliard de dollars américains au troisième trimestre et un recul de 11 % de son bénéfice, JP Morgan a dégagé un rendement de l'avoir des actionnaires de 10 %. Ses prêts ont crû de 7 %. De plus, la banque a distribué 3 G$ US à ses actionnaires, en versant un dividende de 0,40 $ US par action et en rachetant pour 1,5 G$ US de ses actions.
L'action de la plus internationale des banques canadiennes, Banque Scotia (Tor., BNS, 67,31 $), est redevenue légèrement moins chèrement évaluée que celle de ses rivales, parce que les marchés des Caraïbes lui sourient moins qu'avant, reconnaît M. Têtu. «Toutefois, la banque dispose de 3 G$ en capital excédentaire [et 600 M$ de plus si elle choisit de vendre sa banque portoricaine]», indique le financier de Desjardins.
Ce capital financera des acquisitions en Amérique latine. Son dividende de 4 % est aussi très attrayant, ajoute-t-il.
Chez Giverny, M. Bouchard croit toujours à la capacité d'IBM (NY, IBM, 168,80 $ US) de donner un bon rendement financier à ses actionnaires en continuant à répartir son capital de façon disciplinée. L'avertissement de bénéfices moindres et la vente de filiales en décroissance à perte, annoncés le 20 octobre, n'émeuvent pas M. Bouchard. La société dégagera des flux de trésorerie excédentaires de 12 à 13 G$ US cette année.
«Ils seront opportunistes et rachèteront plus activement de leurs actions si elles baissent davantage», pense-t-il. La société a racheté pour plus de 50 G$ US de ses actions depuis 2010.
Après une chute de 7 % le 20 octobre, sa pire en quatre ans, l'action d'IBM se négocie à moins de 10 fois les bénéfices prévus en 2015.
Mme Savard suggère de cueillir le gestionnaire de fonds CI Financial (Tor., CIX, 32 $), dont l'évaluation s'est comprimée après une chute de 9,4 % depuis le début de l'année.
Pourtant, la société torontoise présente le profil de croissance et de bénéfices le plus solide de son industrie, grâce à des fonds performants et à des frais concurrentiels. Ses flux de trésorerie réguliers lui donnent les moyens de verser un bon dividende (3,7 %) et de racheter 9 % de ses actions.