BLOGUE. Dans mes derniers blogues, j’ai parlé à quelques reprises des sociétés qui rachetaient leurs propres actions, notamment de Groupe CGI, de Groupe BMTC, de Metro et de Rogers Communications. J’aurais pu également parler de CN, de BCE ou de Tim Hortons. En effet, toutes ces entreprises et bien d’autres encore rachètent de leurs actions de façon régulière et depuis plusieurs années. Je crois qu’il s’agit là d’un phénomène qui risque de prendre de l’ampleur au cours des prochaines années pour plusieurs raisons.
En premier lieu, les possibilités de croissance organique sont plutôt restreintes pour la majorité des entreprises. Dans un contexte de faible croissance économique et surtout avec toute l’incertitude à laquelle les entreprises font face, peu d’entre elles se lancent dans des projets d’investissement majeurs pour augmenter leur capacité.
Deuxièmement, de nombreuses grandes sociétés sont déjà en excellente santé financière et continuent de dégager des liquidités excédentaires importantes. De fait, un article récent de Reuters (breakingviews.com) souligne que les grandes multinationales sont assises sur des montagnes d’encaisse, en plus d’avoir la capacité d’emprunter des sommes significatives. Selon l’article, les 1 100 sociétés non-financières américaines qui sont cotées par la société Moody’s possédait la somme record de 1,24 billion $ au 31 décembre dernier. En Europe, les 360 entreprises non-financières également cotées par Moody’s avaient collectivement une encaisse de 872 milliards $, près du niveau record de 2010. De plus, les ratios dette-équité de ces entreprises sont plutôt modestes : selon Morgan Stanley, ce ratio pour les entreprises européennes serait de près de 30 %, un niveau qui n’avait pas été vu depuis les années 80. En plus, près du tiers des sociétés européennes n’ont aucune dette.
Troisièmement, comme tous les investisseurs le savent trop bien, l’encaisse ne rapporte pratiquement rien aux entreprises. Pour ces dernières, il est sage de conserver un coussin d’encaisse pour traverser toute période de crise qui pourrait se présenter mais combien est-il suffisant? Ni les dirigeants d’entreprises, ni leurs actionnaires ne tolèreront des niveaux d’encaisse anormalement élevés qui réduisent sensiblement le rendement du capital des entreprises.
Dans ce contexte, deux phénomènes risquent de se produire de façon accélérée au cours des prochaines années : des acquisitions d’autres entreprises et le versement de liquidités excédentaires aux actionnaires, sous formes de rachats d’actions et/ou de dividendes. Les acquisitions sont une façon pour les entreprises d’obtenir une croissance immédiate de leurs activités – c’est exactement ce qu’a fait BCE avec l’acquisition d’Astral.
L’autre avenue est de retourner une partie grandissante des liquidités d’une entreprise à ses actionnaires en rachetant ses propres actions (ce qui équivaut techniquement à une acquisition) ou en versant des dividendes de plus en plus élevés. Ces deux tendances se manifestent de plus en plus depuis quelques trimestres, tel qu’illustré par la décision d’Apple de verser son premier dividende ou par Microsoft dont le dividende par action est passé de 0,08 $ en 2003, la première année qu’elle a versé un dividende, à 0,80 $ cette année.
Ces tendances des entreprises d’acheter d’autres entreprises et de verser de l’argent à leurs actionnaires plutôt que d’investir dans de nouveaux projets de croissance ne sont pas très favorables pour la croissance économique des prochaines années mais elles devraient être rentables pour les investisseurs.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 (www.cote100.com) et éditeur de la Lettre financière COTE 100 (www.lettrecote100.com).