BLOGUE. Le décès de M. Paul Desmarais m’a incité à jeter un coup d’œil sur sa biographie et en particulier sur l’historique de la société Power Corporation, fleuron de son empire financier.
M. Desmarais a été sans contredit un des plus grands entrepreneurs et bâtisseurs d’entreprise canadiens. Lorsqu’il a pris le contrôle de Power Corporation en 1968, l’entreprise avait une valeur de près de 100 M$. Or, au 31 mars 2013, les actions de Power qu’il détenait personnellement valaient tout près de 3,0 G$. Son avoir net, estimé par le magazine Forbes à 4,5 G$ US, le plaçait en 2012 au 248ème rang des hommes les plus riches au monde et au 4ème rang des plus riches Canadiens. Comme un autre grand financier de notre époque, Warren Buffett, M. Desmarais a bâti sa fortune à partir de presque rien à force de persévérance et grâce à l’application de principes d’investissement desquels il n’a jamais dévié.
En lisant le plus récent rapport annuel de Power, je suis étonné des similitudes qu’on peut observer entre la stratégie de Power et celle de Berkshire Hathaway, la société d’investissement contrôlée par Warren Buffett. Dans le rapport annuel de 2012 de Power, on peut lire : « Nous investissons dans des titres de participation de sociétés qui misent sur une perspective à long terme, qui entretiennent une structure financière prudente… Nous restons fidèles à notre modèle de gouvernance en vertu duquel nous agissons comme des propriétaires actifs qui s’investissent dans les conseils d’administration des sociétés contrôlées et qui exercent une influence sur leurs participations clés. Enfin, nous investissons dans un petit nombre d’entreprises de grande qualité, socialement responsables, opérant dans des créneaux solides et présentant des perspectives de croissance intéressantes. » C’est à mon avis, une philosophie d’investissement qui ressemble étrangement à celle de Berkshire Hathaway.
Des ressemblances avec Berkshire Hathaway
Bien que les choix d’entreprises et de secteurs aient été différents, je vois plusieurs ressemblances entre les façons de faire des deux entreprises :
- Une perspective à long terme. Buffett a souvent répété que la période de temps pendant laquelle il envisage détenir un titre est « à jamais ». Ce n’a pas été exactement le cas pour Power qui, au fil des ans, s’est notamment départie de sa participation dans des entreprises telles que le Groupe CSL (qui comprenait notamment Canada Steamship Lines) en 1981 et Consolidated Bathurst en 1989. Il reste que Power effectue ses investissements dans le but de les faire fructifier à très long terme et non pas de s’en défaire rapidement. Le Groupe Investors et la Great West, deux des piliers actuels de Power, étaient déjà dans son giron en 1968.
- Investir dans des sociétés qui entretiennent une structure financière prudente. En ce sens, la prudence de Power et de M. Desmarais ressemble étrangement à celle de Buffett. Les décisions de vendre le Groupe CSL et Consolidated Bathurst dans les années 80 s’expliquaient surtout par le désir de M. Desmarais d’éliminer en grande partie la dette de Power.
- Investir dans des entreprises faciles à comprendre. Power a investi dans de nombreuses sociétés au cours des 45 dernières années mais il s’agissait d’entreprises relativement simples et faciles à comprendre et dont les activités étaient durables à long terme.
- Agir comme des propriétaires actifs. C’est possiblement la plus grande différence entre Power et Berkshire, cette dernière donnant une grande latitude à ses dirigeants. Il reste que, lorsque nécessaire, Buffett est intervenu directement auprès de certaines de ses entreprises afin de régler des situations problématiques.
- Un petit nombre d’entreprises. Voilà un mantra maintes fois répété par Buffett qui, encore aujourd’hui, a un portefeuille concentré dans une poignée d’investissements très importants. Un des premiers gestes de M. Desmarais lorsqu’il a pris le contrôle de Power a été de s’assurer d’exercer un contrôle direct sur un nombre restreint de placements. Les deux tiers de l’actif du portefeuille de Power étaient investis dans des filiales d’exploitation en 1971, contre moins de 40 % lors de sa prise de contrôle en 1968.
- Des entreprises de grande qualité opérant dans des créneaux solides et présentant des perspectives de croissance intéressantes. Encore une fois, on croirait lire une phrase du rapport annuel de Berkshire Hathaway.
J’ajouterais certains facteurs clés de la philosophie d’investissement de MM. Desmarais et Buffett qui ont fait leur succès. D’une part, l’opportunisme. Dans les deux cas, ils n’ont pas eu peur d’acheter des entreprises lorsque personne n’en voulait. La patience est également une grande qualité des deux investisseurs – c’est réellement au fil de décennies que leur fortune a été bâtie, un investissement à la fois. D’autre part, ils ont su s’entourer dès leurs débuts des meilleurs gestionnaires et conseillers. Leur succès a été rendu possible par le dévouement et la fidélité de quelques gestionnaires de grand talent.
Enfin, il est étonnant de constater à quel point M. Desmarais a toujours été humble en dépit de son succès et de sa fortune. Lorsque, en 2008, un journaliste du magazine farnçais Le Point, lui a demandé comment il pouvait expliquer son succès, M. Desmarais a répondu « Je ne sais pas. J’ai saisi les opportunités qui se présentaient ». De son côté, Buffett estime que la clé du succès se résume à « savoir ce que tu ne connais pas ». Enfin, les deux investisseurs ont également été de grands philanthropes.
À l’image de Buffett, M. Desmarais restera toujours un modèle pour les investisseurs québécois et canadiens.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. COTE 100 détient des actions de Berkshire Hathaway dans certains de ses comptes sous gestion.