BLOGUE. Les investisseurs qui vendent des titres à découvert (short) font généralement bien leurs devoirs avant de vendre un titre à découvert. C’est un peu normal car s’ils se trompent, ils risquent de perdre gros. Ils ont aussi l’habitude de publiciser le plus largement possible leurs positions, attirant souvent l’attention des médias avec des théories plutôt alarmistes. Encore une fois, c’est normal car leur but est de faire baisser les titres qu’ils ont ciblés. De leur côté, les médias ont tendance à leur donner passablement de place car tout le monde aime bien les histoires qui font sensation.
Au cours des derniers mois, nous avons appris que Steve Eisman, le gestionnaire de fonds de couverture qui a été rendu célèbre par le livre de Michael Lewis, The Big Short, vendait le marché hypothécaire canadien à découvert, notamment le titre de Home Capital Group. Il croit que le marché canadien pourrait connaître le même genre de dégelée qu’a connue le marché immobilier américain en 2008-2009.
De fait, pas moins de 24 % des actions en circulation de Home Capital auraient été vendues à découvert. Lorsque M. Eisman, dans un forum public, a suggéré de vendre le titre à découvert, il a rapidement perdu près de 15 % de sa valeur et touché 50,00 $.
Or, nous détenons des actions de Home Capital depuis plusieurs années dans nos portefeuilles sous gestion et nous sommes en désaccord avec la position des vendeurs à découvert sur le marché immobilier canadien. En effet, le marché immobilier canadien est structurellement fort différent de celui des États-Unis et bien, que nous anticipions un ralentissement au cours des prochaines années, nous ne croyons pas au scénario catastrophique évoqué par les vendeurs à découvert.
Les différences entre le marché canadien et le marché américain sont très bien expliquées dans le site de la SCHL. En premier lieu, aux États-Unis, la politique fédérale est d’encourager l’accession à la propriété alors que la politique du Canada est de favoriser l’offre de logements, quel que soit le mode d’occupation choisi. Ces politiques divergentes expliquent certaines différences fondamentales entre les deux marchés :
- Aux États-Unis, contrairement au Caanada, les prêts hypothécaires résidentiels sont déductibles du revenu imposable. Une telle politique incite selon moi à la spéculation ou à tout le moins à ne pas rembourser rapidement son hypothèque.
- Les prêts hypothécaires au Canada sont généralement des prêts « avec plein recours ». Cela veut dire que l’emprunteur est personnellement responsable de la créance, même après saisie. Dans de nombreux États américains, les prêts hypothécaires sont « sans recours », ce qui veut dire que le prêteur n’a que la propriété sous-jacente en garantie. On peut donc comprendre pourquoi tant de propriétés ont tout simplement été abandonnées par leurs propriétaires américains après la chute de prix de 2008-2009.
- Dans les années qui ont mené à la crise immobilière américaine, la vaste majorité des hypothèques étaient revendue en blocs à des investisseurs qui, souvent ne comprenaient pas le risque associé à ces titres (c’est ce qu’on appelle la titrisation ou les « mortgage-backed securities »). Or, selon la SCHL, « au Canada, la plupart des prêts hypothécaires sont consentis et conservés par des institutions financières dont le but est d’établir une relation durable avec l’emprunteur ».
Ces différences fondamentales me portent à croire que le marché canadien, bien qu’il soit probablement étiré en termes de prix et du niveau d’endettement des citoyens, ne comporte pas du tout le même niveau de risque que le marché américain d’avant 2008-2009. À mon avis, à moins d’une forte hausse des taux d’intérêt ou d’une baisse marquée de l’emploi, on peut prévoir que le marché immobilier canadien ralentira graduellement au cours des prochaines années; pas un effondrement semblable à ce qui s’est passé aux États-Unis. Dans un tel contexte, Home Capital devrait selon moi continuer d’enrichir ses actionnaires à long terme.
Philippe Le Blanc
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc, CFA, MBA, est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. COTE 100 détient des actions de Home Capital Group dans divers comptes sous sa gestion.