BLOGUE. Dans mes deux derniers blogues, j’ai donné plusieurs exemples de sociétés canadiennes qui versent des dividendes à des niveaux selon moi insoutenables à long terme. Cette manie qu’ont bien des entreprises de verser de tels dividendes découle à mon avis à la fois de la forte popularité des fiducies de revenus qui ont pullulé sur le marché au milieu des années 2000 et du fait que les obligations offrent des rendements anémiques. Dans ce dernier blogue sur le sujet, je vous offre un autre exemple d’entreprise qui verse des dividendes que je juge insoutenables, en plus de proposer quelques pistes pour l’investisseur qui désire éviter les écueils.
Groupe Colabor
Groupe Colabor (GCL, Toronto), de Boucherville, est un distributeur en gros de produits alimentaires et connexes. Alors que ses profits par action prévus sont de 0,46 $ en 2012 (décembre) et de 0,64 $ en 2013, son dividende annuel s’élève à 0,72 $ et ce, après qu’il ait été coupé du tiers puisqu’il était de près de 1,08 $ en 2011. À son cours actuel de 7,83 $, le titre offre un rendement en dividende de 9,2 %. Un tel dividende est-il soutenable et, plus important, est-il justifié?
La stratégie de croissance de Colabor semble surtout reposer sur l’acquisition d’autres petits distributeurs dans un marché qui demeure très fragmenté. En 2011, la société a réalisé des acquisitions pour la somme de 79,1 M$; pour les 9 premiers mois de 2012, la somme investie dans des acquisitions se chiffre à 6,1 M$. Ces acquisitions ont été financées principalement par la dette, qui a augmenté de 76,7 M$ en 2011 et de 21,9 M$ au cours des 9 premiers mois de 2012. Ces augmentations de dette découlent du fait que la société verse des dividendes qui représentent une partie très importante de ses flux de trésorerie. En 2011, ces derniers ont atteint 47,3 M$ alors qu’elle a versé de dividendes 24,8 M$. La situation est encore pire en 2012 puisque ses flux de trésorerie s’élèvent à 9,3 M$ depuis le début de l’exercice en regard de dividendes versés 14,5 M$. Conséquemment, depuis le début de 2011, le ratio dette totale-avoir de Colabor est passé de 0,49 à 1,10, ce qui lui laisse de moins en moins de flexibilité financière et pourrait à mon avis mener à une éventuelle coupure du dividende.
Quelques indices de danger
Quelques indices de danger
À mon avis, plusieurs titres canadiens offrant des taux de rendement élevés en dividendes représentent des risques importants et peut-être insoupçonnés pour les investisseurs. On a vu précédemment avec Poseidon Concepts (PSN, Toronto) ce qui pouvait advenir à un titre qui coupe un dividende qui était anormalement élevé (le titre a perdu près de 80 % de sa valeur boursière en près d’un mois). Voici quelques indicateurs qui pourraient vous mettre la puce à l’oreille quant au risque qu’une de vos entreprises suive le chemin de Poseidon :
1- Le ratio de couverture du dividende. À long terme, une entreprise ne peut verser en dividendes plus que ce qu’elle ne fait en profits. Le ratio de dividende compare le dividende annuel par action aux profits annuels par action. Si ce ratio surpasse 100 % depuis quelques années, il y a lieu de se poser des questions sur la viabilité du dividende.
2- Le ratio dette nette-avoir. Une société qui s’endette pour verser des dividendes élevés devra un jour ou l’autre couper son dividende ou lever du capital additionnel en émettant de nouvelles actions. Un ratio dette totale-avoir de plus de 1,0 commence selon moi à être élevé pour une entreprise qui verse la grande partie de ses profits en dividendes (c’est le cas de Groupe Colabor).
3- Un rendement en dividende qui paraît anormalement élevé. Le marché boursier n’est généralement pas dupe. Lorsque les investisseurs jugent que le dividende d’une entreprise est insoutenable, ils auront tendance à ignorer le dividende et à évaluer le titre en fonction de ses profits. Un titre comme CML Healthcare (CLC, Toronto) offre par exemple, un rendement en dividendes de 11,5 %. Il me paraît évident que le marché boursier anticipe une coupure.
4- Une augmentation soutenue du nombre d’actions en circulation. Dans certains cas, les entreprises versant des dividendes trop élevés réussiront à les maintenir seulement qu’en émettant de nouvelles actions (pour lesquelles la société versera des dividendes additionnels!). C’est exactement ce qui s’est produit depuis quelques années avec Genivar dont le nombre d’actions en circulation a pratiquement doublé en cinq ans. Or, cette augmentation du nombre d’actions dilue les actionnaires de l’entreprise et se sont soldés par une croissance des profits par action nulle pour Genivar au cours de la période.
5- Un dividende versé mensuellement. Si votre entreprise verse ses dividendes à tous les mois, je vous dirais de faire attention. C’est probablement une ancienne fiducie de revenu et elle verse fort probablement des dividendes trop élevés.
Si j’ai écrit au moins quatre blogues sur le sujet, c’est que j’estime que ces titres représentent de grands risques pour de nombreux investisseurs. Même si des dividendes élevés sont très attirants dans le contexte où une obligation du Canada 10 ans offre un maigre 1,5 %, le risque de la plupart de ces titres n’en vaut pas la chandelle.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 (www.cote100.com) et éditeur de la Lettre financière COTE 100 (www.lettrecote100.com).