BLOGUE. Une des leçons de l'éclatement de la bulle techno est que l'on devrait toujours faire attention aux profits publiés par les entreprises publiques. Trop souvent, ces profits sont présentés sous leur meilleur jour et excluent des dépenses que la direction préfère traiter comme « extraordinaires ». À la fin des années 90, de nombreuses entreprises présentaient des profits « pro-forma » en excluant plusieurs types de dépenses qui, à bien y penser, n'auraient jamais dû en être exclues.
Encore aujourd’hui, des entreprises prennent des charges « non récurrentes » à tous les trimestres, année après année. Je peux aisément comprendre qu’une entreprise essuie à l’occasion certaines pertes ou dépenses qui sont réellement hors du contrôle de sa direction et peu susceptibles de se reproduire. Ce peut être le cas d’une charge fiscale, d’un règlement de litige, du rappel d’un produit, de la fermeture d’une usine, d’une perte de change, etc. Mais lorsque de telles charges reviennent régulièrement, force est de conclure qu’elles ne sont plus extraordinaires et qu’elles font bel et bien partie des activités courantes.
Des exemples? Nous avons récemment décidé de nous départir de nos actions de la société Smuckers, un fabricant américain de plusieurs produits alimentaires dont les confitures Smuckers, justement parce que la société essuie des charges de restructuration à pratiquement tous les trimestres depuis plusieurs années. Si, comme nous, un investisseur considère ces charges comme faisant partie intégrale des activités de l’entreprise et ne les exclue pas de son calcul des profits de la société, les profits par action de Smuckers en 2011 passent de 4,79 $ sur une base « pro-forma » à 4,15 $, un écart de 13,4 %. D’après les données de Value Line, depuis 1997, la société a comptabilisé des charges dites « non-récurrentes » à chaque année sauf en 1998, charges qui totalisent près de 4,00 $ par action, soit 10 % de ses profits pendant la période. Peut-on vraiment conclure que ces charges sont non-récurrentes?
En outre, trop d’entreprises de technologie ont pris l’habitude d’exclure l’amortissement des actifs intangibles de la présentation de leurs profits « ajustés ». Lorsqu’une entreprise technologique en acquiert une autre, les actifs acquis sont surtout comptabilisés comme de l’achalandage, lequel n’est pas amorti, et comme des actifs intangibles, essentiellement des actifs technologiques (logiciels, bases de données, etc.) et des relations-clients, lesquels doivent être amortis pendant leur durée de vie prévue. C’est cette dernière dépense d’amortissement que les dirigeants optent souvent d’exclure de la présentation de leurs profits « ajustés ». À mon avis, il est trop facile pour une entreprise technologique de bien paraître en réalisant de nombreuses acquisitions dont le coût sera en grande partie exclu du calcul de ses profits. Des sociétés telles qu’Open Text et Constellation Software, deux sociétés canadiennes du secteur des logiciels qui ont connu de très beaux succès au cours des dernières années en acquérant de nombreuses entreprises, ont recours à ce stratagème.
Prenons l’exemple d’Open Text qui est assez frappant. Au cours de son dernier exercice clos le 30 juin 2011, la société présente des profits « ajustés » de 4,02 $ par action. Or, en incluant deux postes de dépenses jugés « non-récurrents » par la direction, soit l’amortissement d’actifs intangibles ainsi que les dépenses liées à l’octroi d’options à ses dirigeants, les profits nets par action sont plutôt de 2,11 $. Un écart de 48 %!
Quant à Constellation Software, ses profits ajustés se sont élevés 140,4 M$ en 2011 ou 6,63 $ par action mais ces derniers excluent une charge d’amortissement des actifs incorporels de 76,7 M$.
Comme on l’a vu avec Open Text, certaines sociétés excluent les dépenses liées aux options d’achat d’actions. Je croyais pourtant que la leçon avait été bien apprise après l’éclatement de la bulle techno…
En somme, il faut croire que certains dirigeants misent sur le fait que bien des investisseurs ont la mémoire courte.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 (www.cote100.com) et éditeur de la Lettre financière COTE 100 (www.lettrecote100.com).