Avec les années, j’ai acquis le réflexe de surveiller les titres qui subissent des baisses importantes en bourse. N’est-ce pas dans ces listes de perdants qu’un investisseur à long terme est le plus susceptible de dénicher des aubaines?
Parmi les titres éclopés des dernières semaines, j’ai noté celui d’Amazon, cette méga-entreprise dont le modèle d’affaires est de vendre un peu de tout par Internet. La société a été un des plus grands succès de l’ère Internet des années 90 et une des rares de cette époque à avoir survécu et à avoir réellement enrichi ses actionnaires. Son titre ne valait que 1,55 $ en juin 1997 et il vaut présentement plus de 350 $. Pourtant, au cours des dernières semaines, il a perdu près de 15 % de sa valeur, passant de plus de 404 $ à son cours récent de 354,00 $...
J’ai donc jeté un coup d’œil à l’entreprise.
Ma première constatation est qu’Amazon est étonnamment peu rentable. Il semble bien que la stratégie de la direction depuis plusieurs années ait été de croître le plus rapidement possible, de devenir le plus grand détaillant en ligne, et de ne pas trop se préoccuper de la rentabilité. La vision de la direction semble être que, à long terme, les économies d’échelle gigantesques du plus gros détaillant en ligne le rendront à la fois indélogeable et très rentable. C’est un peu la théorie illustrée dans le film Field of Dreams : « Build it and he will come ».
Selon Value Line, les revenus d’Amazon sont passés de 5,27 G$ en 2003 à 74,5 G$ au cours de son plus récent exercice clos le 31 décembre 2013. Il s’agit d’un taux de croissance annuel composé de 30,3 %, ce qui représente une croissance phénoménale pour une entreprise d’une telle taille.
Au cours de la même période, les profits nets de l’entreprise sont passés de 168,3 M$ à 274 M$, un taux de croissance annuel composé de seulement 5 %. Ses profits par action sont passés de 0,40 $ à 0,59 $, ce qui n’est certainement pas le genre de progression qu’on espérerait d’une société en forte croissance. La marge bénéficiaire après impôt est passée de 3,2 % en 2003 à 0,4 % en 2013.
Ce phénomène me semble plutôt bizarre. N’était-ce pas une des grandes leçons de l’éclatement de la bulle techno que la croissance des revenus ne valait pas grand-chose si elle n’était pas éventuellement accompagnée par des profits et surtout par une croissance des profits? Le titre d’Amazon va directement à l’encontre de cette leçon.
179,0 fois les profits prévus
179,0 fois les profits prévus
Pourtant je demeure convaincu qu’à long terme, tout titre boursier ne pourra faire autrement que de suivre la progression des profits d’une entreprise. Si les investisseurs sont prêts à attribuer une capitalisation boursière de 162 G$ à Amazon, soit 179,0 fois les profits par action de 1,97 $ prévus de 2014, c’est qu’ils anticipent une forte augmentation des marges bénéficiaires au cours des prochaines années. Par exemple, si, tel que le prévoit Value Line, les revenus d’Amazon surpassaient les 150 G$ d’ici 2018 et que sa marge bénéficiaire nette atteignait à ce moment 4,6 %, ses profits par action s’élèveraient alors à près de 15 $, ce qui rendrait l’évaluation du titre plus raisonnable, à 23,5 fois ces profits…
De telles prévisions reposent sur de nombreuses hypothèses. Il faut donc avoir la foi avant d’investir dans le titre d’Amazon, comme dans Field of Dreams. De mon côté, je préfère laisser la foi aux autres investisseurs et investir dans les entreprises dont les profits sont déjà au rendez-vous et dont l’évaluation est raisonnable en fonction de ces profits. Par exemple, Wal-Mart a présentement une capitalisation boursière de 235 G$ alors que ses profits nets devraient atteindre 16,7 G$ en 2013. Au lieu de 179,0 fois les profits prévus du titre d’Amazon, le titre de Wal-Mart s’échange à 13,1 fois les profits de 2013.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100.