BLOGUE. Tout d’abord, je profite de la diffusion de ce premier billet pour vous souhaiter la bienvenue sur ce blogue, fruit de la collaboration entre LesAffaires.com et la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ). Ce blogue portera sur l’actualité judiciaire touchant le monde des affaires. Au menu aujourd’hui, une question en droit du travail.
Que doit faire un employeur lorsqu’il découvre que l’un de ses employés, en arrêt de travail pour cause de dépression, affiche sur sa page Facebook un bonheur rayonnant? Procéder à une contre-expertise médicale? Documenter ses mensonges? Le congédier? Dans l'affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'Institut universitaire en santé mentale de Québec*, l’employeur a fait tout cela… et vient de voir sa mesure disciplinaire annulée par un arbitre de griefs.
Avant d’expliquer pourquoi, faisons un bref rappel des faits pertinents. Le médecin de la plaignante avait posé un diagnostic de dépression découlant d’un processus de rupture conjugale. En consultant la page Facebook de la plaignante, l’employeur constate qu’elle a un nouveau conjoint, qu’elle est sortie au restaurant et qu’elle semble être à des lieux d’un état psychologique qui l’empêcherait de travailler. Questionnée sur ses activités sociales, la plaignante ne révèle pas ces faits au médecin chargé de la contre-expertise ni à son employeur lors d’une rencontre subséquente. Étant d’avis qu'elle a ainsi fait de fausses déclarations dans le but de profiter de prestations d’invalidité, l’employeur invoque la rupture du lien de confiance et la congédie.
À l’audience, la thèse de l’employeur s’est cependant écroulée. Pour avoir gain de cause, il devait démontrer non seulement que les réponses de la plaignante à ses questions et à celles de l’expert différaient des renseignements diffusés sur Facebook, mais encore que ces derniers étaient ceux qui donnaient un portrait juste de la réalité. Or, la preuve a révélé le contraire. Pour citer l’arbitre :
Somme toute, selon la preuve prépondérante, ce que la plaignante a dit à son médecin traitant, au Dr Brochu et à l’employeur lors de la rencontre du 29 novembre, est beaucoup plus proche de la réalité que le portrait rose bonbon qu’elle a mis en ligne sur Facebook. C’est sur Facebook qu’elle a embelli une triste situation et qu’elle a menti, et cette communication n’était pas destinée à influencer l’employeur.
Une autre faille dans l’approche de l’employeur a été le fait que son expert et lui n’ont jamais directement confronté la plaignante avec le contenu de sa page Facebook. Ils se sont contentés de questions générales et n’ont obtenu en retour que des réponses générales. En pratique, lorsque l’on veut opposer à un témoin une déclaration antérieure que l’on juge incompatible, il faut lui laisser la chance de s’exprimer relativement à ses contradictions apparentes. Ici, la plaignante a dû attendre l’audience avant de pouvoir ce faire. Or, l’arbitre a jugé, à la lumière de ses explications, qu’elle n’avait pas menti à son employeur.
D’autre part, l’arbitre a noté que l’état de santé de la plaignante est l’un des éléments dont il faut tenir compte afin d’évaluer si elle a sciemment menti. Bref, à mon avis, en matière de lésion psychologique, l’employeur a tout avantage à jouer cartes sur table. Cela permet notamment d’éviter d’ajouter au fardeau d’une employée déjà en détresse…
Enfin, bien que l’arbitre n’en fasse pas un motif de sa décision, il y a lieu de souligner un dernier élément qui, à mon avis, a affaibli la position de l’employeur : la lettre de mandat envoyée à son expert contenait des préjugés à l’égard de la situation de la plaignante. La valeur accordée par le tribunal à de telles expertises dépendant de l’objectivité des experts qui les réalisent, le syndicat avait donc beau jeu de plaider que l’expertise en question était contaminée par les préjugés de l’employeur.
Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Mes France Rivard et Sylvie Théoret.
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Me Philippe Buist a pratiqué le droit des affaires au sein de différents cabinets privés pendant plusieurs années. Il est conseiller juridique à la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) depuis 2012. Il s’intéresse plus particulièrement aux litiges touchant les personnes morales, que ce soit en matière de responsabilité civile, d’insolvabilité, de droit bancaire, de valeurs mobilières, de droit du travail ou de fiscalité. Il collabore notamment au bulletin électronique L’Express et à SOQUIJ | Le Blogue.
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