BLOGUE. Parfois, on se dit que l'occasion est trop belle… En plein examen de maths, votre voisin de table – un champion – laisse traîner sa copie, et il vous suffit d'un coup d'œil pour découvrir la solution au problème que vous n'arrivez pas à résoudre. Ou encore, en pleine négociation, un partenaire potentiel oublie sa pochette sur la table, et il vous suffit d'un coup d'œil pour découvrir ses objectifs secrets. Et? Et vous trichez. Vous saisissez cette occasion en or.
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Mais voilà? Pourquoi – vous comme moi – nous mettons-nous à tricher de la sorte? Alors même que nous savons pertinemment qu'il est malhonnête d'agir ainsi? Est-ce uniquement pour le gain qu'on peut espérer en retirer? Pour autre chose, moins avouable?
Ces interrogations existentielles, quatre chercheurs se les sont posées : Nicole Ruedy, chercheuse au Centre de leadership et de pensée stratégique de l'École de commerce Foster à Washington (États-Unis); Francesca Gino, professeure de gestion des affaires à Harvard (États-Unis); Celia Moore, professeure de comportement organisationnel à la London Business School (Grande-Bretagne); et Maurice Schweitzer, professeur de management à Wharton (États-Unis). Dans le cadre de leur étude The cheater's high: The unexpected affective benefits of unethical behavior, ils ont mis au jour une réponse qui devrait en surprendre plus d'un…
Les quatre chercheurs se sont intéressé à un point particulier concernant les tricheurs, à savoir comment ils se sentent psychologiquement après être passé à l'acte. Dans un premier temps, ils ont procédé à deux expériences visant à voir si nous sommes capables de prévoir ce que l'on ressentira après avoir triché. Pas la peine d'entrer dans le détail de celles-ci, allons directement au résultat :
> Difficile à prévoir. Les participants s'accordent pour dire que les tricheurs ressentent une vive émotion. Néanmoins, ils n'arrivent pas à s'entendre quant à celle-ci : certains considèrent qu'ils se sentiront mal (remords), d'autres, au contraire, qu'ils jubileront (plaisir d'avoir été plus malin que tout le monde), et d'autres, enfin, un peu des deux à la fois.
Pour trancher, les quatre chercheurs ont effectué quatre autres expériences. Voici la plus révélatrice.
Il a été demandé à 179 volontaires de s'installer dans un cubicule et de remplir un questionnaire, lequel permettait d'évaluer l'humeur dans laquelle ils se trouvaient à l'instant présent. Puis, il leur a fallu se creuser les méninges pendant quatre minutes – pas une seconde de plus – sur une liste de mots dont les lettres avaient été mélangées : plus le nombre de mots reconstitués était grand, plus élevée était la rémunération de chaque participant.
Cela fait, les examinateurs récupéraient les copies pour, en cachette, retirer la feuille en carbone qui était glissée dans la pile de documents. Puis, ils les rendaient aux participants, en leur disant que, finalement, la correction se ferait immédiatement… par les participants eux-mêmes!
La subtilité de l'expérience était là : il n'y avait rien de plus facile que de tricher à ce moment-là, en inscrivant sur la feuille le bon résultat, là où le participant n'avait rien trouvé. Les examinateurs ne surveillaient pas les gestes des uns et des autres à ce moment précis, ils ne faisaient qu'indiquer les solutions et que demander à chacun d'inscrire le nombre de mots trouvés. Bref, ils faisaient semblant de leur faire confiance (bien entendu, il leur suffisait de comparer à la toute fin la feuille rendue et le carbone pour déceler chaque tricherie…).
Pour finir, les participants ont dû remplir à nouveau le questionnaire permettant de savoir dans quelle humeur ils se trouvaient au moment présent.
Résultats? Voici pour les chiffres :
> Les participants ont trouvé – avant d'avoir la possibilité de tricher –, en moyenne, 3,8 bonnes réponses sur les 15 possibles.
> 41% des participants ont triché.
> Les tricheurs se sont ajouté, en moyenne, 2,5 bonnes réponses.
Et voici pour l'aspect psychologique :
> Jubilation. Juste après avoir triché, les tricheurs ont ressenti une grande satisfaction. Oui, ils jubilaient carrément.
Les autres expériences ont permis aux chercheurs d'aller un peu plus loin. Et en particulier d'apprendre que :
> Pas l'autosatisfaction. Les tricheurs jubilent aussi bien quand ils trichent délibérément que lorsque la chance leur sourit, c'est-à-dire quand une occasion en or de tricher s'offre à eux sans prévenir.
> Pas l'aiguillon financier. Les tricheurs jubilent aussi bien à la suite d'un gain financier immérité qu'après n'avoir rien gagné du tout sur le plan financier.
> Pas la gloriole. Les tricheurs jubilent aussi bien quand ils confient à autrui avoir été plus malin que tout le monde que lorsqu'ils préfèrent taire aux autres leurs agissements.
> La joie inespérée de réussir. En fait, ce qui fait jubiler un tricheur, ce n'est qu'une chose. C'est la joie de réussir. C'est-à-dire le plaisir d'avoir surmonté une épreuve difficile, quitte à avoir triché pour cela. Bref, la satisfaction procurée par le succès obtenu – qui dépasse toutes les attentes – pulvérise les scrupules et autres remords. Et ce, de manière durable : un tricheur ayant réalisé un "bon coup" s'en souviendra longtemps après, en ressentant toujours de la jubilation.
Par conséquent, ce qui compte aux yeux du tricheur, ce n'est pas le gain, ni même le sentiment d'avoir été plus malin qu'autrui, mais le fait d'avoir réussi là où l'attendait l'échec. Ou du moins, une piètre performance.
Vous comme moi, nous trichons – ou sommes fortement enclins à tricher – quand nous nous trouvons dans une sale situation. Nous tenons à nous en sortir, voire à briller, et sommes prêts à user de tous les moyens à notre disposition pour y parvenir. Même des moyens malhonnêtes.
Que retenir de tout cela pour qui se pique de management? Une chose fort simple, à mon avis :
> Qui entend voir les membres de son équipe agir de manière éthique doit veiller à ce qu'aucun d'eux ne se trouve en fâcheuse posture. Sans quoi, la tentation de la malhonnêteté risque de l'emporter.
En passant, le poète grec Hésiode disait : «Ne recherche pas les profits malhonnêtes, les profits malhonnêtes sont des pertes».
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