Nous travaillons tous fort, voire très fort, surtout lorsqu'il nous faut boucler un dossier au plus vite. C'est bien, c'est professionnel. Mais voilà, vous êtes-vous déjà demandé si c'était bon pour votre santé?
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Tout ce stress, toute cette anxiété, toute cette furie pour atteindre l'objectif visé, n'est-ce pas trop – voire beaucoup trop – en demander à votre corps et à votre esprit? Et allons carrément jusqu'au bout du raisonnement : n'y aurait-il pas du vrai dans l'expression populaire «se tuer à la tâche»?
Cette interrogation me préoccupe depuis un moment, et je sais que je ne suis pas le seul. On peut être passionné par ce qu'on fait, et ne plus compter ses heures dès lors qu'on se livre à elle, mais cette passion peut se révéler dévorante. Oui, dévorante comme une harpie, ce monstre séducteur et sans cœur.
D'où ma joie lorsque je suis tombé sur une étude intitulée Dying to win? Olympic gold medals and longevity, signée par Adam Leive, chercheur en économie à Wharton (États-Unis). Celui-ci s'est demandé si le fait de gagner une médaille d'or aux Jeux olympiques avait une incidence, ou pas, sur la longévité du médaillé. Une idée a priori saugrenue, mais incroyablement riche en enseignements, comme vous allez le voir.
Ainsi, M. Leive s'est penché sur la foule de données que présente le site Web SportsReference.com à propos des champions sportifs. Son intérêt s'est porté sur les médaillés – or, argent, bronze – des Jeux olympiques, et ce, depuis qu'on compile des données précises à leur sujet : toutes leurs performances durant leur carrière, leurs dates de naissance et de mort, l'évolution de leur état de santé au fil des années, etc.
Puis, il a complété ses informations à droite et à gauche, histoire d'en savoir davantage sur un échantillon final de 1 082 athlètes qui ont gagné, au moins une fois dans leur vie, une médaille olympique. Qu'est-ce que cela lui a permis de découvrir? Ceci :
> Individuel. Dans les sports individuels, les médaillés d'or vivent en général moins longtemps que les autres médaillés.
> Collectif. Dans les sports collectifs, les médaillés d'or vivent en général plus longtemps que les autres médaillés.
Surprenant, n'est-ce pas? Le simple fait de gagner l'or aux Jeux olympiques a un impact sur la longévité du médaillé. Un impact tantôt positif, tantôt négatif.
Le chercheur de Wharton a, bien entendu, tenu à savoir pourquoi. Il a alors creusé un peu plus dans ses données, et mis au jour ceci :
> Surperformance. Les athlètes qui ont dépassé les attentes aux Jeux olympiques, c'est-à-dire qui ont gagné l'or alors qu'ils ne figuraient pas au départ parmi les grands favoris, vivent plus longtemps que ceux qui ont répondu aux attentes ou qui ont connu une contre-performance.
> Contre-performance. Les athlètes qui figuraient au départ parmi les grands favoris et qui n'ont pas gagné l'or vivent moins longtemps que les autres médaillés.
Autrement dit, ce qui nuit gravement à la longévité d'un athlète, c'est le fait de ne pas atteindre le résultat qu'on attendait de lui, et même qu'il attendait de lui-même. La vraie nuisance, ce sont des attentes trop élevées et le vide que l'on ressent après l'échec.
Cela étant, cette découverte n'est pas vraiment valable en ce qui concerne les sports collectifs. En effet, M. Leive a noté que la durée de vie des membres d'une équipe qui avait échoué alors qu'il était pressenti qu'elle gagnerait l'or n'était pas affectée par cette contre-performance. Pourquoi? «Vraisemblablement parce que le blâme ne peut pas être porté sur un individu en particulier, mais sur l'équipe entière. L'absence de point de comparaison objectif entre la performance individuelle des membres de l'équipe empêche les uns et les autres de se comparer entre eux, et donc de ressentir personnellement le poids de l'échec sur ses épaules», explique le chercheur.
Fascinant, n'est-ce pas?
Bon. Je vois d'ici les grognons de service qui vont avancer que ce qui nuit le plus à la santé des athlètes, c'est le dopage. Et que rares sont les médaillés d'or n'en ayant pas fait usage, la sophistication des services médicaux à leur disposition leur permettant d'éviter de se faire prendre lors des tests antidopage. À l'image de Lance Armstrong.
Mais ce raisonnement ne tient pas dans le cadre de cette étude. M. Leive en a pris grand soin. Comment? D'une part, en éliminant d'emblée de son échantillon les athlètes sanctions ou même soupçonnés de dopage durant leur carrière. D'autre part, en se disant que si le médaillé d'or avait été dopé, il y avait de fortes chances que les autres médaillés l'aient été aussi en ce cas, si bien que l'éventuel impact n'était plus pertinent d'un point de vue statistique.
Maintenant, que peut-on retenir de ces trouvailles pour qui se pique de management? Plusieurs choses :
> Misez sur la performance collective, pas sur la performance individuelle. Car qui court seul après une performance individuelle court à sa perte. Et inversement, qui court ensemble après une performance collective en ressort gagnant sur le plan de la santé.
> Faites taire votre ambition personnelle. Car l'ambition personnelle est un petit diable perché sur votre épaule qui ne se soucie aucunement de votre santé, mais juste de son menu plaisir. Si d'aventure vous lui prêtez une oreille attentive, vous allez le regretter amèrement : jamais satisfait, il vous en demandera toujours plus, jusqu'à l'échec dont vous ne vous relèverez pas. Votre santé va en pâtir directement, au point de réduire le nombre de vos années à vivre. En revanche, n'ayez pas peur de vous montrer ambitieux pour l'équipe dans laquelle vous évoluez : cela ne nuira en rien à votre santé, quoi qu'il advienne.
En passant, le poète français René Char a dit dans Feuillets d'Hypnos : «Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats».
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