L’efficacité. Un mot magique. Un mot terrifiant. Un mot qui, soyons honnêtes, est source de nombre de désillusions. Parce qu’à force de courir après, plus d’un a fini par tomber, à bout de forces. Et pourtant, il ne cesse de nous faire rêver…
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De fait, qui d’entre nous ne souhaite pas être plus efficace dans son travail ? Vraiment efficace, au point d’accomplir tâche après tâche sans donner l’impression de forcer. Un peu comme Usain Bolt lorsqu’il franchit la ligne d’arrivée du 100 mètres après quelques foulées amples seulement, en ralentissant même dans les derniers mètres, peut-être par peur de franchir le mur du son.
Eh bien, j’ai une excellente nouvelle pour vous aujourd’hui : j’ai mis la main sur une étude fabuleuse à ce sujet, intitulée Can time buffers lead to delays ? The role of operational flexibility. Celle-ci est le fruit du travail de : Milind Sohoni, professeur de gestion des opérations de l’École de commerce d’Inde à Hyderabad (Inde); et Sanjiv Erat, professeur d’innovation, technologie et opérations à l’École de management Rady à San Diego (Etats-Unis). Car elle montre en effet qu’il existe un moyen astucieux de devenir plus efficace que jamais dans votre travail…
Les deux chercheurs ont noté un détail curieux, en se penchant sur des données du Bureau of Transportation Statistics (BTS), qui compile une foule d’informations sur les vols d’avions aux États-Unis… Ils ont regardé deux choses, pour le mois de novembre 2012 : d’une part le temps que chaque vol avait prévu de passer au sol avant de décoller (temps nécessaire pour faire embarquer les passagers, faire le plein de carburant, charger les plateaux repas, etc.) ; et d’autre part le temps réellement passé au sol. Et ils ont remarqué – à leur plus grande surprise – que plus le temps prévu au sol était long (en général, supérieur à 30 minutes), plus les chances étaient élevées qu’il dépasse son deadline ! Autrement dit, plus l’équipe technique au sol a du temps devant elle pour accomplir toutes ses tâches, moins elle se montre efficace.
Bien entendu, je vous vois réagir d’ici, comme moi à la lecture de cette découverte : il s’agit là d’une simple illustration de ce que nous connaissons tous, malheureusement, à savoir la procrastination. Nous savons qu’il nous faut absolument accomplir les tâches X, Y et Z, et pourtant, nous traînons des pieds, justement parce que les tâches X, Y et Z nous barbent.
So what ? Justement, les deux chercheurs ont eu l’intelligence de ne pas faire ce raccourci. Ils ont creusé dans les données, histoire de voir ce qui pouvait bien expliquer un tel phénomène. Et pour ce faire, il ont mis au point un modèle de calcul économétrique visant à mettre en évidence ce qui amenait les équipes techniques au sol à être si peu performantes dès lors qu’elles étaient moins pressées par la montre que d’habitude. Est-ce dû, en fait, à la congestion de certains aéroports ? À l’impact de la météo ? À tout autre chose encore, susceptible de ralentir dans leur travail le personnel chargé de veiller à ce que l’avion décolle à l’heure dite ?
MM. Sohoni et Erat ont analysé quelque 22,2 millions de données issues de 20 compagnies aériennes évoluant dans 332 aéroports américains. Et ce, en braquant leur loupe sur l’équipe technique au sol. Qu’ont-ils ainsi découvert ? Rien de moins que ceci :
➢ Le désavantage d'accentuer la pression du temps. Lorsque l’équipe technique au sol sait qu’elle dispose de moins de temps que d’habitude pour accomplir toutes ses tâches avant le décollage, les chances sont élevées que l’avion décolle avec du retard. C’est-à-dire qu’à partir du moment où l’on exige du personnel qu’il aille plus vite qu’en temps normal, celui-ci va se mettre à aller moins vite que d’habitude.
➢ Le désavantage de diminuer la pression du temps. Lorsque l’équipe technique au sol sait qu’elle dispose de plus de temps que d’habitude pour accomplir toutes ses tâches avant le décollage, les chances sont élevées que l’avion décolle avec du retard. C’est-à-dire que l’allègement de la pression du temps rend le personnel moins performant que d’habitude.
➢ L'avantage de la flexibilité. Là où l’équipe technique au sol se montre la plus performante, c’est lorsqu’elle dispose d’une certaine flexibilité dans sa fenêtre de temps pour accomplir toutes ses tâches avant le décollage. C’est-à-dire que l’idéal est que le personnel ne ressente plus vraiment la pression du temps, que l’important pour lui n’est plus de lutter contre la montre (aller plus vite que d’habitude, faute de temps ; ou au contraire, pouvoir enfin lever le pied grâce au fait qu’on a plus de temps que d’habitude). Ce qui se produit, la plupart du temps, lors des périodes dites «creuses» des aéroports, où les avions ne décollent et n’atterrissent pas toutes les minutes.
Fascinant, n’est-ce pas ? Ce qui cause tant de retards dans les vols aériens, ce n’est pas tant la congestion des aéroports, mais plutôt la gestion du temps des équipes techniques au sol ! Il suffit qu’elles aient moins de temps que d’habitude, ou même plus, pour entraîner un retard au décollage. Il suffit, en vérité, de l’erreur managériale classique de dire aux employés qu’ils ont plus ou moins de temps que d’habitude, pour entraîner une contre-performance de leur part.
La solution ? Elle est on ne peut plus simple :
> Qui entend voir son équipe devenir plus efficace que jamais doit veiller à ce qu’elle ne lutte plus contre la montre. Car avoir sans cesse en tête que l’ennemi principal est le temps nuit à la performance d’un employé, et a fortiori d’une équipe de travail. Mieux vaut que chacun ait conscience qu’il a un certain nombre de tâches à accomplir, et surtout que la priorité est que chacune d’elles soit menée à bien. Dès lors, chacun sera soulagé d’un poids énorme sur les épaules, et brillera par son efficacité… sans même s’en rendre compte ! (Bien entendu, rien de mieux que de montrer vous-même l’exemple…)
En passant, l’écrivain espagnol Miguel de Cervantès a dit dans L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche : «Il faut donner du temps au temps».
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