Certains d'entre nous travaillent fort. Très fort. Très très fort même. Tant mieux, me direz-vous. Mais voilà, se pose une question à leur sujet, une question primordiale : travaillent-ils ainsi trop fort?
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Une étude m'a permis d'y voir plus clair à ce sujet. Cette étude, intitulée Work more, then feel more: The influence of effort on affective predictions, est signée par trois professeurs de psychologie : Gabriela Jiga-Boy, de l'Université de Swansea (Grande-Bretagne); Claudia Toma, de l'Université de Tilburg (Pays-Bas); et Olivier Corneille, de l'Université catholique de Louvain (Belgique). Elle montre en effet que s'investir à fond dans son travail peut représenter certains dangers…
Les trois chercheurs ont procédé à deux expériences pour déterminer l'impact émotif que peuvent avoir les efforts que l'on fournit dans le cadre de notre travail. Dans la première, ils ont demandé à 139 étudiants de différentes universités européennes de répondre à un questionnaire avant de soumettre à un jury l'article scientifique sur lequel ils travaillaient depuis des mois. Ce questionnaire permettait d'avoir des informations précises sur, entre autres :
– L'état psychologique dans lequel ils se trouvaient à l'instant présent;
– L'état psychologique dans lequel ils se trouveraient, d'après eux, si jamais le jury acceptait leur article pour une prochaine publication dans sa revue;
– Les efforts qu'ils ont fourni pour la rédaction de leur article;
– La qualité, d'après eux, de leur article.
Résultat? L'analyse de ces questionnaires a permis aux trois chercheurs d'apprendre ceci :
> Des efforts qui suscitent des attentes. Plus un participant s'est investi dans son travail, plus il estime que le fruit de son travail est bon, et plus il s'attend à en tirer de la satisfaction.
Dans la seconde expérience, il a été proposé à 35 étudiants de participer à un concours organisé par une agence de publicité renommée. À gagner : une prime monétaire et un stage au sein de cette agence. Que s'agissait-il de faire? Tout simplement d'inventer un slogan publicitaire pour une boisson énergisante.
Cela étant, les participants avaient été répartis dans deux groupes distincts, à leur insu :
– Avec effort. Certains avaient reçu pour consigne de prendre tout leur temps pour concocter un slogan qui tue, et il leur avait été suggéré pour cela d'en rédiger une multitude pour n'en sélectionner, à la toute fin, qu'un seul, le meilleur à leurs yeux. Car, leur avait-il été dit, l'agence prisait avant tout l'excellence.
– Sans effort. Les autres avaient reçu pour consigne de rédiger le premier slogan qui leur passait par la tête, et de fournir leur trouvaille le plus vite possible. Car, leur avait-il été dit, l'agence prisait avant tout les coups de génie.
Résultat, cette fois-ci? Le voici :
> Des efforts qui ne payent pas toujours. Comme dans la première expérience, plus un participant avait fourni d'efforts, plus il s'attendait à un bon résultat, et par suite à gagner le concours. Néanmoins – il faut le souligner –, les publicitaires qui ont jugé les slogans n'ont trouvé guère de différence entre ceux qui avaient nécessité de grands efforts et ceux qui n'en avaient nécessité aucun. Autrement dit, le résultat final n'avait pas été meilleur parce que les participants s'étaient investis dans leur travail.
Conséquence? Elle est cruelle :
> Un impact émotionnel démesuré. Plus on fournit d'efforts, plus grande est la satisfaction, en cas de succès. Mais son corolaire est tout aussi vrai : plus on fournit d'efforts, plus grande est la déconvenue, en cas d'échec. Bref, qui dit effort dit impact émotionnel élevé, voire démesuré.
Voilà. Lorsqu'on s'investit vraiment dans son travail, on s'expose à de vives émotions. Des émotions positives comme négatives, qui peuvent se révéler terribles à vivre. Et donc, difficiles à supporter.
Que retenir de tout cela? Ça me paraît fort simple :
> Qui entend savoir s'il s'investit trop dans son travail se doit d'évaluer les impacts émotionnels auxquels il s'attend en cas de succès comme d'échec. Sauteriez-vous de joie en cas de succès? Sombreriez-vous dans une profonde déprime en cas d'échec? Si la réponse est affirmative, alors c'est le signe que vous vous investissez trop dans votre travail. Que vous travaillez trop fort. Et que vous êtes en péril sur le plan émotionnel.
À présent, que faire si vous venez de réaliser que vous appuyez trop fort sur la pédale d'accélération? Eh bien, il vous suffit de lever un peu le pied. Progressivement. Même si cela vous semble a priori aller contre votre nature. Car vous agirez ainsi pour votre bien. Et répétez-vous à chaque instant que ce n'est pas pour autant que votre performance va en prendre un méchant coup : remémorez-vous, par exemple, l'expérience du slogan publicitaire, où ceux qui avaient dû donner le premier truc qui leur était passé par la tête avaient brillé tout autant que ceux qui s'étaient arraché les cheveux des heures durant…
En passant, l'écrivain français André Gide a dit dans Les faux-monnayeurs : «Les bons travailleurs ont toujours le sentiment qu'ils pourraient travailler davantage».
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