Je le répète souvent dans le blogue «En Tête» : chacun de nous – et donc moi le premier – est un "animal social". Oui, un "animal" qui a la particularité d'être "social", c'est-à-dire qui ne peut vivre autrement qu'en société, et mieux, qui tire de cette caractéristique son intelligence même. À noter que cette trouvaille n'est pas de moi, bien sûr, mais d'Aristote lui-même.
Et puis? Eh bien, avoir cette vision de soi et des autres est, d'après moi, fondamentale pour évoluer au mieux au sein de l'écosystème qu'est notre milieu de travail. Car cela nous permet de comprendre pourquoi les uns et les autres ont, à l'occasion, des comportements disons "animaux" : il est dans notre nature profonde de nous montrer, par exemple, agressif ou territorial. Et pourquoi, en jouant sur notre côté "social", on peut surmonter n'importe quelle difficulté : c'est en œuvrant ensemble, en équipe, qu'on peut, par exemple, transférer l'énergie de notre agressivité dans notre créativité.
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Ce n'est pas tout. Avoir conscience que nous sommes un "animal social" peut également nous prémunir de l'instinct grégaire, de ce vieux réflexe qui nous pousse à agir comme un mouton de Panurge, à suivre le troupeau sans réfléchir. De fait, nous avons souvent tendance à chercher à nous fondre dans la masse, à nous laisser porter par les événements, sans y penser. Et cela nous est néfaste. On ne peut plus néfaste, comme je l'ai découvert dans une étude intitulée Lost in the crowd: Entitative group membership reduces mind attribution. Une étude signée par : Carey Morewedge, professeur de marketing à l'École de commerce Tepper à Pittsburgh (États-Unis); Jesse Chandler, professeur en science du comportement à l'Université du Michigan à Ann Arbor (États-Unis); Robert Smith, professeur de marketing à la Faculté de commerce Fisher à Columbus (États-Unis); Norbert Schwarz, professeur de psychologie à l'Université de Californie du Sud à Los Angeles (États-Unis); et Jonathan Schooler, professeur de psychologie à l'Université de Californie à Santa Barbara (États-Unis)
Ces cinq chercheurs ont procédé à cinq expériences visant à voir comment les participants considéraient les individus faisant partie d'un groupe. Et ce, dans différents cas de figure : quand le groupe est nombreux et les gens physiquement très rapprochés; quand le groupe est peu nombreux et les gens physiquement espacés; quand les gens portent tous le même uniforme; etc. L'idée était de voir si notre regard sur autrui, lorsqu'il figure au sein d'un groupe, changeait en fonction de certains critères, ou pas.
Résultats? Ils sont révélateurs de la fâcheuse tendance de notre cerveau à généraliser :
> Nombre. Plus le groupe est nombreux, moins nous considérons que chaque individu a sa personnalité propre. C'est-à-dire que nous percevons alors autrui comme une personne totalement anonyme.
> Densité. Plus le groupe est compact, moins nous considérons que chaque individu a sa personnalité propre.
> Homogénéité. Plus le groupe est homogène, moins nous considérons que chaque individu a sa personnalité propre. Et à plus forte raison lorsque les membres du groupe se ressemblent physiquement entre eux (par exemple, lorsqu'ils revêtent tous le même uniforme).
«Savoir que les membres d'un groupe portent tous le même uniforme ne suffit pas à les rendre anonymes pour nous. C'est à partir du moment où on les voit vraiment, de nos yeux vu, qu'ils perdent toute individualité, pour ne pas dire personnalité», disent les chercheurs américains dans leur étude. Autrement dit, c'est a priori paradoxal, mais pourtant véridique : autrui ne s'estompe à nos yeux que lorsqu'on l'a en face de nous, un parmi une multitude.
Et d'illustrer : «Un patron qui perçoit les ouvriers de son usine comme de simples unités de la masse salariale aura moins de scrupules à licencier que s'il connaît chacun d'eux personnellement, au point de même connaître les prénoms de leurs femme et enfants. Car lorsque quelqu'un est noyé dans la masse, il nous est beaucoup plus complexe d'éprouver de l'empathie pour lui».
Que retenir de tout cela? Ça me paraît évident :
> Qui entend briller au travail se doit absolument de se distinguer des autres. L'important est de miser sur ce qui nous rend différent des autres, de tout faire pour ne jamais entrer dans le moule. Et de miser à fond sur cette différence. Oui, à fond. Y compris si l'on croit que ce qui nous différencie est une faiblesse : quelqu'un de petite taille, par exemple, pourrait en faire un complexe et se dire qu'il ne pourra jamais être un leader à cause de cela; or, il pourrait aisément surmonter ce "handicap" en tirant profit du fait qu'aux yeux des autres il est différent, et donc normal qu'il se comporte de manière hors-norme, par exemple en prenant le lead lors des réunions de brainstorming; si bien qu'il peut devenir, s'il le souhaite, le champion de la créativité au sein de son équipe. Vous voyez?
Maintenant, me direz-vous, comment faire pour jouer de ce qui est unique en nous? La réponse est simple : usez de votre chutzpah. Du quoi? Du chutzpah, un terme hébreu qui signifie à la fois "arrogance", "audace", "impertinence" et "absence de honte". Soit cette faculté que nous avons tous, mais que nous préférons taire en général, de nous montrer en même temps pertinent et impertinent.
Prenons un exemple concret. Connaissez-vous OK Go? Peut-être que oui, peut-être que non. Ce groupe de rock américain est réputé pour le raffinement et l'excentricité de ses clips vidéo, à l'image du tout dernier, celui de la chanson I won't let you down. Une réputation qui découle du fait que chacune de ses œuvres est marquée par le chutzpah.
En effet, OK Go tient par-dessus tout à exceller dans la différence. À miser à l'extrême sur sa différence. Il a notamment décidé très tôt de ne faire aucun effort promotionnel pour passer à la radio ou sur des chaînes télévisées comme MTV, pour se concentrer exclusivement sur YouTube. Ce qui l'a logiquement amené à soigner la facture de ses clips vidéos : le concept est toujours le même, à savoir un plan séquence unique époustouflant. À la clé, un succès phénoménal : le clip de I won't let you down a été mis en ligne le 27 octobre, et il a été d'ores et déjà vu plus de 11 millions de fois.
Quand je vous dis que le travail est soigné, quelques chiffres vous en convaincront : le clip vidéo en question a nécessité la collaboration de 2 300 personnes; la chorégraphie a été répétée 60 fois sur place; la chorégraphie a été tournée 44 fois; le plan séquence a été réussi 11 fois, et seulement 3 ont été d'une qualité "acceptable". Vous comprenez mieux, maintenant, ce que peut pousser à faire le chutzpah? Et surtout, la magie qui en découle?
Pour finir, un dernier mot pour vous indiquer que le chutzpah attire le chutzpah. Le clip vidéo de I won't let you down a été tourné dans un des laboratoires de R&D les plus secrets de Honda, et les membres du groupe OK Go ont eu le privilège de se servir de la toute dernière version de l'Uni-Cub, ces petits robots mobiles qui permettent de se déplacer dans n'importe quelle direction sans perdre l'équilibre, et qui sont l'une des nombreuses déclinaisons technologiques du robot Asimo. Comme quoi, le chutzpah d'OK Go a charmé celui de Honda, et de la rencontre des deux est née une véritable merveille.
En passant, le poète ukrainien Vasyl Symonenko a dit dans Moi : «Ils sont innombrables ceux qui me ressemblent, et moi, cependant, je demeure unique».
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