BLOGUE. Mille et une bonnes raisons poussent toujours les entreprises à changer de locaux : en pleine croissance, elles se doivent d'agrandir leurs espaces de bureau; en récession, elles se doivent de payer le moins cher possible du mètre carré; etc. Et ce, avec l'idée sincère que cela sera pour le plus grand bien des employés, la force vive de l'entreprise : ce sera l'occasion, par exemple, d'offrir de meilleures conditions de travail (bureaux neufs, nouveaux ordinateurs, etc.).
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Mais voilà, cela se produit à de rares exceptions près avec un oubli majeur : quelqu'un a-t-il demandé au préalable l'avis des employés? Oui, leur a-t-on demandé ce qu'ils en pensaient, si c'était, à leurs yeux, la meilleure solution pour remédier aux difficultés rencontrées? Pas vraiment, n'est-ce pas?
C'est là une grossière erreur. Car les conséquences d'un tel déménagement sont dramatiques pour la santé des employés. Si, si,… C'est ce que montre clairement une étude intitulée Losing heart? The effect of job displacement on health, signée par trois professeurs d'économie : Sandra Black, de l'Université du Texas (États-Unis); Paul Devereux, de l'University College Dublin (Irlande); et Kjell Salvanes, de l'École d'économie de Norvège à Bergen (Norvège).
Ainsi, les trois chercheurs se sont demandé si le déplacement d'employés d'un lieu à un autre à la suite d'une initiative de l'équipe de direction de leur entreprise avait le moindre impact sur la santé de ceux-ci. La santé physique, plus précisément.
Pour en avoir un début d'idée, ils se sont plongés dans d'immenses bases de données norvégiennes. Soit :
> Le Registre norvégien, qui regroupe toutes les informations démographiques et administratives de chaque personne résidant dans le pays (nom, âge, sexe, résidence, niveau d'éducation, revenus, etc.).
> La Cohorte de Norvège (CoNor), qui consiste en un vaste sondage sur la santé des personnes résidant en Norvège (état de santé général, utilisation de médicaments, historique médical familial, etc.).
> Le Programme 40, qui représente un sondage encore plus poussé sur la santé des personnes vivant en Norvège et ayant entre 40 et 42 ans.
Mme Black et MM. Devereux et Salvanes se sont concentrés sur un certain type de personnes, à savoir celles ayant passé la quarantaine et qui ont subi un déplacement professionnel. Ils ont regardé l'évolution de la santé de celles-ci sur une période de temps allant de de 5 ans avant le déménagement à 7 ans après celui-ci. Et ce, en scrutant de près les éventuelles maladies cardiovasculaires, vu que celles-ci sont aisément détectables et très dommageables (aux États-Unis, par exemple, les crises cardiaques font tous les ans plus de morts que le cancer…). Puis, ils ont procédé à des calculs de régression linéaire, histoire de vérifier la solidité des résultats trouvés.
Les résultats trouvés? Ébouriffants…
> Un effet négatif. Tout déplacement professionnel involontaire a un effet négatif sur la santé d'un employé qui a franchi le cap de la quarantaine, qu'il soit un homme ou une femme.
> Un risque cardiaque. Cet effet négatif est un risque plus élevé de souffrir d'une maladie cardiaque dans les années suivant le déplacement.
> À cause de la cigarette. Ce risque plus élevé provient la plupart du temps d'une même raison : l'employé se met dès lors à fumer davantage et garde cette fâcheuse habitude de griller cigarette sur cigarette dans les années qui suivent.
> Le conjoint épargné. Cette détérioration de l'état de santé de l'employé n'a pas – heureusement – de répercussion directe sur son conjoint.
Autrement dit, les fumeurs, anxieux à cause de leurs changements professionnels, ont le réflexe de fumer chaque jour un peu plus au travail. Ce faisant, ils goudronnent leurs poumons, noircissent les globules qui en sortent, et surtout carbonisent leur cœur, au risque de finir par le faire éclater. C'est aussi bête que ça.
Auriez-vous imaginé une telle conséquence à un simple déménagement de bureau? Non, j'en suis convaincu. Pourtant, elle est bien là, terrible, effrayante.
Maintenant, comment faire pour l'éviter? Il se peut, en effet, que l'entreprise soit bel et bien contrainte de changer de locaux, qu'elle n'ait pas le choix. Eh bien, ça ne semble pas trop sorcier : le problème, c'est l'anxiété due au changement. Il faut donc s'attaquer à celle-ci, de front.
Une piste à envisager, à mon avis, est de s'armer d'un bon programme de communication auprès des employés, et de ne surtout pas croire a priori que ceux-ci vont voir par eux-mêmes tous les avantages qu'il peut y avoir à avoir du neuf dans sa vie professionnelle. Une idée, comme ça : organisez un sondage sur ce que l'entreprise pourrait améliorer dans la vie au travail à l'occasion de l'aménagement dans les nouveaux locaux, et mettez en pratique les meilleures idées émises.
En passant, les humoristes français Pierre Dac et Francis Blanche ont dit dans l'un de leurs inénarrables sketches : «Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement».
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