Le manque d'éthique. Ça nous choque toujours. Surtout lorsqu'on connaît la personne qui en est coupable ou qui en est victime. Et on condamne ce genre de comportement sans hésiter, avec la plus grande fermeté, que le crime soit grand ou petit. Pas vrai?
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Eh bien, non, ce n'est pas vrai. Désolé de vous l'apprendre. Oui, désolé de peut-être même de vous choquer, mais ce n'est pas vrai du tout. C'est ce que j'ai découvert grâce à l'étude intitulée Money, moral transgression, and blame, signée par : Xinyue Zhou, professeur de psychologie à l'École de commerce de l'Université nationale Sun-Yat-Sen à Kaohsiung (Taïwan), assisté de ses étudiantes Wenwen Xie et Boya Yu; Constantine Sedikides, professeur de psychologie à l'Université de Southampton (Grande-Bretagne); et Kathleen Vohs, professeure de marketing à l'École de management Carlson (États-Unis).
Ainsi, les cinq chercheurs ont voulu savoir si l'on s'offusquait de la même manière, ou pas, lorsqu'on est témoin d'un crime, quand celui-ci est grand et quand celui-ci est petit. Ils ont mené une expérience amusante pour le savoir…
Il a été demandé à 160 volontaires de se prêter à une expérience qui portait, leur avait-on dit, sur la patience. Il s'agissait, pour se faire un peu d'argent de poche, de faire tourner une attache autour d'un bâton pendant dix minutes. Chaque participant se trouvait dans une petite salle, avec une autre personne qui accomplissait la même tâche, mais sans savoir qu'il s'agissait d'un comédien.
Passé les dix minutes, un examinateur visiblement pressé entrait dans la salle et demandait à l'autre personne un service : appeler au téléphone un participant potentiel à l'expérience et le convaincre de venir, en usant de n'importe quel argument. L'autre acceptait et s'exécutait en mentant éhontément à la personne au bout du fil, une fois l'examinateur parti. Puis, l'examinateur revenait et récompensait l'autre personne, au vu et au su du participant, en lui donnant, de la main à la main :
> Soit 1 yuan (environ 15 cents);
> Soit 50 yuans (un peu plus de 8 dollars).
Enfin, l'examinateur remerciait le vrai comme le faux participant pour leur collaboration, et le comédien s'arrangeait pour serrer la main au vrai participant, en guise d'au revoir.
La subtilité de l'expérience était dès lors la suivante : le participant, avant de s'en aller, était invité à se laver les mains. Et les chercheurs en profitaient pour mesurer le temps pris pour cette opération a priori banale, mais qui ne l'es pas : des études ont montré que plus on a quelque chose de sale sur la conscience, plus on prend de temps à se laver les mains au moment où l'on est préoccupé par ce qu'on a en tête. Astucieux, n'est-ce pas?
Le résultat a été sans équivoque :
> Un état de choc variable. Les participants ont été plus choqués par le mauvais comportement du comédien lorsque ce dernier était peu rémunéré (15 cents) que lorsqu'il était mieux rémunéré (8 dollars).
Autrement dit, pour un même manque d'éthique, nous ne réagissons pas de la même façon. Car nous nous offusquons davantage quand le comportement répréhensible est peu récompensé que lorsqu'il l'est grassement.
Les cinq chercheurs ont tenu à effectuer une autre expérience, histoire de s'assurer de la validité de leur trouvaille. Une fois de plus, celle-ci était révélatrice de notre nature profonde.
Là, 184 volontaires ont dû regarder un court vidéo, sachant qu'ils ne voyaient qu'une seule des trois versions existantes. À chaque fois, on y voyait un homme bousculer méchamment un autre dans la rue pour s'assurer de mettre la main sur un billet qui traînait par terre. Ce billet était :
> Soit de 50 yuans (environ 8 dollars);
> Soit de 300 yuans (environ 50 dollars);
> Soit de 2 000 yuans (environ 320 dollars).
Résultat? Identique à l'expérience précédente : plus le montant d'argent empoché est faible, plus le criminel est blâmable, aux yeux du témoin. À un détail près…
Il appert que le montant de 50 dollars représentait, dans le cas présent, un point d'inflexion. Qu'est-ce à dire? Que ce montant-là correspondait au montant où l'opinion des témoins basculait. De fait, quand le criminel agissait pour empocher le billet de 50 dollars, les participants étaient très peu choqués. Et quand cela concernait le gros billet d'environ 320 dollars, alors là, ils n'étaient plus choqués du tout. Un tel comportement leur semblait quasiment aller de soi : si ça avait été eux qui avaient vu le gros billet par terre, ils auraient été bien tentés de bousculer autrui pour mettre la main sur l'argent!
Que retenir de tout ça pour qui se pique de management? Une chose fort simple, à mon avis :
> Tolérance zéro. Ne laissez jamais passer le moindre manquement à l'éthique au sein de votre équipe. Et surtout ceux qui vous paraissent petits, car ce sont, en fait, les plus choquants aux yeux de ceux qui en ont vent.
En passant, le poète français Pierre Reverdy a dit dans Le Livre de mon bord : «L'éthique, c'est l'esthétique de dedans».
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