BLOGUE. C'est quelque chose qui nous arrive souvent. Nous sommes en train d'accomplir une tâche et, en toute insouciance, nous nous mettons à penser à autre chose. Nous assistons à une réunion de bureau, et nous songeons qu'en partant ce soir il faudra acheter du pain à la boulangerie, en imaginant déjà lequel nous ferait le plus plaisir. Nous conduisons, et nous nous souvenons de ce mauvais quart d'heure qu'on a passé aujourd'hui au travail. Ou encore, nous mangeons, et nous rêvons au prochain film qu'on aimerait voir au cinéma, le week-end prochain. Petite question : ce comportement est-il un signe de distraction? Autrement dit, un indicateur de notre incapacité à nous concentrer longtemps sur des tâches pourtant importantes?
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Pour le savoir, il convient de regarder ce qui se passe dans notre tête quand notre esprit se met ainsi à vagabonder. Et c'est justement ce que nous apprend l'étude The persistence of thought: Evidence for a role of working memory in the maintenance of task-unrelated thinking signée par Richard Davidson, directeur du Laboratoire de neuroscience affective de l'Université du Wisconsin (États-Unis), assisté de son étudiant Daniel Levinson, et par Jonathan Smallwood, chercheur en neuroscience sociale de l'Institut Max-Planck (Allemagne). Les trois chercheurs ont voulu en savoir un peu plus sur ce qu'on appelle la "mémoire de travail"…
Ainsi, notre esprit vagabond en moyenne – tenez-vous bien! – la moitié du temps. Faire une chose et penser à une autre en même temps est donc une activité mentale tout à fait normale. C'est ce qu'ont montré par le passé de nombreuses études (Giambra, 1995 ; Killingsworth & Gilbert, 2010 ; Klinger & Cox, 1987-88 ; etc.). L'intéressant est de savoir si cela nuit, ou pas, à l'activité que l'on est en train de mener à chaque fois que cela se produit.
Or, il semble que ce ne soit pas facile à dire, car il y a deux camps opposés à ce sujet. Certains affirment que penser à autre chose accapare une grande partie de nos facultés mentales, ce qui nuit forcément à notre performance : l'idée est que si l'on a l'esprit ailleurs, on est moins présent, et donc moins efficace (Smallwood & Schooler, 2006 ; Teasdale, Proctor, Lloyd & Baddeley, 1993). D'autres, au contraire, que vagabonder mentalement n'a aucun impact sur notre "mémoire de travail", c'est-à-dire grosso modo sur la partie de notre cerveau impliquée dans la tâche accomplie (McVay & Kayne, 2009, 2010 ; etc.).
Qui a raison? Qui a tort? MM. Davidson, Levinson et Smallwood ont procédé à deux expériences pour en avoir le cœur net.
Dans la première, les trois chercheurs ont demandé à 93 étudiants de l'Université du Wisconsin d'effectuer une tâche très simple : appuyer sur une touche de clavier dès qu'apparaissait à l'écran une lettre donnée. À intervalles réguliers, ils leur demandaient s'ils pensaient à ce qu'ils étaient en train de faire, ou à tout autre chose. Une fois l'exercice terminé, la capacité de la "mémoire de travail" de chacun était évaluée par un petit test : mémoriser une série de lettres tandis qu'on leur posait des questions de mathématique simples.
Dans la seconde expérience, 45 étudiants de la même université ont dû se relaxer pendant six minutes, taper sur une table au rythme de leur respiration durant 20 minutes, se concentrer sur leur respiration pendant neuf minutes, puis remplir un questionnaire. Enfin, la capacité de leur "mémoire de travail" a été évaluée à la suite de cet exercice.
Résultat? Fort intéressant : ceux dont l'esprit était le plus vagabond étaient aussi ceux qui affichaient les plus grandes capacités de "mémoire de travail". C'est-à-dire qu'avoir l'esprit qui vagabonde ne nuit en rien à l'activité en cours. Nous ne sommes pas en danger imminent de collision en voiture parce que nous pensons à un fait saillant de notre journée de travail. Et nous ne ratons rien non plus de la réunion à laquelle nous assistons, même si, un temps, nous réfléchissons à tout autre chose. Bref, le fait de vagabonder ne mine pas notre efficacité.
Il se pourrait même que cela présente certains avantages, comme l'avance l'étude. «Nos résultats suggèrent même que lorsqu'on a l'esprit qui vagabonde, notre "mémoire de travail" se fait plus efficiente, surtout quand il s'agit de se projeter dans un futur à court terme», indique-t-elle. Que faut-il entendre par là? Que l'on est, par exemple, très efficace au volant quand on pense à mille et une autres choses que notre conduite : on trouve notre chemin plus aisément, on anticipe mieux la circulation autour de nous, etc. C'est un peu comme si le cerveau atténuait de lui-même les informations liées à la conduite, tout en restant vigilant à la moindre alerte, pour pouvoir nous laisser vagabonder.
Par conséquent, ne vous effrayez plus désormais chaque fois que vous vous surprendrez à rêver éveillé au bureau. Car vous êtes alors peut-être plus efficace que jamais!
En passant, l'écrivain italien Cesare Pavese a dit dans Le Métier de vivre : «Le rêve est une construction de l'intelligence à laquelle le constructeur assiste sans savoir comment cela va finir».
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