Vous et votre équipe, vous avez échoué. Lamentablement. Et cela a fait mal à chacun de vous. Que va-t-il en résulter? Le moral de l'équipe va-t-il s'effondrer? Les bras vont-ils devenir ballants, et les épaules, plier? Certains vont-ils même renoncer, et songer à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte?
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À toutes ces interrogations, j'imagine que vous êtes tenté de répondre spontanément "oui". D'autant plus que vous avez probablement déjà vécu une telle situation durant votre carrière. Et j'aurais moi aussi répondu comme vous si je n'étais pas tombé sur une étude intitulée Shared negative experiences lead to identity fusion via personal reflection et signée par quatre chercheurs de l'Institut d'anthropologie cognitive et évolutionniste de l'Université d'Oxford (Grande-Bretagne) : Jonathan Jong, Harvey Whitehouse, Christopher Kavanagh et Justin Lane. Une étude qui a changé du tout au tout ma vision de l'échec collectif, et qui pourrait bien changer la vôtre également...
Ainsi, les quatre chercheurs d'Oxford ont procédé à différentes expériences visant à regarder un point précis de l'impact psychologique que peut avoir un événement collectif dramatique sur une personne. Quel point, au juste? Eh bien, ils se sont demandé si l'on ressortait d'une expérience dramatique plus soudé que jamais avec les autres, ou pas.
Pour s'en faire une idée, ils ont dans un premier temps demandé à une centaine de Républicains (catholiques) et à une centaine d'Unionistes (protestants) d'Irlande du Nord de bien vouloir répondre à un questionnaire détaillé à propos de leur expérience du conflit nord-irlandais, qui a duré toute la seconde moitié du 20e siècle. Objectifs : d'une part, évaluer l'importance du traumatisme de chacun; d'autre part, estimer le degré de fusion identitaire de chacun avec sa communauté.
Dans un deuxième temps, ils ont présenté le même type de questionnaire à une centaine de victimes directes ou indirectes de l'attentat du marathon de Boston, qui était survenu le 15 avril 2013 et qui avait fait trois morts et 264 blessés. Les participants à cette expérience n'ont, bien sûr, pas tous été blessés à cet occasion, mais cela ne les a pas prémuni pour autant de tout traumatisme, du simple fait qu'ils étaient soit présents sur les lieux, soit résidants non loin de là à ce moment-là.
Enfin, ils ont regardé s'il y avait le moindre lien de cause à effet entre le fait de vivre une expérience traumatisante et le fait de ressentir un sentiment d'appartenance avec ceux qui ont vécu la même chose que soi. Tout simplement.
Résultat? Le voici :
> Un spectaculaire 'fusion identitaire'. Partager une expérience traumatisante soude une personne aux autres comme jamais. Et ce, surtout si cette expérience a amené la personne à réfléchir sur sa propre existence. Car tout cela crée une véritable 'fusion identitaire', c'est-à-dire un sentiment d'appartenance au groupe concerné d'une puissance extrême.
Autrement dit, lorsqu'on vit un drame, c'est plus fort que nous, on fusionne psychologiquement avec toutes les autres personnes qui ont vécu les mêmes événements traumatisants que nous. Ce phénomène est non seulement instantané, mais durable. Il s'agit, je le souligne, d'une réaction qui dépasse la raison, et même l'entendement, dirais-je.
Pourquoi vais-je si loin? Parce que les quatre chercheurs d'Oxford ont noté que des études similaires avaient été menées avant la leur auprès de nazis SS, de kamikazes japonais de la Seconde Guerre mondiale, ou encore de candidats au suicide de groupuscules terroristes islamistes. Et que leurs résultats étaient semblables : le fait d'avoir vécu - ou commis - des atrocités les avait traumatisé, et surtout, cela avait soudé les personnes concernées au groupe à tel point qu'elles ne voyaient aucun inconvénient à se sacrifier au profit de celui-ci. Dans la même veine, mais à une plus petite échelle, des combattants de la révolution libyenne de 2011, qui avait vu le renversement du dictateur Mouammar Kadhafi, ont affirmé dans le cadre d'une étude qu'ils préféraient aujourd'hui leur unité de combat à... leur propre famille!
Vous saisissez, maintenant, quand je dis que l'attachement que l'on peut éprouver à l'égard d'un groupe à la suite d'un drame peut dépasser l'entendement? Cela peut vraiment aller loin. Très loin. Jusqu'au sacrifice de sa personne. Ni plus ni moins.
Faut-il en conclure que l'étude des quatre chercheurs d'Oxford n'apporte-t-elle donc rien de neuf? Pas du tout! Elle apporte même quelque chose de remarquable, à savoir l'explication de ce curieux phénomène. À tout le moins, l'une des principales explications. Qui est que ce qui déclenche cet attachement aux autres, c'est le fait d'avoir été amené à réfléchir à notre propre existence. D'avoir vu la fin si proche. D'avoir perçu toutes les possibilités ouvertes d'un seul coup, puisqu'on est toujours en vie. D'avoir désormais envie de voir et d'aller plus haut et plus loin avec tous ceux qui sont comme nous, oui, tous ceux qui vibrent à présent comme nous.
La déduction est aisée :
> Qui entend empêcher l'implosion de son équipe à la suite d'un échec cuisant se doit de miser sur l'effet de 'fusion identitaire'. Il lui faut inciter chacun à faire une mise au point personnelle, puis à partager le fruit de ses réflexions (du moins, d'une partie d'entre elles) avec tous ceux qui ont vécu la même chose que lui. Pourquoi? Parce que cela déclenchera un liant exceptionnel entre les membres de l'équipe, un liant à la fois instantané et durable, bref, un liant d'une force à nulle autre pareille. Et parce que cela lui permettra d'amener tout le monde à relever fièrement de tout nouveaux projets, y compris les plus audacieux qui soient.
En passant, le tragique grec Euripide a dit dans ses Fragments : «Le courage n'est rien sans la réflexion».
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