Je viens de dévorer un livre, comme il y a longtemps que je n'en avais pas dévoré un. Un livre fa-bu-leux. Je pèse mes mots.
Son titre : Vers une société plus altruiste (Allary Éditions, 2015). Ses auteurs : le moine bouddhiste Matthieu Ricard et la chercheuse en neurosciences Tania Singer. Son objet : présenter les conversations que des scientifiques et des économistes ont récemment eues avec le dalaï-lama à propos de l'altruisme et de la compassion dont est capable l'être humain, et de la manière dont on pourrait en tirer parti pour fonder une meilleure société. Rien de moins.
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C'est à cette occasion que Bill George, professeur de management à Harvard, a dévoilé sa vision de l'avenir du leadership, et donc, des vertus dont devront disposer les leaders de demain s'ils entendent briller au quotidien. Une vision que je me fais un plaisir de partager avec vous...
«Nous faisons face aujourd'hui à une grave crise de l'emploi au niveau mondial ; les gens n'ont pas de travail. Or, travailler est considéré comme une chose positive et importante, à tel point que la perte d'un emploi provoque de profonds ravages chez la personne concernée et son entourage. Il nous faut par conséquent revenir à la base : redonner un sens à notre vie, en particulier au travail.
«Il est important de réfléchir aux causes de l'échec. Et d'exprimer, ainsi, ma déception envers les leaders de ma génération. Je pense qu'ils n'ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités. Une étude de la Harvard Kennedy School a d'ailleurs montré que deux Américains sur trois ne font plus confiance aux dirigeants d'entreprise, ne croient plus en leurs valeurs, n'ont plus foi en leur éthique. La situation est très grave.
«Je crois que la cause profonde du problème vient de ce que les leaders ont fait passer leurs intérêts personnels avant leurs responsabilités envers les organisations et le public. Ceux d'entre nous qui endossent un rôle de leader ont une profonde responsabilité à l'égard des gens qu'ils servent. Si leurs propres intérêts passent avant ceux de la société, ils manquent à leurs devoirs et provoquent immanquablement de graves préjudices.
«J'observe de surcroît la prédominance de motivations extrinsèques chez eux, c'est-à-dire la recherche forcenée de l'approbation du monde extérieur. En d'autres termes, au lieu de chercher la paix intérieure, ils ambitionnent l'adulation. Au lieu d'éprouver la satisfaction de venir en aide aux autres, de s'engager dans des rapports durables et profitables pour tous, et d'engendrer des bienfaits pour tout le monde, ils courent après l'argent, le pouvoir, la reconnaissance et la gloire.
«Voilà pourquoi il est impératif que survienne une nouvelle génération de leaders, des personnes sincères et compassionnelles. Des gens qui considèrent que diriger, c'est être au service d'autrui et de la société, et qui mettent ces valeurs en pratique tous les jours. Loin de se contenter de proclamer ces valeurs, il leur faut les appliquer au quotidien.
«Car diriger avec la seule intelligence ne suffit pas : il faut engager tout son être dans une forme de gouvernance holistique. Cela dit, je n'essaie pas ici de diminuer le rôle de l'intellect. Je veux dire par là que nous devons diriger aussi avec nos coeurs, parce que c'est ainsi que nous établissons une authentique réciprocité. Ce qui exige une véritable discipline de vie personnelle.
«Afin que cette nouvelle génération de leaders advienne, il faut écarter cette forme de leadership qui fonctionne du haut vers le bas. Pendant de nombreuses décennies, nous avons considéré que la personne au sommet de la hiérarchie était toute-puissante - et nous l'avons prise pour modèle - au lieu de chercher, à chaque niveau, la personne la plus à même de s'imposer et de diriger.
«Les désirs des gens sont en train de muter. Ils ont appris à leurs dépens que l'argent n'est pas une fin en soi. Ils sont en quête de sens dans leur vie. Chez Medtronic, l'entreprise qui, sous ma direction, a vu sa capitalisation passer de 1 à 60 milliards de dollars, grâce à une progression moyenne de 35% par an, nous avions pour mission de rendre la santé aux gens, voire de les ramener à la vie. Pour nous, la bonne façon de nous jauger ne consistait pas à comptabiliser les dividendes, mais le nombre de personnes que nous avions aidées. Quand je dirigeais cette entreprise, ma plus grande fierté a été d'avoir, grâce à notre travail, fait passer de 300.000 à 10 millions par an le nombre de personnes qui ont pu reprendre une vie normale, voire plus enrichissante qu'auparavant. Je me suis toujours efforcé de transmettre cette vision aux employés de Medtronic, de leur faire saisir que la cotation en Bourse et les profits n'étaient en rien une source d'inspiration.
«De nos jours, le rôle de dirigeant d'entreprise est différent de celui du siècle passé. En premier lieu, il lui faut réussir à rassembler les gens autour d'une mission qui a du sens, parce que fondée sur de belles valeurs. Il lui faut créer une véritable communauté ayant foi dans les objectifs visés par l'entreprise. Ce qui n'est pas une mince affaire, il faut le reconnaître, surtout lorsque les bureaux de l'entreprise sont implantés un peu partout sur la planète.
«En second lieu, il lui faut arrêter d'exercer son pouvoir sur les autres, et donc, de croire que lorsqu'on accorde davantage de pouvoir à autrui, on en perd nécessairement. En vérité, diriger consiste à responsabiliser les autres afin qu'ils puissent diriger à leur tour. Ce qui, quand on y regarde bien, ressemble à une certaine forme d'amour. Lequel - et c'est là sa grande force - peut se reproduire à l'infini. Si l'on y réussit, on a alors des organisations baucoup plus fortes, et chacun est alors en mesure de contribuer au bien d'autrui, en utilisant ses capacités de manière optimale.
«Permettez-moi de vous citer l'exemple d'une femme que j'ai rencontrée chez Medronic, il y a de nombreuses années. Elle fabriquait des valves cardiaques, et était la meilleure technicienne de notre usine à cet égard. Un jour où je l'interrogeais sur son travail, elle m'a dit, les yeux pétillants de passion : «Mon travail consiste à faire des valves cardiaques qui sauvent des vies. J'en fabrique un millier par an, en sachant que si l'une d'elles est défectueuse, quelqu'un en mourra. Et je ne pourrais jamais vivre avec l'idée d'avoir causé la mort d'une autre personne». Puis, elle a ajouté : «Vous savez, quand je rentre chez moi le soir, je pense aux 5.000 personnes dans le monde qui sont vivantes et en bonne santé grâce aux valves que j'ai produites».
«Cette femme est l'exemple même d'un leader pleinement responsabilisé. Bien qu'elle n'ait pas une fonction officielle de leader, elle est incontestablement une source d'inspiration pour chacun de nous. On prétend en effet que nous, dirigeants d'entreprise, nous sommes là pour servir les intérêts des investisseurs et des actionnaires. C'est vrai dans une certaine mesure, mais au-delà de ça, notre fonction est de servir les employés et les clients. Nous sommes des dirigeants au service d'autrui. Et si nous faisons notre travail correctement, en allant dans ce sens, alors chacun fera de même. C'est bien simple, dès lors que nous estimons que les autres sont à notre service, nous échouons. (...)
«À Harvard, nous avons mené une série d'entretiens personnels avec 125 dirigeants d'entreprise. Qu'est-ce qui, dans leur vie, leur a insufflé la passion de diriger? Comment ont-ils traversé les moments difficiles de leur existence? Etc. Résultat? Nous avons découvert que leur désir de diriger ne venait pas de traits de caractère uniques, ni de caractéristiques spécifiques. Mais qu'il dépendait de leur personnalité, de leurs aspirations intérieures et de leurs parcours de vie. Nous avons également appris qu'on ne naît pas leader, mais qu'on le devient.
«En conséquence, nous devons trouver le moyen d'accroître notre capacité à diriger en tant que serviteur d'autrui. Le psychologue américain Daniel Goleman a introduit la notion d'intelligence émotionnelle. Je pense que nous ne consacrons pas assez de temps en milieu scolaire à développer cette aptitude, alors qu'elle est au coeur des questions que nous nous posons tous : Comment devenir conscient de ce que je suis sur Terre? Comment comprendre mon histoire? Comment reconnaître et résoudre les sources de ma colère, de ma peur et de mon insécurité? Comment développer une vértable humilité? Enfin, comment concevoir le but de ma fonction de leader? Comment diriger, au juste? Comment contribuer à améliorer la société?
«Pour ma part, je médite depuis trente-quatre ans, et je recommande la méditation à toute personne souhaitant progresser intérieurement. La méditation représente l'élément le plus important du développement de ma fonction de dirigeant d'entreprise. Pourquoi? J'ai compris que le processus de la méditation m'offre une plus grande clarté d'esprit au moment d'aborder des problèmes complexes. Elle engendre une pensée empreinte de cérativité. Et surtout, elle déclenche en moi de la compassion. (...)
«Pour conclure, je pense que nous avons vraiment besoin d'une nouvelle génération de leaders, empreints de compassion, capables d'influencer positivement les milliers de personnes avec lesquelles elles interassent quotidiennement. Il faut nous engager à former davantage de leaders susceptibles de chérir ces vertus. Je ne parler pas seulement des dirigeants d'entreprise, qui sont au sommet, mais de tous ceux qui se trouvent à tous les niveaux de l'entreprise. Car c'est là le seul moyen d'introduire l'altruisme et la compassion à l'échelle de l'organisation, et par suite, de la société.»
Voilà. Saisissant, n'est-ce pas? Nous nous dirigeons à grands pas vers une toute nouvelle forme de leadership, qui n'a plus rien à voir, ou presque, avec celui qui a prédominé durant le siècle écoulé. Un leadership que je me permets de désigner par le terme de 'néoleadership', et que l'on peut présenter brièvement comme suit :
> Altruiste. «Notre vie n'a de sens que dans la mesure où elle sert les autres, que dans la mesure où elle a une visée altruiste qui bénéficie à l'ensemble de la société», note M. George.
> Authentique. «Beaucoup pensaient que que la seule richesse matérielle pouvait leur apporter le bonheur, et que plus ils accumulaient de biens, plus ils seraient heureux. Puis, ils ont constaté que c'était exactement le contraire qui se produisait : non seulement ils n'étaient pas heureux, mais aussi ils ont fait un tort considérable aux autres, provoqué toutes sortes de dommages à la société», explique-t-il. Et de souligner : «La véritable solution réside dans un leadership authentique, c'est-à-dire sincère et compassionnel».
> Compassionnel. «Diriger avec la seule intelligence ne suffit pas, nous devons également diriger avec notre coeur», souligne le professeur de Harvard.
> Collaboratif. «Le mode de fonctionnement qui a de l'avenir n'est plus celui basé sur la compétition entre entreprises, mais le modèle collaboratif. Nous devons tous nous entraider. Comment pourrait-il en être autrement? Chez Medtronic, nous demandions à nos patients de coopérer avec nous. Nous avions besoin d'une large perspective pour être vraiment efficaces, ce qu'offre justement la collaboration. Telle est la nouvelle forme de gouvernance vers laquelle nous nous acheminons tous. Nécessairement», estime-t-il.
En passant, le poète français d'origine roumaine Paul Celan disait : «Dit vrai qui dit les autres».
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