Avez-vous remarqué qu'il y a toujours deux camps au travail : d'un côté, les ordonnés, au bureau figé dans sa perfection; de l'autre, les bordéliques, au bureau évolutif à mesure que les piles de papier s'accumulent ici et là? Et combien cela fait l'objet de piques de part et d'autre? Et ce, en pure perte puisque chacun reste campé sur ses positions.
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À quoi bon en parler, alors, me direz-vous? Eh bien voilà, j'ai mis la main sur une étude passionnante sur le sujet, intitulée Environmental disorder leads to self-regulatory failure et signée par Rui Zhu, professeure de marketing à l'École de commerce Cheung-Kong à Beijing (Chine), et Boyoun Chae, doctorante en marketing et en science du comportement à l'École de commerce Sauder à Vancouver (Canada). Oui, passionnante parce qu'elle se penche non pas sur la productivité au travail liée au fait qu'on ait un bureau ordonné ou bordélique – l'objet de toutes les chicanes –, mais sur l'impact que l'ordre et le désordre ont sur le comportement de la personne concernée. Une nuance de taille, comme vous allez le voir…
Ainsi, les deux chercheuses ont commencé par une petite expérience amusante. Elles ont demandé à 150 volontaires de s'installer à un bureau doté d'un ordinateur, puis d'attendre qu'on leur donne des consignes. L'important, c'était qu'il y avait trois sortes de bureaux différents :
> Un bureau bordélique : des affaires traînaient ici et là, en désordre;
> Un bureau ordonné : les mêmes affaires étaient soigneusement rangées;
> Un bureau vide.
Le temps d'attente visait, bien entendu, à permettre aux participants de se laisser inconsciemment imprégner par l'état de rangement du bureau. Cela fait, chacun devait ouvrir l'ordinateur et regarder 10 produits les uns après les autres, en indiquant à chaque fois combien ils étaient prêts à payer pour l'acquérir. Il s'agissait, entre autres, d'une lampe de bureau, d'un mini-frigo, ou encore d'un four à micro-ondes.
L'air de rien, cette expérience a permis aux deux chercheuses de découvrir quelque chose d'intéressant :
> Un impact sur le comportement. Ceux qui étaient dans un environnement bordélique ont été plus sujets aux achats compulsifs que les autres. Autrement dit, l'état d'un bureau a indéniablement un impact sur le comportement de la personne qui y est installée.
Dans une autre expérience, Mmes Zhu et Chae ont invité 89 autres volontaires à prendre place dans les mêmes trois sortes de bureaux et, cette fois-ci, à ce prêter à un petit jeu a priori ridicule. Il fallait en effet indiquer si la fonte du mot qui apparaissait à l'écran – toujours une couleur – était, ou pas, écrit dans la couleur lui correspondait. Par exemple, il fallait indiquer si, oui ou non, le mot «vert» qui apparaissait était bel et bien écrit en vert.
L'objectif était ici de regarder non pas la performance de chaque participant, mais de manière plus subtile le temps de réponse de chacun. Une subtilité intéressante, vu que les deux chercheuses ont découvert que :
> Moins rapides. Ceux qui étaient dans un environnement bordélique ont été plus lents à répondre que les autres.
> Plus vite fatigués. Ceux qui étaient dans un environnement bordélique se sont dit, à la fin, plus fatigués que les autres par l'exercice auquel ils s'étaient livrés.
Ce n'est pas tout. Grâce aux deux dernières expériences, une autre trouvaille a été faite, tout aussi fascinante :
> Moins persévérants, mais... Ceux qui étaient dans un environnement bordélique se sont montré moins persévérants que les autres face à une tâche ardue. Cela étant, il leur suffisait de boire une boisson sucrée ou encore d'accomplir à côté une tâche gratifiante pour avoir, tout d'un coup, autant de cœur à l'ouvrage que les autres.
Résumons. Quand on est installé à un bureau en désordre, on voit notre énergie dévorée par celui-ci, à notre insu. On réagit plus qu'on ne réfléchit. On a moins envie d'accomplir des tâches difficiles. Et on peine à réfléchir lorsqu'il le faut absolument. À moins qu'un stimulus nous redonne l'énergie grugée par le désordre de notre bureau, un stimulus physique (glucose) ou psychique (tâche gratifiante).
«Le désordre d'un bureau procure le sentiment de perte de contrôle sur son environnement et sur soi. Nous réagissons à cette perte de contrôle par une dépense énergétique suffisante pour influencer notre comportement au travail. Une dépense qui, toutefois, peut aisément être compensée par une dose de glucose ou par un sentiment de satisfaction», expliquent les deux chercheuses dans leur étude.
Que retenir de tout cela? Deux choses, à mon avis :
> Votre bureau est ordonné? Tant mieux! Veillez à ce qu'il le demeure, car cela vous permettra de dépenser votre énergie dans ce qui compte vraiment.
> Votre bureau est désordonné? Pas grave! Soit vous décidez de devenir, peu à peu, plus ordonné, et vous verrez que vous aurez bientôt – comme par magie – plus de cœur à l'ouvrage que jamais. Soit vous continuez de vivre dans votre désordre habituel, mais alors pensez à prendre un peu de sucre avant de vous atteler à une tâche complexe, ou mieux pour votre santé, trouvez le moyen de ressentir un sentiment de satisfaction juste avant de vous lancer dans un travail difficile (allez quémander un compliment à un collègue, songez à l'un de vos succès professionnels, etc.).
En passant, l'écrivain français Paul Claudel a dit dans Le Soulier de satin : «L'ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l'imagination».
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