BLOGUE. Vous êtes-vous déjà demandé si le mariage change quoi que ce soit à la personnalité d’un homme ou d’une femme? On s’entend, le mariage, ou à tout le moins le fait de vivre en couple de manière stable. Et vous êtes-vous demandé si cela se ressentait dans la vie au travail des nouveaux mariés? Peut-être, une fois, comme ça, mais sûrement sans avoir trouvé de réponse définitive, et du coup vous n’y avez plus jamais réfléchi. Pourtant, la question mérite vraiment qu’on y consacre du temps. Comme vous allez le voir…
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J’ai mis la main sur une étude passionnante sur le sujet, intitulée Status, marriage, and manager’s attitude to risk. Celle-ci est signée par deux professeurs de finance de Wharton, Nikolai Roussanov et Pavel Savor. Elle montre que les managers, et en particulier les PDG, prennent plus ou moins de risques du simple fait qu’ils sont mariés, ou pas…
Ainsi, les deux chercheurs ont eu l’idée – allez savoir pourquoi! – de découvrir si les gens prenaient plus ou moins de risques financiers au lendemain de leur mariage. Plus précisément, ils ont voulu regarder ce qu’il en était pour les managers.
Pour cela, ils ont établi une base de données sur les PDG des Etats-Unis axée sur leur statut matrimonial, à l’aide de différentes sources, comme celle d’ExecuComp (pour la période allant de 1993 à 2008), celle du Marquis Who’s Is Who in Finance and Industry et celle de la Stock Exchange Commission (Sec). L’objectif : être en mesure d’observer en détail les décisions importantes prises par ces PDG durant ces années-là et de voir s’il celles-ci variaient en fonction du fait qu’ils étaient mariés ou pas. Bref, être capable d’établir, par de savants calculs économétriques, toute corrélation éventuelle entre la prise de décision risquée et le statut matrimonial.
Résultat? «Une entreprise dirigée par un PDG célibataire investit en moyenne 10% plus qu’une autre pilotée par un PDG marié et voit la volatilité du cours de son action en Bourse être plus élevée de 3%», indiquent les auteurs de l’étude. Au premier coup d’œil, ces chiffres peuvent paraître minimes, mais il n’en est rien.
En effet, quand on parle des investissements d’une entreprise, on entend par-là ses dépenses en R&D, l’argent déboursé pour effectuer une acquisition, ou toute autre dépense en capital. Ces investissements sont primordiaux pour une entreprise, si bien qu’un écart de 10% est en réalité quelque chose de majeur. Ça signifie qu’elle mise plus sur l’innovation, plus sur la croissance, plus sur l’avenir. Autrement dit, elle prend plus de risques, ce qui accroît ses chances de succès… comme ses risques d’échec.
Quant à la volatilité de la valeur de son titre boursier, c’est un bon indicateur de ce que les investisseurs pensent de l’entreprise, et surtout de la façon dont elle est dirigée par le PDG. Grosso modo, quand une entreprise se porte relativement bien, évolue dans un secteur tranquille et est gérée de manière pépère, la valeur de son action fluctue peu et lentement. En revanche, quand une même entreprise a à sa tête un homme fringant qui aime à surprendre par des décision osées, alors là, l’action a tendance à monter et descendre sans cesse : une fois, les investisseurs considèrent que le PDG vient de faire un bon coup, et l’action grimpe; une autre, ils sont plus pessimistes, et l’action baisse; la volatilité est dès lors élevée. L’air de rien, un écart de 3% est ici considérable.
Bien entendu, on ne peut pas se contenter du résultat brut donné par l’analyse économétrique. Il convient de le vérifier, de le contre-vérifier, et de le nuancer, le cas échéant. C’est ce qu’ont fait MM. Roussanov et Savor, on s’en doute bien.
Par exemple, ils se sont demandés si l’âge du PDG n’entraînait pas une distorsion dans le résultat trouvé. On pourrait se dire que les jeunes PDG sont naturellement plus fougueux que les plus âgés et se retrouvent tout aussi naturellement à la tête de jeunes entreprises, qui ont besoin de prendre des risques pour survivre, ce qui est moins le cas des entreprises séculaires. Et comme ces PDG sont jeunes, ils ont statistiquement moins de chances d’être mariés, si bien qu’on ferait l’erreur d’attribuer au statut matrimonial ce qui revient en fait à la jeunesse du PDG… Or, vérification faite, il n’en est rien : la jeunesse n’est pas un facteur de distorsion du résultat trouvé.
Idem, les deux professeurs de Wharton se sont dits qu’il leur fallait tenir compte d’un autre élément : le divorce. Quand ils ont considéré que les PDG étaient soit mariés, soit célibataires, ils avaient mis tous les célibataires dans le même sac. Et peut-être n’auraient-ils pas dû. Le fait d’avoir été marié, puis de ne plus l’être, c’est-à-dire d’avoir connu une rupture sentimentale souvent dramatique, peut jouer un rôle dans les décisions financières prises par un PDG. Du moins, c’est ce qu’on peut imaginer a priori. Qu’ont trouvé MM. Roussanov et Savor? Eh bien, dans le cas de figure qui nous intéresse, le divorce n’influence pas le résultat trouvé de manière significative.
La conclusion est on ne peut plus simple : un boss célibataire sera plus prompt à prendre des risques qu’un boss marié. Quelles conséquences cela peut-il avoir pour ceux qui travaillent avec lui? On peut en énumérer plusieurs :
> Créativité. Le célibataire sera plus à l’écoute de vos idées neuves que le marié.
> Audace. Il sera plus aisément partant pour lancer des projets risqués, mais potentiellement plus payants.
> Stratégie. Le célibataire aura un faible pour ce qui peut permettre de remporter une victoire rapide et brillante plutôt que pour un plan assurant la victoire à tous les coups, mais à long terme.
> Etc.
Je tiens à le souligner : il n’est question ici que de généralités, de tendances lourdes, donc de données qui ne peuvent pas se vérifier pour chaque individu. Vous trouverez toujours un PDG célibataire timoré dans ses décisions, et inversement, un PDG marié jubilant à chacun de ses coups de poker.
Autre point important : rien ne dit que les PDG qui prisent les décisions risquées sont plus faciles à vivre au quotidien que les autres. Ce qui peut donc être bénéfique pour l’entreprise ne l’est donc pas forcément pour ses employés…
En passant, l’écrivain français Marc Lévy a dit dans Où es-tu? : «Aimer, c’est avant tout prendre un risque»…
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