BLOGUE. L’un des membres de votre équipe n’a de cesse d’exceller dans les tâches que vous lui assignez, mieux, il devance souvent vos désirs en faisant preuve d’une rare prise d’initiatives. Pas de doute, il mérite une récompense. Et votre premier réflexe, à n’en pas douter, est de lui attribuer une belle prime. Pas vrai?
Mais avez-vous songé, une seconde, que cela pouvait avoir des effets néfastes? Pour cet employé comme pour votre équipe? Non, bien sûr, car ça parait complètement illogique a priori. En quoi, avoir un peu plus d’argent en poche pourrait-il nuire? Et pourtant…
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Ainsi, Jacques Forest, professeur du département d’organisation et ressources humaines de l’École de la gestion (ESG) de l’UQAM, et plusieures collègues (Sarah Girouard, Nathalie Houlfort et Laurence Crevier-Braud, toutes de l’UQAM, ainsi que Marylène Gagné, de la John Molson School of Business) ont signé une étude passionnante intitulée Enquête sur la rémunération : quelles sont les meilleures pratiques pour vous motiver? Les résultats préliminaires de celle-ci indiquent que les récompenses sous forme de bonus financier comportent de nombreux effets indésirables…
Les chercheurs montréalais ont envoyé le printemps dernier un questionnaire détaillé à 836 personnes membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec. L’objectif était d’en savoir davantage sur ce qui motive vraiment les employés. Et plus d’une surprise les attendait au tournant :
> Les employés qui attachent de l’importance aux primes fournissent plus d’efforts au travail;
> Le hic, c’est que ces efforts résultent d’une «motivation contrôlée», qui ne vient pas d’eux-mêmes;
> Il en résulte que l’intensification des efforts est motivée par l’attente d’une récompense, ou le désir d’éviter une sanction;
> Du coup, ces employés ressentent un stress qui peut les pousser au bout de leurs forces, jusqu’à l’épuisement.
La question saute alors aux yeux : «On le sait bien, le stress peut amener au burn-out, mais tout ceux qui ont de la pression sur les épaules ne croulent pas pour autant. Qu’est-ce qui nous dit qu’une belle petite prime peut déclencher une telle catastrophe?». Cette interrogation, les chercheurs se la sont posée, bien entendu. Et c’est là qu’ils ont découvert que «la relation entre les deux est particulièrement forte» : «Plus un employé accorde de l’importance à la prime, plus il risque de vivre un épuisement professionnel». Et ce, «en grande partie parce qu’il déploie un effort trop grand pour réaliser ses tâches».
Ce n’est pas tout! M. Forest et ses collègues sont allés au-delà de la simple prime et ont regardé l’impact que pouvait avoir la rémunération elle-même. Résultat? Incroyable! «Plus une personne est satisfaite de sa rémunération, plus elle présente de risques d’épuisement professionnel», indique l’étude.
Comment expliquer un tel phénomène? «Bien que ce résultat puisse sembler complètement contre-intuitif, une explication basée sur la théorie de l’autodétermination peut-être avancée», poursuivent les chercheurs. La théorie de l’autodétermination? Grosso modo, elle considère que pour se dire satisfait de sa rémunération, il est nécessaire d’y avoir préalablement réfléchi, et ces réflexions peuvent amener à accorder moins d’importance à son travail et plus d’attention à la pression ressentie pour répondre aux attentes de son boss. C’est du moins ce qu’ont mis au jour l’an dernier quatre chercheurs japonais - Murayama, Matsumoto, Izuma et Matsumoto -, dans le cadre d’une étude intitulée Neural basis of the undermining effect of monetary reward on intrinsic motivation.
Une autre explication peut être avancée : «Quelqu’un qui est satisfait de sa rémunération voudra probablement aider en retour son entreprise à progresser. Et tout porte à croire que cette réciprocité économique ait un coût psychologique important», estiment les chercheurs.
Par conséquent, un grand constat ressort de l’étude : le salaire n’a pas toujours un impact positif sur la performance. Les primes offertes aux employés augmentent bel et bien l’effort au travail, mais elles ont un coût psychologique, à savoir un risque d’épuisement professionnel. Elles peuvent même rendre les salariés moins performants et contre-productifs.
Inversement, travailler par intérêt et vocation augmente le bien-être et rend les employés plus performants que ceux travaillant surtout pour l’argent. L’étude montre que les salariés qui œuvrent pour une cause sociale ou par intérêt pour le travail lui-même connaissent moins d’épuisement professionnel que les autres. On constate aussi qu’ils mettent plus d’énergie et d’efforts à leur travail.
«Les entreprises accordent une importance disproportionnée au pouvoir motivationnel de l’argent. Elles croient qu’ajouter encore et toujours plus d’argent (que ce soit en salaire, en avantages sociaux ou en primes) mènera systématiquement à plus de bien-être et de performance. Cette pensée semble être plus fausse que vraie», dit M. Forest, en soulignant «qu’au-delà d’un salaire juste et équitable, il est primordial de s’intéresser à la satisfaction des besoins psychologiques des employés plutôt que de vouloir augmenter leur rémunération».
Leurs «besoins psychologiques»? Les chercheurs considèrent qu’il y en a au moins trois primordiaux, soit les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale. Si jamais ceux-ci sont «frustrés», les conséquences peuvent être graves : «l’employé en question se sentira moins rempli de vitalité, c’est-à-dire moins vivant, moins alerte au travail». Du coup, «plus ses besoins psychologiques seront frustrés, plus une personne aura de chances de quitter son entreprise». Aussi simple que ça.
Maintenant que vous êtes averti de tout ce que peut entraîner une politique de distribution de primes, peut-être allez-vous commencer à réfléchir sur d’autres moyens pour récompenser les efforts faits par les uns et les autres. Oui, trouver quelque chose d’un peu plus original qu’une petite enveloppe remplie de monnaie sonnante et trébuchante…
L’écrivain français Gustave Flaubert a dit dans son Dictionnaire des idées reçues : «Argent : cause de tout le mal»…
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