Une prime. C'est toujours bon à prendre, surtout en fin d'année, n'est-ce pas? Mais au-delà de l'aspect financier, avez-vous songé une seconde aux répercussions psychologiques que peut avoir cette fameuse prime? Certains diront d'emblée que c'est toujours bon pour l'ego : il est toujours agréable de se faire dire qu'on travaille bien, et que cela mérite même d'être souligné par une somme d'argent conséquente.
Mais voilà, est-ce vraiment tout? Une prime ne pourrait-elle pas avoir également un impact négatif, que l'on ne soupçonnerait même pas tant l'argent nous aveugle?
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Il se trouve que j'ai mis la main sur une étude intitulée Money affects Theory of Mind differently by gender, signée par : Michael McBride, professeur d'économie à l'Université de Californie à Irvine (États-Unis), assisté de son étudiant Garret Ridinger. Et celle-ci met au jour le fait que l'argent peut avoir un impact incroyable sur... notre comportement! Explication.
Les deux chercheurs américains ont invité 238 volontaires à participer à une expérience très simple. Il s'agissait de s'asseoir devant un ordinateur, de regarder les yeux qui se présentaient devant soi, puis d'indiquer l'émotion qu'ils véhiculaient à partir d'un choix de quatre réponses suggérées. Et ce, 36 fois d'affilée, ce qui prenait environ une heure et demie.
Pourquoi un tel exercice? Eh bien, parce que, l'air de rien, il permet de mesurer la capacité d'une personne à lire les émotions d'autrui, et par suite, d'évaluer son degré d'empathie. Oui, l'empathie, c'est-à-dire notre faculté à comprendre ce que ressent l'autre, sans qu'il ait à l'exprimer par des mots.
Bien. Mais le point essentiel de cette expérience, c'était que tous les participants n'avaient pas été placés dans les mêmes conditions :
> Aucun incitatif financier. Pour certains, il avait été indiqué au préalable qu'il fallait qu'ils fournissent la réponse exacte à chaque fois.
> Incitatif individuel. Pour d'autres, il avait été dit qu'ils empocheraient une prime de 40 cents pour chaque bonne réponse.
> Incitatif compétitif. Pour d'autres, il avait été dit que le participant qui afficherait le meilleur score remporterait une prime de 40 dollars, et tous les autres, rien du tout.
> Incitatif charitable. Pour les derniers, enfin, il avait été dit que pour toute bonne réponse de leur part il serait versé 40 cents à l'organisme de bienfaisance de leur choix (parmi une liste de quatre préétablie : Amnesty International, Unicef, Médecins sans frontière ou l'American Cancer Society).
Autrement dit, l'idée était de voir si l'argent avait la moindre incidence sur notre capacité à nous connecter aux émotions des autres.
Résultats? Ils sont saisissants, ma foi :
> Avantage aux femmes. De manière générale, les femmes sont plus à même de lire les émotions d'autrui que les hommes : leurs scores ont été un peu plus élevés, quelles qu'aient été les conditions de départ.
> Avantage aux hommes. Lorsqu'on propose un incitatif compétitif aux hommes, cela a un impact positif sur leur capacité à lire les émotions d'autrui. En ce qui concerne les femmes, l'impact est, lui, négatif.
> Aucune incidence. Lorsqu'on propose un incitatif charitable, cela ne booste - ni ne diminue - l'empathie de personne. Pas plus les hommes que les femmes. Idem, l'offre d'une prime individuelle n'incite personne à faire preuve de plus - ou de moins - d'empathie que d'habitude.
«L'argent a bel et bien un impact sur notre empathie, mais un impact ambigu. Il motive les hommes à mieux décoder les émotions d'autrui seulement lorsqu'ils sont placés en situation de compétition directe ; et simultanément, il démotive les femmes dans un tel cas de figure», résument les deux chercheurs dans leur étude.
Qu'est-ce que ça signifie? Que les mises en compétition pour l'obtention d'une prime liée àa la performance - comme cela se produit la plupart du temps au travail - sont à double tranchant. D'une part, cela contribue certes à motiver les hommes qui estiment qu'ils ont une réelle chance de l'emporter à faire plus attention aux émotions des autres, ce qui est positif, on s'entend ; mais du même coup, cela tétanise les femmes, au point d'anesthésier leur capacité à connecter avec les émotions d'autrui. Bref, cela ne favorise pas une meilleure compréhension des employés entre eux, mais au contraire une distanciation entre eux.
Par conséquent, il est périlleux d'adopter une politique d'attribution de primes aux employés les plus performants. Car cet argent-là a un impact psychologique insoupçonné, car insoupçonnable : il va certes dynamiser l'empathie de la gent masculine, mais en même temps paralyser celle de la gent féminine. Ce qui, à n'en pas douter, va globalement nuire à l'ambiance de travail, pour ne pas dire à l'esprit d'équipe puisque les connexions émotionnelles entre les uns et les autres vont en être grippées. Et pis, risque de nuire également à la performance individuelle des femmes, vu que leur rapport aux autres s'en trouvera endommagé.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Fuyez comme la peste les mises en compétition pour l'obtention d'une prime! Pourquoi? Parce que cela nuit gravement aux connexions émotionnelles entre collègues, et par suite, à l'ambiance de travail, voire à l'esprit d'équipe. Sans parler du fait que cela met en danger la performance individuelle des femmes. Mieux vaut, si l'on tient vraiment à distribuer des primes, offrir une récompense collective, et idéalement, sous une forme non pas financière, mais expérientielle (ex.: une sortie au cinéma pour voir tous ensemble le dernier opus de Star Wars, ou encore une fin de semaine tous frais payés dans une auberge de rêve, pour toute l'équipe concernée).
En passant, l'écrivain britannique John Ruskin disait : «La suprême récompense du travail n'est pas ce qu'il vous permet de gagner, mais ce qu'il vous permet de devenir».
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