Les milléniaux arrivent sur le marché de l'emploi tandis que les baby-boomers s'en vont peu à peu, ces temps-ci. Cela va-t-il vraiment changer quoi que ce soit dans votre quotidien au travail? Certains pensent que oui, d'autres que non. Et il semble encore difficile de trancher avec certitude. Pas vrai?
Eh bien non, ce n'est pas vrai. De plus en plus de signes indiquent que l'arrivée des milléniaux - grosso modo ceux qui sont nés depuis les années 1990 - va bel et bien entraîner des bouleversements dans la façon dont le travail est effectué en entreprise. Et ce, pour une raison principale : les milléniaux véhiculent nombre de valeurs qui n'ont rien à voir avec celles des autres générations précédentes, en particulier celle des baby-boomers.
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J'ai récemment perçu l'un de ces signes lumineux, à travers une étude passionnante intitulée Exploring the possibility of an Age of Purpose et signée par Gabriel Grant, doctorant en leadership et durabilité à Yale (États-Unis). De quoi s'agit-il, au juste? Le chercheur américain s'est demandé si nous étions à l'orée d'une nouvelle ère, plus précisément de l'Ère du But : «On dit les milléniaux en quête de but à leur existence. On dit également l'économie des États-Unis en passe de devenir une économie du but, avec la montée en puissance d'acteurs soucieux d'avoir un impact sur le futur (Larry Page, Tony Hsieh, Elon Musk, etc.). Mais est-ce si vrai que ça? Et le cas échéant, cela pourrait-il véritablement changer la donne, au point d'amorcer l'avènement d'une nouvelle ère, l'Ère du But?», s'est-il interrogé.
Pour s'en faire une idée, il a recouru à une méthode pour le moins originale. Il s'est servi de Google Ngram, un logiciel qui permet d'évaluer statistiquement l'utilisation de mots ou d'expressions dans tous les livres qui ont été publiés depuis... 1800! Oui, vous avez bien lu : Google a scanné à peu près tout ce qui existe comme livre publié depuis le début du XIXe siècle, si bien qu'il est devenu un jeu d'enfant de savoir combien de fois le mot, disons, "employee", ou encore "boss", a été utilisé dans tous les livres parus, par exemple, en 1818, en 1938, ou encore en 2008. L'intérêt de cet outil? C'est simple : il devient dès lors possible d'établir la courbe de popularité d'un mot, sur des siècles ou des décennies, et même de la comparer à d'autres mots qui lui sont liés ; et à la clé, d'identifier des tendances significatives.
Ainsi, M. Grant a effectué via Google Ngram différentes recherches en anglais, en mandarin, en espagnol, en allemand et en français qui lui ont permis de découvrir ceci :
> Une popularité née en même temps que les premiers milléniaux. Le terme "But de la vie" est apparu au tournant de 1850, a progressé jusqu'en 1914, pour connaître un plateau jusque dans les années 1990. Et c'est là que, soudainement, il a connu un succès foudroyant, qui ne cesse de se démentir. Autrement dit, sa véritable vague de popularité est née en même temps que les milléniaux.
> Une popularité également universitaire. Le terme "But de la vie" est lui aussi devenu récemment populaire dans les ouvrages universitaires. Il n'existait pas vraiment avant les années 1960, et a connu un bon phénoménal à partir de 2000. Un signe qu'il a gagné en importance auprès des grands penseurs de notre temps.
> Une popularité d'abord française, puis américaine. Où le terme "But de la vie" a -t-il été le plus populaire de 1850 à 1950? En France, et de loin. Après cela, ce sont les États-Unis qui ont pris le relais, en connaissant un bond prodigieux à partir des années 1990. À noter qu'en Chine il n'est apparu que dans les années 1950, a connu un pic de popularité dans les années 1990, pour finir par dégringoler des deux tiers dans la décennie qui a suivi.
> Le tournant décisif de 2000. Il s'est produit un phénomène remarquable au tournant de 2000. Lequel? Eh bien, des termes évoquant l'individualisme comme "individuel" et "soi" ont connu une inflexion notable à partir de ce moment-là, alors qu'inversement des termes évoquant la collaboration comme "appartenance" et "devoir" ont, eux, enregistré un net regain de popularité. Par conséquent, on assiste depuis le début des années 2000 à un véritablement renversement de valeurs sociétales.
> Le tournant doublement décisif de 2000. Un autre phénomène remarquable a eu lieu au tournant de 2000 : des termes évoquant la spiritualité - prière, religion, foi, Dieu - ont subitement gagné en popularité, alors que leur usage était littéralement en chute libre depuis 1850. «Un intérêt aussi vif et subit pour la spiritualité provient vraisemblablement d'une réaction aux valeurs hyperindividualistes véhiculées par la société occidentale, une réponse «saine et appropriée» si l'on en croit Viktor Frankl [le neurologue et psychiatre autrichien qui a fondé la logothérapie, laquelle prend en compte le besoin vital de chacun d'avoir un but dans la vie et d'assouvir sa dimension spirituelle]», estime M. Grant.
Voilà donc les principaux enseignements de cette étude. Sans que nous l'ayons clairement remarqué, nous nous sommes mis à utiliser de moins en moins de termes individualistes et de plus en plus d'expressions liées à la collaboration, et à force, nous sommes devenus de moins en moins "moi, moi, moi" et de plus en plus "Nous, nous, nous". Et ce bouleversement est en train de devenir flagrant avec l'arrivée sur le marché de l'emploi de la génération qui a baigné dans ces nouvelles valeurs et le départ simultané de celle qui ne jurait que par un indivualisme forcené. C'est bien simple, la donne va radicalement changer dans votre quotidien au travail dans les prochaines années. Un exemple parmi tant d'autres : l'efficacité sera bientôt mesurée non pas à l'aune de la performance individuelle, mais de la performance collective; à tel point que les fameuses "évaluations individuelles" - tant décriées ces temps-ci - vivent peut-être bien leurs derniers soubresauts, avant de disparaître à jamais (on s'en reparle dans cinq ou dix ans, si vous voulez!).
L'Ère du But est par conséquent à notre porte. À nous de l'accueillir sans tarder avec tous les égards qu'elle mérite. Car de notre ouverture affichée dépendront, sans l'ombre d'un doute, nos chances d'entrer dans ses bonnes grâces. À bon entendeur, salut!
Comment s'y prendre pour tirer parti de l'avènement des nouvelles valeurs véhiculées par les milléniaux, me direz-vous? Vaste interrogation, à laquelle il n'est de réponse laconique. Cela étant, un conseil, toutefois :
> Qui entend entrer de plain-pied dans l'Ère du But se doit de s'ouvrir aux suggestions émises par les jeunes recrues. C'est-à-dire qu'il lui faut non pas vaguement entendre, mais écouter attentivement leurs idées neuves, à plus forte raison lorsque celles-ci lui paraissent a priori déstabilisantes. Parce que de cette ouverture affichée à la nouveauté dépendra la capacité de son équipe ou de son entreprise de perdurer, voire de croître à l'avenir. Et parce que de cette écoute attentive naîtra l'occasion, pour les nouvelles recrues, de trouver un but à leur travail.
En passant, l'écrivain autrichien Stefan Zweig a dit dans Vingt-quatre heures de la vie d'une femme : «Toute vie que ne se voue pas à un but déterminé est une erreur».
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