Connaissez-vous la fable d’Ésope intitulée Le renard et les raisins ? Non ? Alors laissez-moi le plaisir de vous la faire découvrir. Elle ne tient qu’en deux phrases, mais mérite d’être méditée comme il faut :
«Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ; mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même : ‘Bah, ce raisin était encore vert’. Pareillement, certains êtres humains, incapables de mener à bien leurs affaires, en accusent les circonstances.»
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Pourquoi vous parler aujourd’hui de cette fable? Parce qu’elle résume à merveille, je trouve, notre manque flagrant de motivation lorsque nous sommes confrontés à une tâche ardue. Vraiment ardue. De fait, qui d’entre nous ne s’est jamais menti à lui-même pour justifier son abandon, pour ne pas dire sa lâcheté face à l’épreuve ? Hein ? Qui ? Soyez honnête…
Bon. Qu’aurait-il donc fallu, au juste, au renard pour se régaler de ce raisin juteux et sucré ? D’après vous ? Aurait-il dû, par exemple, persévérer ? Ou redoubler d’ardeur, et réaliser un saut d’anthologie ? Ou encore, faire preuve d’intelligence, et obtenir qu’un autre le décroche pour lui ?
Pas facile à dire. Mais voilà, j’ai mis la main sur une étude à ce sujet, qui présente une réponse lumineuse. Oui, lumineuse. Cette étude est titrée The fox and the grapes – How physical constraints affect value based decision making et est signée par Martin Strobel, professeur d’économie à l’Université de Maastricht (Pays-Bas), assisté de ses étudiants Jörg Gross et Eva Woelbert. Laissez-moi vous raconter de quoi il retourne…
Les trois chercheurs se sont demandé comment il se faisait que, parfois, nous laissions tomber un projet en cours. Pourquoi nous en arrivons à nous dire qu’il s’agit là d’une Mission : Impossible, alors qu’au fond de nous-mêmes nous savons qu’il n’en est rien. Ce qui les a amené à procéder à une drôle d’expérience.
Ils ont demandé à 54 volontaires – présentant la particularité d’être friands de sucreries – de s’asseoir chacun dans une petite salle fermée, après trois heures passées sans manger. Ceux-ci ont dû s’asseoir au bureau qui s’y trouvait, puis placer les avant-bras sur la table. Là, il leur a été présenté, les unes après les autres, 44 friandises différentes :
– Réel. Parfois, la friandise était présentée en vrai ;
– Virtuel. D’autres fois, elle était présentée de manière virtuelle, via une image ou un texte sur l’écran d’un ordinateur.
Les participants, à qui on avait offert 20 dollars pour leur contribution, devaient alors indiquer quatre choses :
– S’ils connaissaient déjà la friandise présentée ;
– S’ils l’aimaient, en général ;
– S’ils en avaient envie, en ce moment-même ;
– Combien ils étaient prêts à dépenser pour se l’offrir à la fin de l’expérience.
À noter que tous n’étaient pas logés à la même enseigne :
– Poids. La moitié des participants ont dû revêtir un brassard sur chaque avant-bras, lesté de 4,5 kg de fonte. (Puisqu’ils avaient les bras posés en permanence sur la table, ils n’avaient pas à forcer, mais ils savaient que s’il leur fallait lever un bras, cela nécessiterait un gros effort pour eux.)
– Aucun poids. L’autre moitié des participants n’ont dû revêtir aucun brassard particulier.
Résultats ? Fascinants, comme vous allez le voir :
➢ Une envie chancelante. Le simple fait d’avoir les avant-bras lestés d’un poids a fait baisser l’envie des participants de s’offrir leurs friandises de prédilection. Et ce, même si aucun d’entre eux n’avait à se saisir des friandises en question, ni même à imaginer devoir s’en saisir. À souligner – c’est là un point crucial – que cela ne s’est vérifié que dans un cas de figure, à savoir lorsque les friandises étaient présentées en vrai ; quand celles-ci étaient affichée à l’écran, le fait d’avoir des poids fixés aux avant-bras n’avait aucune incidence sur la prise de décision.
➢ Un amour vite déçu. Plus une friandise était aimée, plus le fait d’avoir les avant-bras lestés d’un poids a fait diminuer l’envie des participants de se l’offrir. Autrement dit, plus les participants auraient aimé la savourer, plus ils y ont renoncé facilement. «Lorsqu’une chose devient a priori difficile à obtenir, elle perd de la valeur à nos yeux. Et plus cette baisse de valeur est brutale, plus on y renonce vite», résument les trois chercheurs dans leur étude.
Voilà donc l’explication de notre fâcheuse tendance à renoncer aussi aisément que le renard d’Ésope face à l’adversité. C’est parce que nous avons en tête l’objet de notre quête ainsi que les difficultés à surmonter que nous renonçons. Mieux, c’est parce que nous avons devant les yeux l’objet de notre quête que nous renonçons.
Vous me voyez venir... Maintenant que nous savons tout ça, il devient facile de renverser la vapeur. C’est-à-dire de booster notre motivation pour remplir une Mission : Impossible. Comment, au juste ? Comme ceci :
➢ Qui entend réaliser l’impossible au travail se doit de songer à se surpasser, non pas de songer à l’obstacle à franchir. C’est-à-dire qu’il lui faut surtout pas s’y confronter d’emblée, avec la furieuse envie d’acquérir au plus vite l’objet tant convoité. Car c’est le plus sûr moyen d’y renoncer en deux temps trois mouvements. Non, il lui faut prendre le temps d’analyser la situation, en se concentrant sur les moyens les plus ingénieux à mettre en œuvre pour atteindre le but fixé. L’idéal est qu’il en fasse un défi personnel, puisqu’il se mettra ainsi en situation d’entreprendre ce qui n’a pour l’instant jamais été entrepris.
En passant, l’ingénieur allemand Wernher von Braun, à qui la Nasa doit les fusées Saturn qui ont permis les missions lunaires du programme Apollo, aimait à dire : «J’ai appris à employer le mot ‘impossible’ avec la plus grande prudence».
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