BLOGUE. Je vous vois d'ici en train de sourciller après avoir lu ce titre «accrocheur», et je vous entends penser très fort «Si c'était vraiment possible, ça se saurait». Vous doutez tellement que vous hésitez même à poursuivre la lecture de ce billet, en vous disant qu'il y a sûrement des trucs plus intéressants à lire ailleurs. Pas vrai? Et pourtant…
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Oui, et pourtant, c'est vrai! Incroyable, mais vrai. Il existe bel et bien un truc ultrasimple pour ne plus jamais discriminer les femmes au travail. J'ai bien dit «plus jamais».
Ce truc se trouve dans une étude remarquable, intitulée When performance trumps gender bias: Joint versus separate evaluation. Celle-ci est signée par deux professeurs de l'École John-Kennedy de Harvard (États-Unis) – Iris Bohnet, professeure de science politique, et Max Bazerman, professeur de gestion des affaires – ainsi que d'une étudiante, Alexandra van Geen. Elle montre qu'il y a moyen d'évaluer sans discriminer en fonction du sexe.
Ainsi, les trois chercheurs ont noté une chose curieuse : nombre d'études ont mis au jour le fait qu'au travail nous réagissons différemment lorsque nous sommes en présence d'un homme ou d'une femme, plus précisément en présence d'une personne de l'autre sexe que le nôtre – c'est plus fort que nous, impossible de l'éviter –, mais rares sont celles qui ont exploré les manières d'atténuer ce phénomène. Goldin & Rouse ont proposé en 2000 d'évaluer à l'aveugle les candidats à une embauche, ou encore Bagues & Essteve-Volart, en 2010, d'instaurer des quotas et de larges comités d'évaluation, mais de telles solutions ne semblent a priori guère réalistes, et leur efficacité, laisser à désirer.
Alors? Faut-il vivre avec cette discrimination permanente? Faut-il que ces dames se résignent et subissent durant toute leur vie professionnelle une domination masculine? Non, bien entendu. Et c'est pourquoi les trois chercheurs ont décidé de retrousser leurs manches pour s'attaquer de front au problème.
Un fait a attiré leur attention. Dans les grandes entreprises américaines, il est fréquent de faire passer des entretiens d'embauche en groupe, en particulier pour les postes ouverts aux jeunes diplômés. L'idée est de gagner en temps et en argent : les entretiens individuels prennent toujours du temps, même si l'on sait dès les premières minutes que le candidat reçu ne convient pas. L'idée est aussi que si perle rare il y a, elle réussira toujours à se détacher du lot de candidats confrontés tous en même temps au comité de sélection.
Là où ça devient vraiment intéressant, c'est que les entretiens collectifs ne se pratiquent plus dès que l'on atteint les hautes sphères organisationnelles, lieux où les femmes sont les plus discriminées. «Au sein des entreprises qui figurent dans le palmarès Fortune 500, seulement 3,6% des PDG, 14,1% des vice-président et 16,1% des membres du conseil sont des femmes, alors que celles-ci représentent 46,7% de la main-d'œuvre», indique l'étude.
La question saute aux yeux : «Les entretiens individuels tourneraient-ils systématiquement au désavantage des femmes?». À vérifier. Ce qu'ont entrepris Mmes Bohnet et Van Geen ainsi que M. Bazerman.
Il a été demandé à 654 étudiants de Harvard de jouer à un petit jeu : 554 ont joué le rôle de l'employeur et les 100 autres, celui du candidat à l'embauche. Les candidats ont dû passer différents tests visant à évaluer leur performance dans des domaines spécifiques : un test littéraire (trouver des mots cachés dans une grille de lettres) et un test mathématique (additionner de tête une série cinq nombres à deux chiffres). Et ces tests ont été répétés deux fois.
Pourquoi ces tests-là, au juste? Parce que différentes études (Guimond & Roussel (2000); Perie, Moran & Lutkus (2005); etc.) ont indiqué que nous souffrons tous d'un gros préjugé, qui veut que nous considérons que les femmes sont meilleures que les hommes dès qu'il s'agit de lettres, et inversement qu'elles sont moins bonnes que les hommes quand il est question de chiffres. Une croyance, bien sûr, totalement infondée.
Du coup, les employeurs se sont retrouvés à leur insu dans une situation où ils étaient biaisés : au fond d'eux-mêmes, ils étaient persuadés que les femmes avaient mieux réussi le test de lettres que les hommes, et que les hommes avaient mieux réussi qu'elles celui de mathématique.
Ils devaient faire passer un entretien aux candidats – parfois de manière individuelle, parfois de manière collective – en n'ayant sur eux, pour toute information, que les résultats de la première série de tests. Leur objectif consistait à identifier de la sorte la personne qui avait le mieux réussi la seconde série, l'incitatif étant financier (plus ils visaient juste, plus ils étaient rémunérés pour leur participation à l'expérience).
Résultats? Ils font froid dans le dos…
> 51%. En entretien individuel, 51% des employeurs ont sélectionné un piètre candidat, dont la performance était inférieure à celle de la moyenne de l'ensemble des candidats.
> 8%. En entretien collectif, ce pourcentage est tombé à… 8% !
L'explication est simple. Quand l'évaluateur se trouve en face-à-face avec le candidat, il évalue l'autre par rapport à lui-même, ce qui a le fâcheux effet de mettre en branle tous ses préjugés. En revanche, lorsqu'il est confronté à deux ou même plus de candidats à la fois, il a le réflexe de les comparer entre eux, et non par rapport à lui-même, si bien que les préjugés sont aussitôt annihilés. Comme par magie.
«En entretien collectif, l'évaluateur s'attache plus à la performance de chaque candidat – sur papier et en entrevue – qu'à l'image qu'il a de chacun d'eux. Être un homme ou une femme n'a dès lors plus trop d'importance à ses yeux, ce qui rend le procédé d'embauche beaucoup plus juste», soulignent les trois chercheurs de Harvard dans leur étude.
Bref, on peut retenir de tout cela que :
> Qui entend ne plus jamais discriminer les femmes au travail se doit d'abandonner les entretiens individuels pour les entretiens collectifs.
En passant, l'écrivain français Guy de Maupassant a dit dans Mont-Oriol : «Quand on a le physique d'un emploi, on en a l'âme».
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