Personne ne travaille tout seul dans son coin. Quoi qu'on entreprenne, il nous faut toujours interagir avec autrui. Ce qui est naturellement source de tensions, pour ne pas dire de conflits.
Découvrez mes précédents billets
Ma toute nouvelle page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau
Une équipe de travail, par exemple, ne peut atteindre ses objectifs sans esprit d'équipe, sans liens forts et étroits entre chacun de ses membres. Idem, il lui faut savoir tirer partie des liens noués à l'externe : les liens dits positifs avec des équipes alliées comme les liens dits négatifs avec des équipes rivales.
D'où l'interrogation suivante : y aurait-il moyen de renforcer les liens positifs et simultanément de diminuer, voire supprimer, les liens négatifs? Car cela serait, en toute logique, un moyen formidable de décupler l'efficacité de l'équipe en question.
La bonne nouvelle du jour, c'est que la réponse à cette interrogation fondamentale est : «Oui, il existe un tel moyen». Celui-ci est explicité dans une étude intitulée Do intergroup conflicts necessarily result from outgroup hate?, signée par deux professeurs de sociologie : Michael Mäs, de l'Institut fédéral de technologie à Zurich (Suisse), et Jacob Dijkstra, de l'Université de Groningue (Pays-Bas). Et de surcroît, il est aisé à mettre en œuvre!
Les deux chercheurs se sont penché sur ce qui se passait au sein d'une équipe lorsque celle-ci est en compétition avec une autre, quel que soit le domaine concerné (sport, travail, jeux télévisés, partis politiques, etc.). Ils souhaitaient en savoir davantage sur les ressorts qui poussent chaque membre de l'équipe à redoubler d'efforts pour que son équipe triomphe : l'important aux yeux de chacun est-il alors d'atteindre l'objectif visé, ou plutôt d'y parvenir le premier, avant tous les autres adversaires? Est-ce, par exemple, de décrocher un contrat, ou plutôt de veiller à ce que les autres ne le signent pas?
L'intérêt de cette approche est évident : qui connaît les véritables ressorts de la motivation sait dès lors ce qu'il convient de faire pour inciter son équipe à briller comme jamais.
Pour s'en faire une idée, MM. Mäs et Dijkstra ont procédé à deux expériences. Ils ont demandé à des volontaires de bien vouloir jouer en équipe de trois à un petit jeu très simple. Chacun disposait d'une somme de départ et devait veiller à la faire fructifier. Comment? En contribuant, plus ou moins, à un pot commun, sachant que la somme mise en commun serait multipliée par 2, puis redistribuée équitablement entre les trois.
On le voit bien, il faut faire preuve ici de stratégie. Prenons un exemple… Si tout le monde met ses 10 points dans le pot commun, celui-ci va grossir à 2x30=60 points, si bien que chacun va empocher 60/3=20 points. Mais, si l'un ne joue pas le jeu, ça change tout, car le pot commun sera de 2x20=40 points, si bien que les deux qui auront versé leurs 10 points vont gagner une poignée de points de plus seulement (40/3=13,33 points) et l'égoïste, lui, un montant total de 10+13,33=23,33 points.
Histoire de pouvoir analyser l'incidence de la compétition dans un tel contexte, les deux chercheurs ont corsé le jeu en faisant jouer en parallèle deux équipes :
> Harmonie. Dans certains cas, il n'y avait aucune compétition entre les deux équipes qui jouaient en simultanée. Les résultats de l'une n'avaient aucun impact sur l'autre.
> Conflit équilibré. Dans d'autres cas, les joueurs savaient que pour chaque point qu'ils mettaient dans le pot commun, cela retirait du même coup 1,5 point au pot commun de l'autre équipe. Ainsi, il y avait moyen de faire du bien à soin équipe, tout en faisant du mal à l'autre équipe.
> Conflit déséquilibré. Dans les autres cas, l'une des équipes pouvait faire du mal à l'autre, mais la réciproque n'était pas vraie.
Autre raffinement :
> Aucune communication. Dans certains cas, il était interdit aux joueurs d'échanger le moindre mot ou signe entre eux.
> Communication stratégique. Dans les autres cas, il était autorisé de parler entre joueurs de même équipe, pourvu que la discussion porte sur la stratégie à mettre en place pour faire mieux que l'autre.
Par conséquent, la situation était propice aux tensions négatives provenant de l'interne comme de l'externe. Et il était plus ou moins complexe aux différentes équipes d'y remédier, pour ne pas dire d'en tirer partie.
Qu'en a-t-il résulté? Quelque chose de carrément fabuleux, auquel ne s'attendaient pas du tout les deux sociologues :
> Une question de dynamique interne. La rivalité entre équipes ne résulte pas nécessairement du contexte dans lequel celles-ci évoluent. Ce n'était pas parce qu'une équipe était incitée à faire du mal à l'autre qu'elle le faisait. De quoi résultait-elle alors? Eh bien, plutôt de la dynamique interne à l'équipe : plus la communication stratégique était riche, plus chacun faisait de son mieux pour que son équipe surpasse sa rivale. C'est bien simple, ceux qui pouvaient discuter de stratégie mettaient en moyenne 89% de leurs points dans le pot commun, soit 31 points de pourcentage de plus que ceux qui ne pouvaient pas communiquer entre eux.
«Dans un contexte de compétition, plus les membres d'une équipe peuvent parler de stratégie, plus ils sont disposés à contribuer personnellement à l'effort commun», soulignent MM. Mäs et Dijkstra dans leur étude.
Nettement plus, en tout cas, que lorsqu'ils sont de simples pions exécutant des ordres, situation dans laquelle ils ont tendance à chercher à dégager un profit personnel de la situation, et donc à créer des tensions internes insidieuses. Pourquoi ça? Parce qu'ils sont alors motivés à faire mieux que les autres, et non à simplement atteindre l'objectif commun visé, voire leurs objectifs personnels pour les plus égoïstes d'entre eux.
Et les deux chercheurs d'ajouter : «On retrouve ici le mécanisme de Coleman, qui permet d'expliquer le phénomène de "l'excès de zèle". Quand on exprime des encouragements, ou même de la gratitude, à l'égard d'autrui, ce dernier y surréagit, au point parfois d'orienter ses efforts dans le sens désiré, et même de dépasser par la suite toutes les attentes».
Autrement dit, à partir du moment où l'on encourage chacun à contribuer activement au succès de l'équipe – notamment en lui donnant la possibilité d'établir de manière concertée la stratégie à suivre –, on motive chacun à redoubler d'efforts pour le bien de tous ainsi qu'à renoncer à "jouer perso". Oui, il suffit d'accorder davantage de pouvoir à chacun – ne serait qu'en ouvrant davantage les discussions importantes – pour gonfler tout le monde à bloc. À noter, et c'est un point important, que l'effet en sera décuplé si chacun a en tête que son équipe est en compétition avec d'autres.
Voilà. De tout cela, on peut tirer la leçon suivante, d'après moi :
> Qui entend voir son équipe se surpasser se doit avant tout de renforcer les liens internes de celle-ci. Car plus ce réseau de liens est fort et harmonieux, plus l'ensemble de l'équipe sera puissant, dans un contexte de compétition. Il convient par conséquent au manager de ne pas faire l'erreur – trop commune – de rappeler aux uns et aux autres à quel point la compétition est féroce, mais plutôt d'améliorer sans cesse la dynamique propre à son équipe, en misant plus sur le collectif et moins sur l'individualisme.
En passant, le physicien américain Heinz Pagels a dit dans L'Univers quantique : «Ce que l'individu perçoit comme une liberté n'est rien de plus qu'une nécessité du point de vue collectif».
Découvrez mes précédents billets
Ma toute nouvelle page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau