BLOGUE. En feuilletant le dernier ouvrage de Frédéric Metz, Design? (Flammarion Québec, 2012), je suis tombé sur un passage qui a accroché mon attention. Celui sur notre goût immodéré pour le vintage. Vous savez, cette mode qui perdure pour tout ce qui date des années 1950, 1960 et même 1970, bref, pour tout ce qui évoque les 30 Glorieuses, cette époque où l'économie était florissante et l'avenir, radieux.
Découvrez mes précédents billets
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
«Le consommateur apprécie le rétro, qui se vend bien et donne confiance. À preuve, tous ces "nouveaux" emballages aux looks anciens, conçus aujourd'hui par des graphistes professionnels. Ce penchant pour l'ancien illusoire fait vibrer nos cordes sensibles», indique le professeur associé à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), en faisant au passage un clin d'œil au publicitaire Jacques Bouchard.
Les exemples sont à foison : les boîtes métalliques carrées des galettes de La Mère Poulard; les boîtes métalliques d'origine de Turtles relancées en 2009 par Nestlé pour souligner les 60 ans de la marque; ou encore, la réédition par Johnson & Johnson Canada des boîtes d'origine des pansements Band-Aid à l'occasion de leur 85e anniversaire, en 2006.
Idem, «l'engouement pour le style Mad Men fait mouche et déferle». «Des collections complètes, conçues dans le style rétro 1960 de cette série télé culte, entrent dans les boutiques. (…) Fringues, meubles, bouquins, cocktails Mad Men : tout pour nourrir les mélancoliques, soudain entichés d'une époque sublimée par des scénaristes. Un temps révolu que, bien entendu, la plupart de ses consommateurs sont trop jeunes pour avoir connu.»
La question saute dès lors aux yeux : comment expliquer une telle passion pour le vintage? M. Metz l'a indiqué, cette mode nous «rassure» et fait vibrer l'une de «nos cordes sensibles». Mais ce n'est pas tout. Elle nous pousse aussi… à innover!
Regardons ce qui se passe dans l'industrie automobile… Ici et là, circulent des Coccinelle, Mini et 500 revues et corrigées. «Sans oser l'avouer, la Smart aurait-elle été inspirée de l'Isetta, coqueluche trois-roues des années 1950? La forme ovoïde de cette micro-citadine munie d'un moteur deux-temps surprend quiconque la croise ou découvre sa portière unique, située à l'avant. L'Isetta a connu un parcours de fabrication chaotique qui l'a fait circuler chez plusieurs constructeurs. D'une naissance italienne, elle est passée au Brésil, puis en France, ensuite chez BMW en Grande-Bretagne et en Allemagne, sans oublier, après quelques modifications, une virée aux États-Unis, où elle a trouvé 12 800 acheteurs (dont Elvis Presley). Sa course folle s'est arrêtée en 1962.» Un trajet qui n'est peut-être pas terminé : le designer autrichien Tony Weichselbraun a fait l'exercice cette année de redessiner et moderniser l'Isetta, et en a fait un véhicule électrique subtilement dénommé eSetta, qui serait idéal pour la circulation en ville.
L'idée est là : pour faire du neuf, on peut librement s'inspirer du vieux…
«De la créativité? On en découvre chaque jour. Des artistes innovateurs puisent leur imagination dans le cycle de l'upcycling. En 1993, deux graphistes, Makus et Daniel Freitag, cherchaient un sac pour messager : fonctionnel, étanche et solide. Inspirés par le va-et-vient coloré des véhicules industriels qui passaient devant leur appartement, ils ont mis au point un sac-courrier à partir de vieilles bâches de camion, de chambres à air de vélo usagées et de vieilles ceintures de sécurité. Les premiers sacs Freitag étaient nés et, du coup, les deux associés venaient de lancer une nouvelle mode. En 2011, Freitag a fabriqué 300 000 articles de maroquinerie dans leur nouvelle usine de 7 500 mètres carrés au nord de Zurich», raconte M. Metz.
Et voilà le terme : upcycling. Que signifie-t-il, au juste? Grosso modo, c'est un processus visant à transformer de vieux matériaux usagés en de nouveaux produits flambant neufs. Il s'agit donc d'une opération de revalorisation, et non de recyclage : dans le dernier cas, on pulvérise des objets existants pour réutiliser une partie de leurs matières premières, alors que dans le premier, on leur donne une nouvelle vie, sous une autre forme. Une nuance de taille.
Et si vous vous mettiez à faire de l'ideas upcycling, ou, si vous préférez, de la revalorisation d'idées? Je m'explique… Actuellement, on s'évertue à trouver des idées neuves, pour devancer la concurrence, pour anticiper la prochaine mode, pour tout bonnement survivre. On cherche du neuf. On veut du neuf. On prie pour du neuf. Et ce faisant, on est obnubilé par l'inédit, c'est-à-dire par le jamais vu.
Erreur! On regarde autour de soi ce qui se fait de neuf, on se réunit dans d'interminables réunions de brainstorming, et on jubile dès que l'on croit avoir trouvé une infime variante de ce que tout le monde fait déjà. Mais ce n'est pas comme cela qu'on peut innover furieusement.
Il convient de procéder autrement. Tout autrement. Et – pourquoi pas? –, de regarder ce qui se faisait avant, vraiment avant, dans les années 1950, 1960 et 1970. Oui, des idées que l'on avait alors, dans le domaine où vous œuvrez. Comme celle de l'Isetta, pour l'industrie automobile.
Ma suggestion du jour… Identifiez deux idées simples, qui, de nos jours, sont oubliées ou considérées comme périmées. Deux idées simples, qui peuvent très bien vous sembler a priori hétéroclites. Et faites ensuite l'exercice de les combiner. Rien que pour voir ce que cela ferait.
Un exemple concret (que je fais devant vous, en direct, sans savoir où cela me mènera!) : en 1962, Mary Quant a inventé la minijupe ; et la même année, le sociologue Everett Rogers a lancé son livre Diffusion of innovation, qui mettait au jour, entre autres, la notion d'early adopter.
Quelle était l'idée à l'origine de la minijupe? Mary Quant voulait que les femmes puissent courir derrière le bus qui leur passait sous le nez, et de manière plus générale, soient plus libres de leurs mouvements.
Et derrière celle d'Everett Rogers? Que les innovations, pour prendre vie, doivent circuler : lancées par des innovateurs, il faut qu'elles soient reprises par les early adopters, puis par l'early majority. Tout se joue par la suite. Si la late majority ne les adopte pas, elles s'évanouissent peu à peu; et si elle est séduite, elles deviennent de véritables phénomènes.
Bref, de la minijupe, on peut retenir l'idée de liberté de mouvement, et de celle de Diffusion of innovation, de liberté de circulation.
Comment combiner les deux? C'est évident : elles se rejoignent par la notion de liberté de déplacement, que ce soit à l'échelle individuelle (minijupe) ou à l'échelle collective (innovation). Autrement dit, la vie passe par le mouvement. La vie, et tout ce qui la connote : le bonheur, le plaisir, la joie, l'émotion, etc.
Et puis, me direz-vous? Eh bien, c'est simple : si vous souhaitez, par exemple, rendre vos produits ou services plus "vivants", vous pouvez imaginer de le faire en jouant avec la notion de "mouvement". Et, bien sûr, vous inspirer directement de la minijupe, ou encore de l'image qui vous vient en tête quand vous songez à un early adopter. Voilà, à mon avis, deux belles rampes de lancement pour votre imaginaire, à tout le moins pour votre prochaine réunion de brainstorming. Qu'en pensez-vous?
En passant, l'économiste autrichien Joseph Schumpeter aimait à dire : «Le client n'est pas la source de l'innovation».
Découvrez mes précédents billets