Aimeriez-vous que ceux qui vous entourent au travail aient la sensation de vivre, jour après jour, des moments magiques ? J’imagine que oui. Et que vous pensez en ce moment-même qu’il s’agit là d’une Mission : Impossible. Que ce serait trop beau pour être vrai. Que si une telle chose était possible, ça se saurait. Eh bien, si telles sont vos pensées, détrompez-vous.
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J’ai en effet mis la main sur une étude fabuleuse, sobrement intitulée Memory Utility. Celle-ci est le fruit du travail de : Itzhak Gilboa, professeur d’économie à l’Université de Tel Aviv (Israël) et à HEC Paris (France); Andrew Postlewaite, professeur d’économie et de finance à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie (Etats-Unis); et Larry Samuelson, professeur d’économie à Yale (Etats-Unis). Et elle montre – tenez-vous bien – qu’il est tout à fait réaliste d’enchanter le quotidien de vos employés. Si, si…
Les trois chercheurs ont tout d’abord été intrigués par un curieux paradoxe. Imaginons que quelqu’un vous offre des Smarties, vous savez, ces petits bonbons multicolores au chocolat. Et qu’il vous donne le choix suivant : soit en avoir 10 le premier jour, 12 le suivant et 14 le jour d’après ; soit respectivement 14, 12, puis 10. Quel choix feriez-vous ? Je connais d’ores et déjà votre réponse, car tout le monde, ou presque, fait le même choix dans un tel cas : le premier, à savoir 10-12-14. Pourquoi, alors que, somme toute, cela revient globalement au même (le total est, dans les deux cas, de 36 Smarties) ? Parce qu’il semble que nous préférions les plaisirs qui vont croissants à ceux qui vont décroissants, comme l’ont montré, entre autres, les deux « prix Nobel d’économie » Daniel Kahneman et Amos Tversky dans leurs travaux.
Bien. Mais voilà qu’un paradoxe survient, quand on y pense : comment expliquer, dès lors, qu’un jeune couple se mette à dépenser quasiment sans compter pour leur mariage et le voyage de noces qui va avec ? De fait, cette dépense est faramineuse, surtout pour un jeune couple, à tel point que cela va l’empêcher de consommer comme il l’aurait pu sans cela, et ce, dans les mois, voire les années, à venir. Et elle n’est pas durable, comme pourrait l’être, disons, une maison ou différents gadgets électroniques (télévision, ordinateurs, etc.). Bref, cette décision revient à privilégier le 14-12-10 au normal 10-12-14, ce qui est a priori illogique.
Les trois professeurs d’économie se sont dit qu’il y avait là matière à réflexion, et se sont attelé à la tâche. Comment ? En concoctant un modèle économétrique visant à expliquer comment il pouvait se faire que des personnes raisonnables puissent dépenser, le cœur léger, des sommes considérables pour des biens non-durables, comme les vacances, les voyages et autres fêtes. Celui-ci partait d’un principe très simple : lorsqu’on se procure un bien, ce dernier est soit ordinaire, soit mémorable. La différence entre les deux ? Un bien mémorable, comme un voyage de noces, est « un bien dont la consommation mémorielle perdure à sa consommation matérielle ». Autrement dit, c’est un bien qu’on garde longtemps en mémoire après avoir été consommé, ce qui n’est pas le cas d’un bien ordinaire (par exemple, vous souvenez-vous vraiment de votre toute première télévision, ou du premier ordinateur portable que vous vous êtes offert ?).
MM. Gilboa, Postlewaite et Samuelson ont donc mis au point un modèle de calcul tenant compte du fait que lorsqu’on consomme un bien, on le fait en cherchant à optimiser notre consommation dans le temps. Et par conséquent, en valorisant, consciemment ou pas, la dimension mémorielle du bien en question.
Résultat ? Le voici :
➢ La puissance insoupçonnée des souvenirs heureux. Plus un bien est susceptible de nous laisser un souvenir impérissable, plus nous sommes a priori disposés à faire des folies pour l’acquérir. Du coup, nous n’hésitons pas, dans ce cas-là, à commencer par le 14 au lieu de l’habituel 10, tout bonnement parce qu’on se réjouit à l’avance de consommer ce qui nous procurera du plaisir encore longtemps. Nous perdons de vue le coût immédiat, pour ne plus avoir en tête que les immenses gains qui vont en découler dans les mois et les années à venir. Nous agissons de manière à enrichir notre mémoire de souvenirs heureux – notez, d’ailleurs, cette tendance que nous avons tous à photographier et à filmer tout et rien lorsque nous voyageons à l’étranger en amoureux ou lorsque nous faisons une sortie inusitée en famille.
Que découle-t-il de cette trouvaille ? Un truc ultrasimple :
➢ Qui entend enchanter le quotidien de ses employés se doit de leur offrir non pas des biens matériels, mais des expériences inoubliables. Par exemple, mieux vaut récompenser l’un d’eux par un week-end, tous frais payés, dans une auberge paradisiaque, ou encore par une excursion en hélicoptère pour assister à un feu d’artifices monumental, que par une prime financière ou par un cellulaire dernier cri d’un montant équivalent. Car l’employé en question va chérir pendant longtemps l’expérience extraordinaire ainsi vécue, et en aucun cas le cellulaire reçu, qui sera devenu quétaine en l’espace de quelques mois seulement.
Voilà. Il ne tient désormais qu’à vous de rendre magique le quotidien de ceux qui vous entourent au travail. Il vous suffit, pour ce faire, de permettre à chacun de vivre quelque chose qui lui laissera des souvenirs heureux – une sortie inopinée en équipe, une dégustation de bières de microbrasserie au bureau un vendredi en fin d’après-midi, etc. –, et le tour est joué.
En passant, l’écrivain belge Anton van Wilderode a dit dans Un chant solitaire : « Tout grandit en se changeant en souvenirs ».
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