Lorsqu'un manager prend le temps de donner du feedback à l'un des membres de son équipe, il en espère toujours un changement. Oui, un changement quand le feedback est négatif : s'il indique à Denis qu'il lui faut dorénavant arriver à l'heure au travail, il espère bien être entendu. Tout comme lorsqu'il est positif : s'il indique à Martine qu'il est satisfait de sa dernière prouesse au travail, il espère bien que cette tape dans le dos va lui donner l'énergie nécessaire pour continuer sur sa lancée, et non pas se reposer sur ses lauriers.
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Autrement dit, le but premier du feedback est de faire passer un message à autrui, un message personnel, un message porteur d'espoirs. Et cela peut se faire en usant de la raison (ex.: fournir une explication pertinente de la nécessité d'un changement d'attitude), mais surtout en se servant de l'émotion (ex.: faire vibrer la corde sensible idoine pour déclencher l'envie d'autrui d'effectuer un changement important dans sa vie professionnelle).
D'où la question existentielle suivante : le feedback est-il un bon moyen pour faire vibrer les cordes sensibles d'autrui? Soit, si l'on préfère : est-ce vraiment grâce au feedback que l'on peut toucher émotivement autrui? Le toucher au point de changer…
Lorianne Mitchell, professeure de management à l'Université d'État de l'Est-Tennessee à Johnson City (États-Unis), a voulu en avoir le cœur net. Dans le cadre de son étude Emotional responses to performance appraisal feedback: Implications for organizations, elle s'est demandé quelles étaient les émotions les plus fortes que ressentaient en général les personnes qui ressortaient d'un feedback, que celui-ci ait été positif ou négatif.
Pour s'en faire une idée, elle a proposé à des étudiants de son université de participer à une expérience. En tout, 62 se sont porté volontaires. Dans un premier temps, chacun devait accepter de remplir un questionnaire sur les émotions qu'ils ressentaient au moment présent, ainsi que de recevoir du feedback à la suite du prochain examen.
Une fois l'examen passé, chaque participant a eu sa note, tout comme du feedback personnalisé. Et aussitôt après, il leur a fallu répondre à un nouveau questionnaire portant, une fois de plus, sur leurs émotions au moment présent.
On ne peut plus simple, n'est-ce pas? Et cette simplicité-même a permis à Mme Mitchell de faire une découverte surprenante :
> Fierté. Tout feedback, qu'il soit positif ou négatif, ne véhicule qu'une sorte d'émotion. Une seule. Celle-là : la fierté. Par conséquent, un feedback peut permettre de modifier la fierté d'autrui. Et c'est tout. Un feedback ne joue pas sur les autres émotions analysées dans cette étude, soit : la honte, la culpabilité, la colère et la gratitude.
Je me permets d'insister, quitte à me répéter. Ce n'est pas à l'aide d'un feedback qu'on peut rendre quelqu'un plus ou moins honteux. Ce n'est pas à l'aide d'un feedback qu'on peut rendre quelqu'un plus ou moins coupable. Ce n'est pas à l'aide d'un feedback qu'on peut rendre quelqu'un plus ou moins coléreux. Et ce n'est pas à l'aide d'un feedback qu'on peut rendre quelqu'un plus ou moins empreint de gratitude.
Vous avez bien lu : la seule émotion que l'on peut faire fluctuer, c'est la fierté. Incroyable, non? Elle-même un peu surprise par sa trouvaille, la chercheuse américaine l'a vérifié et contrevérifié, tombant toujours le même résultat. Cela lui a permis de découvrir au passage un point intéressant :
> Une question de personnalité. Pour véhiculer une émotion, l'important n'est pas que le feedback soit positif ou négatif. Non, l'important, c'est QUI donne le feedback. Car l'intensité de l'émotion ressentie à cette occasion-là ne dépend, en fait, que d'une chose : la personnalité de celui qui donne le feedback.
Qu'est-ce à dire, au juste? Que plus le manager et l'employé ont des affinités entre eux – comme la confiance –, plus l'émotion sera forte entre eux, et donc plus l'employé ressortira de la rencontre avec une fierté boostée (feedback positif) ou avec une fierté fouettée (feedback négatif). Et surtout que le manager aura beau faire, l'employé ne ressortira pas plus ou moins coupable, par exemple, à l'issue de leur rencontre en tête-à-tête.
Voilà. L'impact du feedback est nettement plus limité que ce que l'on croit a priori. Cette formule de rencontre personnalisée ne permet que d'influer sur la fierté de l'employé, et rien d'autre. Et encore, cela n'aura de véritable impact que si règne une confiance sincère entre le manager et l'employé.
Je vois d'ici vos mines étonnées, pour ne pas dire sceptiques. Je vois aussi dans votre tête cette idée qui circule à toute vitesse, vous hurlant que ce n'est pas vrai, que vous êtes vous-même déjà ressorti d'un feedback tourneboulé, et donc en proie à de vives émotions autres que celle de la fierté.
C'est vrai. Votre mémoire ne vous trompe pas. Mais voilà, à votre insu, il s'est révélé que la seule trace durable de cette séance "horrible" n'a concerné que votre fierté. Et rien d'autre. C'est elle qui a été piquée au vif, pas le reste : ne vous êtes d'ailleurs pas dit, peu après, quelque chose du genre «Ce manager ne comprend rien à rien, et ne veut même pas m'écouter» (quand il tentait de vous faire reconnaître vos torts), ou encore «Quel gros c…!» (quand il cherchait à vous rendre honteux). Pas vrai?
Maintenant, s'il vous faut retenir une chose de tout cela, c'est ce qui suit, à mon avis :
> Vous souhaitez donner un feedback efficace? Dans un premier temps, préparez une argumentation en béton, visant la raison de votre interlocuteur. Dans un second temps, jouez la carte de l'émotion, mais uniquement si celle-ci concerne la fierté de votre interlocuteur. Oubliez toutes les autres émotions, car cela serait vain.
En passant, le peintre néerlandais Vincent van Gogh a dit dans l'une des lettres à son frère Théo : «N'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir».
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