Quel manager ne rêve pas de voir les membres de son équipe collaborer entre eux? Je veux dire, vraiment collaborer. D'eux-mêmes. Pas de manière plus ou moins contrainte, poussés par la force des choses, en vertu de raisonnements boiteux comme «Ben, la vérité vraie, c'est que j'ai pas trop le choix si je veux atteindre mes objectifs».
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Aucun, bien sûr. Maintenant, la question suivante, logique : quel manager y parvient réellement? Je vois d'ici vos yeux qui se lèvent au ciel, en signe de désespoir…
D'où ma joie lorsque je suis tombé sur une étude intitulée Positive emotion and (dis)inhibition interact to predict cooperative behavior, signée par : David Rand, professeur de psychologie à Yale (États-Unis); et June Gruber, bientôt professeure de psychologie à l'Université du Colorado à Boulder (États-Unis). Pourquoi? Parce qu'elle a mis au jour un truc ultrasimple pour dynamiser l'esprit de collaboration au sein d'une équipe de travail.
Les deux chercheurs ont procédé à deux expériences visant à regarder s'il y avait le moindre lien entre le fait d'être d'humeur positive et l'envie de collaborer avec autrui. Dans la première, les 4218 participants ont été confrontés à une série de dilemmes moraux et ont dû, juste après avoir donné chacune de leurs réponses, indiquer l'humeur dans laquelle ils se trouvaient.
Des dilemmes moraux loin d'être évidents à dénouer, comme dans le cas du «dilemme du prisonnier», un classique de la théorie des jeux. Ce dernier caractérise les situations où deux joueurs auraient tout intérêt à coopérer, mais où les incitations à trahir l'autre sont si fortes que la coopération n'est jamais sélectionnée par un joueur rationnel. Albert Tucker, un mathématicien américain d’origine canadienne, le présentait sous la forme d’une histoire…
Deux suspects (en réalité, les deux responsables du crime) sont arrêtés par la police. Le hic? Les agents n'ont pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la même offre : «Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l'autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Et si personne ne se dénonce, vous aurez tous les deux 6 mois de prison».
Chacun des prisonniers a alors logiquement la réflexion suivante à propos de son complice :
• « Dans le cas où il me dénoncerait :
- Si je me tais, je ferai 10 ans de prison ;
- Mais si je le dénonce, je ne ferai que 5 ans. »
• « Dans le cas où il ne me dénoncerait pas :
- Si je me tais, je ferai 6 mois de prison ;
- Mais si je le dénonce, je serai libre. »
Et de conclure systématiquement : «Quel que soit son choix, j'ai tout intérêt à le dénoncer».
Si chacun des complices suit effectivement ce raisonnement, ils écoperont de 5 années de prison, l’un comme l’autre. Mais voilà, s'ils étaient tous deux restés silencieux, ils n'auraient écopé que de 6 mois chacun… Cet exemple montre qu’être purement rationnel et individualiste ne mène pas toujours à la meilleure solution. Et donc, que mieux vaut collaborer, même si les apparences ne semblent pas favorables.
Bon. Revenons à la première expérience. Voici la merveille qu'elle a permis aux deux chercheurs de découvrir :
> Avantage à la bonne humeur. Les participants qui disaient ressentir des émotions positives (joie, bonne humeur, etc.) ont été, et de loin, ceux qui se sont montré les plus collaboratifs.
La seconde expérience consistait grosso modo en une variante de la première : les 236 participants devaient indiquer leur état mental non plus une fois le dilemme tranché, mais pendant leur réflexion. L'idée de cette modification résidait dans le fait que les deux chercheurs étaient dès lors en mesure d'évaluer l'inhibition de chacun, soit leur niveau exact de self-control par rapport à leurs émotions au moment de prendre une décision.
Qu'est-ce que cela leur a permis de découvrir? Ceci :
> Le frein insoupçonné de l'inhibition. Les participants qui ressentaient des émotions, mais qui les inhibaient, ne se sont pas montrés plus collaboratifs que les autres. Autrement dit, le fait de ne pas pouvoir exprimer les émotions positives que l'on a nuit directement à notre volonté de collaborer avec les autres.
Comment expliquer ce phénomène? «Les avantages qu'il y a à être heureux au moment présent sont noyés par l'incapacité que l'on a à exprimer ce que l'on ressent», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
L'application à notre quotidien au travail me paraît évidente :
> Qui entend booster la collaboration au sein de son équipe doit veiller à ce que chacun se sente heureux dans son travail, et surtout à ce que rien ne vienne gâcher sa belle humeur. Bref, il lui faut chasser les contrariétés des uns et des autres.
Comment traduire tout cela sur le terrain? Eh bien, j'ai pour vous une suggestion. J'ai assisté hier matin à une drôle de réunion chez Karelab, une firme montréalaise spécialisée dans les programmes d'engagement du personnel. Une réunion géniale…
La vingtaine d'employés se réunit tous les matins, à 9h, debout, en cercle autour d'un ordinateur portable (lequel permet à ceux qui sont à distance d'assister virtuellement à la réunion). À tour de rôle, chacun prend la parole pour communiquer aux autres deux choses :
> Reconnaissance. Il exprime sa reconnaissance envers ce qui "a fait" sa journée, la veille ou le matin-même. Ça peut être le fait d'avoir adopté un chiot, ou encore le fait d'avoir bénéficié d'un précieux coup de main de la part d'un collègue. Ce qui donne des phrases du genre : «Ma reconnaissance va ce matin à Gab, parce qu'il a trouvé la solution au problème que j'avais pour rédiger telle ligne de programmation».
> Priorité. Il énonce ensuite sa priorité pour la journée. L'intérêt est que cela informe chacun de ce que font les autres, et éventuellement que cela leur donne l'occasion de les aider, d'une manière ou d'une autre.
En 10-15 minutes, la réunion est terminée. Et – je peux en attester – tout le monde en ressort avec un immense sourire. Boosté pour la journée.
Voilà. À vous de vous en inspirer, si le cœur vous en dit.
En passant, Anne Frank disait dans son Journal : «Le courage et la joie sont deux facteurs vitaux.»
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