Au travail, qui dit efficacité dit nécessairement collaboration. Logique. Mais voilà, quel n’est pas aujourd’hui le manager qui ne s’arrache pas régulièrement les cheveux par poignées, chaque fois, en fait, que les membres de son équipe se mettent des bâtons dans les roues – parfois même involontairement – au lieu de tous mettre l’épaule à la roue ? Hein ?
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Vous comprendrez donc pourquoi mes yeux se sont mis à étinceler lorsque j’ai découvert une étude intitulée Time pressure increases cooperation in competitively framed social dilemmas et signée par David Rand, professeur de psychologie à Yale (Etats-Unis), assisté de son étudiant Jeremy Cone. Une étude fascinante, qui met au jour un truc on ne peut plus simple pour amener chacun à collaborer avec les autres comme jamais.
Les deux chercheurs se sont posé une lourde question existentielle : lorsque nous prenons la décision de collaborer, cela résulte-t-il d’une mûre réflexion de notre part ? De l’expression d’une intuition solidement ancrée en nous ? Ou un peu des deux à la fois ? Autrement dit, est-ce la raison ou l’intuition qui parle lorsque nous optons pour la collaboration ?
Une interrogation ambitieuse, n’est-ce pas ? Et pourtant, MM. Rand et Cone ont réussi le tour de force, à mon avis, d’y apporter une véritable réponse. Mieux, une réponse lumineuse. Entrons dans le détail pour voir de quoi il retourne…
Il a été demandé à plus de 700 volontaires de bien vouloir se prêter à un petit jeu. Chacun se voyait remis une petite somme d’argent et avait pour mission de la faire fructifier. Comment ? En la déposant, en tout ou en partie, dans un pot commun auquel pouvaient contribuer trois autres participants. Et ce, sachant que le montant déposé dans le pot commun serait multiplié par deux par les expérimentateurs, puis équitablement versé aux quatre participants, qu’ils aient contribué au pot commun, ou pas.
On le voit bien, chacun était confronté à un dilemme. La stratégie gagnante, c’était de ne pas contribuer au pot en commun, en espérant que les trois autres, eux, y contribuent au maximum. Mais il suffisait qu’au moins deux des quatre participants adoptent la même stratégie égoïste pour que le plan s’effondre lamentablement. Bref, chacun avait à décider s’il valait mieux miser sur la collaboration ou sur l’égoïsme.
Histoire de corser un peu le tout, les deux chercheurs n’ont pas mis tous les participants dans les mêmes conditions :
> Incitation à la collaboration. Certains avaient été poussés à se montrer collaboratifs, à leur insu. En effet, dans le texte des instructions à suivre qui leur avait été présenté, la formulation des phrases amenait habilement à penser qu’il était demandé de collaborer avec les autres. Par exemple, les trois autres participants étaient désignés comme des «partenaires» et l’objectif visé était un «but commun».
> Incitation à la compétition. Les autres avaient été poussés à se montrer compétitifs, à leur insu. En effet, dans le texte des instructions à suivre qui leur avait été présenté, la formulation des phrases amenait habilement à penser qu’il était demandé d’enregistrer une meilleure performance que les autres. Par exemple, les trois autres participants étaient désignés comme des «adversaires» et l’objectif visé était un «gain personnel».
Ce n’est pas tout. Une contrainte de temps a également été ajoutée :
> Sous pression. Certains avaient un maximum de 10 secondes pour prendre leur décision.
> Sans pression. Les autres devaient attendre au moins 10 secondes avant de prendre leur décision.
Résultats ? Tenez-vous bien, car ils vont sûrement vous surprendre :
➢ Les plus collaboratifs. Les participants qui ont été les plus enclins à collaborer ont été ceux qui avaient été à la fois incités à la compétition et mis sous la pression du chronomètre. En conséquence, plus on veut gagner et plus on mise sur son intuition, plus on compte sur les autres pour parvenir à nos fins.
➢ Les deuxièmes plus collaboratifs. Sont arrivés juste derrière ceux qui avaient été incités à la collaboration et qui avaient eu tout leur temps pour prendre leur décision. En conséquence, plus on vise un but commun et plus on raisonne, moins on compte sur soi pour parvenir à nos fins.
➢ Les plus égoïstes. Les participants qui se sont montrés les plus égoïstes ont été ceux qui avaient été incités à la compétition et qui avaient eu tout leur temps pour prendre leur décision. En conséquence, plus on veut gagner et plus on raisonne, plus on compte sur soi pour parvenir à nos fins.
Bon. Il convient à présent de résumer tout cela, d’en tirer la substantifique moelle. Soit, d’après moi, le fait qu’il existe un moyen d’inciter chacun à collaborer comme jamais avec les autres membres de son équipe :
> Qui entend voir les membres de son équipe mettre tous l’épaule à la roue se doit d’agir sur les deux leviers que sont l’esprit de compétition et le temps. Mais pas n’importe comment. D’une part, il convient d’inciter chacun à voir les autres comme des «partenaires», qui visent tous un «but commun», en veillant à ce que chacun ait en tête le «gain personnel» qu’il peut en retirer (ex. : l’occasion d’exprimer comme jamais ses talents personnels, de briller aux yeux des autres, etc.). D’autre part, il convient de ne mettre personne sous pression, en particulier avec des deadlines de fou : chacun aura ainsi le temps de réaliser à quel point l’aide des autres peut lui être précieuse. C’est que l’idéal est de mettre chacun dans les mêmes conditions que ceux qui se sont montrés, dans l’expérience, les deuxièmes plus créatifs, en saupoudrant à faible dose ce qui distinguait ceux qui se sont montrés les plus collaboratifs, à savoir l’envie de gagner.
«À noter que notre étude met également en évidence – nous tenons à le souligner – le fait que le vocabulaire utilisé lorsqu’on donne des instructions aux gens a une incidence certaine sur les résultats obtenus. En effet, il suffit de présenter les autres non pas comme des «adversaires», mais comme des «partenaires», pour que – comme par magie – chacun soit davantage ouvert à la collaboration», indiquent MM. Rand et Cone dans leur étude. D’où l’importance fondamentale – mais si souvent oubliée, malheureusement – de soigner son vocabulaire lorsqu’on est un manager digne de ce nom…
En passant, le constructeur automobile américain Henry Ford aimait à dire : «Se réunir est un début ; rester ensemble, un progrès ; travailler ensemble, la réussite».
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter