BLOGUE. Un dossier à boucler en moins de deux, une réunion imprévue où il faudra prendre la parole, un client qui fait faux bond à la dernière minute… Il nous arrive tous d'être stressé au travail. Hyper stressé, même. Pas vrai?
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C'est normal, me direz-vous. Ça fait partie du travail. Et quand cela nous arrive, nous avons tendance à cacher notre stress aux autres, histoire de ne pas montrer notre soudaine vulnérabilité. Mais voilà, arrivons-nous vraiment à le cacher? Oui, les autres ne sentent-ils pas, inconsciemment, notre stress? Et le cas échéant, l'image qu'ils ont de nous, toujours inconsciemment, en est-elle modifiée?
Impossible à dire, n'est-ce pas? Eh bien, si, il est possible de répondre à ces interrogations. La réponse se trouve dans une étude intitulée Chemosignals of stress influence social judgments, laquelle est signée par quatre chercheurs du Monell Center, un institut de recherche indépendant dédié à l'étude des sens du goût et de l'odorat, qui est établi à Philadelphie (États-Unis) : Pamela Dalton, Christopher Mauté, Cristina Jaén et Tamika Wilson.
Les quatre chercheurs ont, dans un premier, effectué des prélèvements de sueur de personnes stressées. Ils ont demandé à 44 femmes de subir ce qui s'appelle le Trier Social Stress Test (TSST), un test classique visant à rendre les gens hyper stressés. Le principe est simple : il s'agit de tenir un discours de manière impromptue devant un jury peu réceptif, puis d'effectuer, de tête, des calculs arithmétiques ardus, toujours en dépit des soupirs et des haussements d'yeux vers le ciel des membres du jury. Et ce, durant un long, très long, quart d'heure.
Peu après, chaque participante a dû faire du vélo stationnaire de manière intensive pendant quinze minutes. Et donc, se mettre à suer abondamment. L'idée était en effet de prendre quelques gouttes de sueur sous les aisselles, sachant que l'une avait eu du déodorant et pas l'autre.
Dans un second temps, il a été demandé à 120 personnes de regarder 24 courts vidéos – de 15 secondes chaque – montrant, à chaque fois, une femme dans une situation normale de la vie quotidienne (au bureau, à la maison, en train de s'occuper d'un enfant). Avant chaque visionnement, les participants devaient respirer durant 5 secondes un bout de tissu imprégné de sueur, soit :
> De la sueur d'une aisselle avec déodorant (beaucoup de déodorant, mis juste avant de fournir l'effort physique);
> De la sueur d'une aisselle sans déodorant;
> De la sueur de personnes n'ayant fait que la séance de vélo stationnaire, et donc n'ayant pas été stressées au préalable par le TSST.
Enfin, chacun des 120 participants a dû évaluer, vidéo après vidéo, plusieurs caractéristiques du personnage central :
> L'assurance qu'il affiche;
> La confiance qu'il inspire;
> Le stress qu'il ressent;
> La compétence qu'il a dans ce qu'il fait.
Résultats? Pour le moins surprenants :
> Négatifs. Les hommes qui ont senti la sueur sans déodorant de femmes stressées ont considéré que les femmes vues dans les vidéos comme étant stressées, manquant d'assurance, peu fiables et peu compétentes.
> Indifférents. Les hommes qui ont senti la sueur avec déodorant de femmes stressées n'ont pas perçu les femmes vues dans les vidéos comme manquant d'assurance, inspirant peu confiance et peu compétentes.
> Indulgentes. Les femmes qui ont senti la sueur sans déodorant de femmes stressées ont considéré que les femmes vues dans les vidéos comme étant stressées, mais ne les ont pas perçues pour autant comme manquant d'assurance, inspirant peu confiance et peu compétentes.
> Indifférentes. Les femmes qui ont senti la sueur avec déodorant de femmes stressées n'ont pas perçu les femmes vues dans les vidéos comme manquant d'assurance, inspirant peu confiance et peu compétentes
Autrement dit, les hommes sont sensibles au stress dégagé par les femmes, quand celles-ci n'ont pas de déodorant, et portent aussitôt un regard négatif à leur égard. Quant aux femmes, elles sont tout aussi sensibles au stress dégagé par les femmes, quand celles-ci n'ont pas de déodorant, mais ne portent aucun regard négatif à leur égard.
Comment expliquer une telle différence? Les quatre chercheurs n'ont pas de réponse franche à ce sujet, mais avancent tout de même l'idée qu'une certaine forme de "solidarité féminine" jouerait inconsciemment. Ils s'appuient pour cela sur diverses études, qui tendent à montrer que, lorsqu'elles voient l'une d'elles en difficulté, les femmes – et même les femelles de certaines espèces de mammifères – ont tendance à la compassion.
Cela étant, que convient-il de retenir de cette étude? Plusieurs choses cruciales, me semble-t-il :
> Quand on est stressé, ça se sent. Nous dégageons des signaux chimiques qui font que les autres le perçoivent inconsciemment, y compris chez ceux qui réussissent à dissimuler les petits gestes qui trahissent habituellement le stress.
> Quand on est stressé, le regard des autres à notre égard change. Les hommes, implacables, portent un regard négatif sur les femmes stressées. Les femmes, elles, font preuve d'indulgence. Même si cela n'a pas été observé par l'étude, on peut imaginer que l'inverse est tout aussi vrai, à savoir que les hommes ont tendance à être indulgent envers un autre homme stressé, et les femmes, elles, à être plutôt négatives à son égard.
> Porter un déodorant peut tout changer. Le simple fait de porter du déodorant perturbe l'odorat des autres, qui ne sont plus à même d'analyser inconsciemment le stress ressenti par l'autre. Cela permet donc d'éviter le jugement négatif qu'ils peuvent avoir dès lors à notre égard. Le hic? Dans la vraie vie, personne ne songe vraiment à se mettre beaucoup de déodorant durant un grand moment de stress. En conséquence, cette technique de diversion n'est pas vraiment réaliste.
Que faire, alors? Eh bien, pour commencer, avoir conscience que les autres devinent votre stress et portent du coup un regard négatif sur vous (s'ils sont du sexe opposé au vôtre). Puis, en tirer parti! Comment? En vous appuyant sur les personnes du même sexe que le vôtre, car elles sont compatissantes. Et en redoublant d'efforts à l'égard des personnes du sexe opposé au vôtre, afin de changer la perception erronée qu'ils ont de vous en ce moment précis.
En passant, l'écrivaine québécoise Madeleine Ferron a dit dans Le Chemin des dames : «Les hommes pratiquent le stress comme si c'était un sport».
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