BLOGUE. Vous avez sûrement, parfois, cette drôle d'impression que le temps ne s'écoule pas à une vitesse normale. Une heure sur le siège du dentiste paraît une éternité. Une heure sur Facebook ne semble que 20 minutes. Normal, me direz-vous. Mais bon, vous êtes-vous déjà demandé si cela avait un impact sur votre façon de travailler, voire sur votre productivité au bureau?
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L'interrogation est d'autant plus pertinente quand on connaît la conclusion de l'étude intitulée Time compression et signée par deux enseignants de l'Université du Wyoming (États-Unis), David Aadland, professeur d'économie, et Sherrill Shaffer, professeur de finance. Celle-ci montre en effet que le phénomène de compression du temps nuit gravement à notre efficacité au travail, passé la quarantaine…
Ainsi, les deux chercheurs se sont plongés dans nombre d'études et d'ouvrages sur la psychologie pour avoir une bonne compréhension du phénomène de compression du temps. Ils ont appris deux choses :
1. Le phénomène de compression du temps survient lorsque le temps écoulé perçu est plus court que le temps écoulé réel, et ce, pour une courte comme une longue durée – quand 20 minutes n'en paraissent que 5, ou quand une année ne semble que 6 mois. Et plus on vieillit, plus on y est sensible (on commence à réaliser que le temps qu'il nous reste à vivre est compté…).
2. Il a une origine biologique. À mesure que nous vieillissons, l'activité de la dopamine, le précurseur de l'adrénaline, dans notre cerveau se met à décroître, si bien que nous avons alors la sensation que le temps file plus vite qu'en réalité ; notre «horloge interne» est dès lors de plus en plus déréglée. Du coup, plus nous prenons de l'âge, plus nous sommes sujets au phénomène de compression du temps.
Les deux chercheurs ont donc considéré qu'il y avait deux sortes de compression du temps. D'une part, une sorte exogène, c'est-à-dire qui ne dépend pas directement de nous (l'impact de la diminution de dopamine dans notre cerveau). D'autre part, une sorte endogène, qui dépend bel et bien de nous (le fait d'avoir accumulé quantité d'expériences durant notre vie nous fait réaliser que nous en avons désormais un nombre restreint à vivre encore).
Partant de cette considération, ils ont estimé que, plus ou moins consciemment, nous anticipons tous le phénomène de compression du temps. De deux manières différentes :
> Approche naïve. Elle concerne ceux qui ne se préoccupent pas franchement du temps qui passe. Du moins ceux qui le croient, car ils se font, tôt ou tard, rattraper par la dure réalité du phénomène, ne serait-ce que par l'effet exogène de la dopamine.
> Approche sophistiquée. Elle vise ceux qui ont conscience que le temps nous est compté, et même plus que ça, que plus le temps passe, plus il s'accélère.
Puis, ils ont incorporé toutes ces variables liées au phénomène de compression du temps à un modèle de calcul économétrique standard, le Life-Cycle Permanent-Income (LCPI). L'idée était de regarder ce que donnaient les deux approches par rapport à une autre servant de référence, à savoir celle d'une personne fictive ayant une productivité constante et une horloge interne jamais déréglée et qui, par suite, fournit une intensité de travail toujours semblable tout au long de sa carrière. Qu'ont-ils trouvé?
> Pour le naïf. Au début de sa carrière (aux alentours de 20 ans), son horloge interne est parfaitement réglée et il ne se préoccupe pas du phénomène de compression du temps. Ses choix de vie et de travail sont alors semblables à ceux de la personne référence.
Par la suite, le naïf commence à ressentir quelques petites compressions du temps, mais il se dit que cela va être similaire dans le futur. Il n'a aucune idée que cela peut aller en empirant. Il réagit à cela en travaillant un peu plus fort que d'habitude, c'est-à-dire un poil plus fort que la personne référence. Car il sait que l'effort produit lui est nécessaire pour s'assurer des revenus nécessaires à son existence ultérieure, pour sa retraite, par exemple.
Un tournant se produit à 50 ans. Le naïf arrête à partir de ce moment-là de fournir un effort de travail supplémentaire, au point d'en faire moins que la personne référence. Et cela s'aggrave peu à peu au fil des ans. Pourquoi? «Essentiellement parce qu'il se dit qu'il est temps de consommer les fruits de ses efforts passés. Aussi parce qu'il se dit que tout ce qui est entrepris comme effort maintenant ne se concrétisera peut-être jamais pour lui», indiquent MM. Aadland et Shaffer dans leur étude.
> Pour le sophistiqué. Ce dernier est l'antithèse du naïf, en ce sens qu'il anticipe continuellement le phénomène de compression du temps et les impacts de celui-ci sur sa vie. C'est pourquoi, dès le début de sa carrière, il redouble d'efforts au travail. Il sait que l'avenir dépend du présent et que mieux vaut pour lui travailler dur jeune que vieux.
Le tournant se produit, pour lui, à 42 ans. Ses efforts se mettent à chuter si vite qu'ils sont d'un tiers plus faibles à l'orée de la retraite, soit à 65 ans, que par rapport au début de carrière. Pourquoi, une fois de plus? Grosso modo pour les mêmes raisons que le naïf : il est grand temps de faire autre chose dans la vie que de travailler et de s'enrichir.
Fascinant, n'est-ce pas? Cette étude montre que nous traversons tous une sorte de crise de la quarantaine au travail! Tous. Pour certains – les «naïfs» –, ça se produira approximativement à 50 ans ; pour d'autres – les «sophistiqués» –, plus tôt, aux alentours de 42 ans. Impossible d'y échapper. De quoi faire méditer nombre de services de ressources humaines…
En passant, l'écrivain Witold Gombrowicz a dit dans ses Souvenirs de Pologne : «Lorsqu'on a vingt ans, on est incendiaire, mais après la quarantaine, on devient pompier».
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