BLOGUE. Ray Bradbury est mort hier à Los Angeles. À l'âge de 91 ans. L'auteur des Chroniques martiennes et de Farenheit 451 était l'un des auteurs de science-fiction les plus lus du monde. Il était surtout un grand visionnaire, qui savait véhiculer ses idées avec poésie et humilité.
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«La science fiction, c'est la fiction des idées. Quand une idée se loge dans ma tête, elle n'existe pas encore vraiment, elle prend peu à peu forme et devient réelle à partir du moment où je saisis qu'elle va tout changer en moi et par la suite chez tout le monde. Les idées m'excitent, au point de ressentir littéralement une giclée d'adrénaline dans tout mon corps. Je tire mon énergie des idées-mêmes. C'est pourquoi la science-fiction est l'art du possible, pas celui de l'impossible», avait-il confié en 2010 au magazine Paris Review.
«J'utilise souvent la métaphore de Persée et de la Méduse, avait-il poursuivi. Au lieu de regarder la vérité droit dans les yeux, mieux vaut parfois jeter un œil sur notre bouclier en bronze pour en regarder son reflet, moins agressant. Alors on peut être en mesure de saisir notre épée et de trancher la tête de la Méduse, dont les yeux peuvent pétrifier. Idem pour la science-fiction. Pour découvrir ce que nous réserve le futur, il suffit de trouver le reflet de ce qui est déjà sous notre nez. Le truc, c'est donc d'avoir une vision par ricochet, mais une vision amusée et distanciée, sinon on risquerait de sombrer dans le super intellectualisme.»
Un exemple lumineux : Farenheit 451, écrit en 1953. Cette dystopie – rédigée en pleine période de maccarthysme, et donc de «chasse aux sorcières» communistes aux États-Unis – raconte l'histoire de Montag, un pompier chargé de brûler les livres dans une civilisation futuriste, mais pas si lointaine de la nôtre. La société paraît heureuse, tout le monde s'amuse, regarde la télévision, badine, a des occupations superficielles, et ne se rend nullement compte qu'elle est en train de plonger vers un avenir apocalyptique, car acculturé.
«Le pompier découvre accidentellement qu'il ne devrait pas, dans le fond, brûler des livres. Il en lit un. Et il tombe amoureux de la lecture. Il comprend dès lors qu'il ne devrait non pas mettre le feu, mais les éteindre. Que c'est même la vocation première de sa profession, laquelle a été perdue en chemin par cette idée qu'il fallait détruire par le feu toutes les idées contenues dans les livres et qui ne demandent qu'à en sortir et se propager. Cette découverte le bouleverse et change sa vie du tout au tout. Voilà un grand sujet, de grands thèmes, que l'on ne peut communiquer efficacement qu'à condition de ne pas pontifier», a-t-il raconté, toujours dans la même entrevue accordée à Sam Weller.
Ainsi, à la manière du 1984 de George Orwell, Ray Bradbury a fustigé dans ce roman une société totalitaire, où la barbarie se dissimule derrière des programmes télévisés soporifiques et où la moindre critique est traitée impitoyablement par le feu. Une société qu'était en train de devenir celle des États-Unis de McCarthy. Une société qui se transformait dangereusement, presque à son insu.
On le voit bien, l'un des grands thèmes de Ray Bradbury, et de la science-fiction en général, c'est la métamorphose. L'être humain est doué du pouvoir de métamorphose. Lui, et même l'ensemble d'une société, voire de l'humanité. Mais voilà, nous refusons de voire cette vérité en face. Car cela nous terrifie.
Oui, chacun de nous peut changer. Chacun de nous a le pouvoir de changer. Chacun de nous a le devoir de changer. Ne serait-ce que parce que l'environnement dans lequel nous évoluons, lui, est en constante mutation, pour ne pas dire évolution.
Qu'est-ce qui nous retient? Une anecdote de la vie de Ray Bradbury peut permettre de le saisir…
Un jour d'automne 1932, le petit Ray âgé de 12 ans assiste à un spectacle de cirque, dans son village de l'Illinois niché au bord du lac Michigan. Fasciné, il assiste au numéro de l'homme qui se fait appeler Mr Electrico. Ce dernier s'assied sur une chaise électrique et se fait électrocuter devant le public. Ses cheveux se dressent, ses yeux lancent des éclairs. Puis, il se dresse, saisit une épée métallique et touche de la pointe les cheveux du bambin en clamant «Vis toujours!».
Le petit Ray reçoit un double choc : un choc électrique sur sa tête et dans tout son corps, qui lui fait, à son tour, dresser les cheveux sur la tête ; et un choc psychique, qui lui fait saisir qu'il vient de vivre un tournant dans sa vie.
Un tournant? Mais quel tournant? Le lendemain soir, tard dans la nuit, il se sauve de chez lui et se précipite vers le cirque. Là, il découvre Mr Electrico assis sur la berge, comme s'il l'attendait. Il veut lui demander ce qu'il entendait par son «Vis toujours!», et surtout comment on doit s'y prendre pour y parvenir, mais il n'ose pas. Au lieu de cela, il lui demande son truc pour la chaise électrique. L'artiste sourit, et l'invite à visiter les coulisses du cirque, sans bien entendu lui dévoiler quoi que ce soit. Le garçon rencontre ainsi, entre autres, l'homme-squelette, la femme-baleine et l'homme-illustré (comprendre tatoué).
Puis, Mr Electrico et le petit Ray ont une longue discussion philosophique : «Lui, l'artiste, me dévoilait ses humbles pensées et moi, du haut de mes 12 ans, mes grandes idées», a-t-il souligné dans l'un de ses posts de blogue, en décembre 2001. Sans prévenir, l'homme lui dit : «Tu sais, on s'est déjà rencontré».
Stupeur. Incompréhension. «Non, monsieur, on ne s'est jamais vus auparavant». Et lui de répliquer : «Si, si. Tu étais mon meilleur ami durant la Première Guerre mondiale, en France. En 1918, en plein cœur des Ardennes, tu as été blessé et tu es mort dans mes bras. Te revoilà. Je reconnais ton âme à travers ton regard qui pétille d'intelligence. Tu as un nouveau visage, un nouveau nom, mais c'est bien toi. Je suis heureux que tu sois de retour parmi nous».
En repartant chez lui, le petit Ray en avait les larmes aux yeux. De joie. «Je sentais que quelque chose d'étrange et de magnifique venait de se produire. Grâce à cette rencontre avec Mr Electrico», a-t-il indiqué. Quelques jours plus tard, il s'est mis à écrire, pour la première fois de sa vie. Et n'a jamais arrêté depuis, jusqu'à son dernier souffle, hier.
Que retenir de cette anecdote? Qu'un rien peut changer notre vie. Comme une simple rencontre avec un artiste de cirque. «Mr Electrico m'a donné un avenir en me donnant la mission de vivre éternellement, mission que j'ai tenté de remplir en devenant écrivain et que j'ai exprimée symboliquement avec Farenheit 451, où l'éternité des écrivains est justement mise en péril. Et il m'a indiqué la voie à suivre, avec cette histoire de réincarnation : le mystérieux passé qu'il venait de me donner m'apprenait que l'imagination avait une puissance fantastique et illimitée», a-t-il explicité.
Autrement dit, il ne tient qu'à nous de rêver plus loin et plus haut…
En passant, Ray Bradbury aimait à dire : «Il faut sans cesse se jeter du haut d'une falaise, et se doter d'ailes durant la chute».
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