BLOGUE. Nous vivons dans un univers sans cesse remuant, sans cesse changeant, sans cesse virevoltant. Nous tentons, tant bien que mal, de suivre le rythme, de ne jamais nous laisser larguer par les plus rapides. Et quand il nous arrive de prendre la tête du peloton, vicieux que nous sommes, nous avons le réflexe d'accélérer encore un coup, justement pour faire décrocher ceux qui nous collent un peu trop à la roue. Pas vrai?
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Mais voilà, être ainsi toujours à la course est-il si bon que ça pour notre performance? Oui, est-ce que vouloir aller toujours plus vite nous permet-il réellement d'aller plus vite? Ou bien ne faisons-nous que nous épuiser jusqu'à perdre haleine et abandonner, en finissant par poser le pied à terre?
Devin Pope, professeur de science comportementale à l'École de commerce Booth de l'Université de Chicago (États-Unis), et l'un de ses étudiants, Ian Fillmore, se sont justement interrogés à ce sujet. Et ils ont trouvé un moyen ingénieux d'y répondre, comme le montre leur étude intitulée The impact of time between cognitive tasks on performance: Evidence from Advanced Placement exams. Une réponse qui est riche d'enseignements au travail…
Ainsi, les deux chercheurs ont obtenu du College Board l'accès à toutes les données administratives de 10% des étudiants (choisis au hasard) qui ont passé les examens dits Advanced Placement (AP) entre 1996 et 2001. Cela représentait les dossiers de 119 069 étudiants qui ont passé en tout 238 138 examens AP.
Que sont les examens AP, au juste? Ce sont des tests que doivent passer les étudiants lorsqu'ils ont décidé de participer aux programmes d'enseignement du College Board, un organisme américain qui a pour mission d'aider les plus de jeunes possible à réussir leurs études. L'intérêt pour les étudiants est multiple : en premier lieu, ce programme et les tests qui vont avec agissent comme un soutien à l'éducation, mais aussi, ceux qui brillent par leurs résultats aux tests peuvent le faire valoir lors d'une demande d'inscription à une université, et de surcroît, nombre d'universités attribuent des crédits à ceux qui ont suivi avec succès le programme du College Board.
Bien entendu, certains cours sont plus populaires que d'autres. Dans l'échantillon de 10% d'étudiants analysé par MM. Pope et Fillmore, le plus prisé était celui d'Histoire des États-Unis (38% des étudiants), suivi respectivement par la Littérature anglaise (28%), l'Anglais (24%), le Calcul (22%) et la Biologie (16%). Quant aux fameux examens, ils doivent tous être passés en mai, sur une période de 10 journées.
Or, il se trouve que la formule n'est pas rigide. D'une année sur l'autre, les examens n'ont pas lieu exactement en même temps. Exemple : une année, l'examen de Biologie a lieu durant la matinée du mardi de la première semaine, et une autre, pendant l'après-midi du mercredi de la seconde semaine. Cela a permis aux deux chercheurs de regarder si la période de temps entre deux examens importants (Histoire des États-Unis et Calcul, ou bien Littérature anglaise et Biologie; etc.) avait une incidence, ou pas, sur les résultats des étudiants à ceux-ci.
De fait, le College Board a beau faire des efforts pour ne pas trop rapprocher deux examens importants, ça ne lui est pas toujours facile à faire. La plupart des étudiants ont, certes, entre 2 et 6 jours entre deux examens importants, mais 14% d'entre eux se trouvent en moyenne contraints d'enchaîner deux examens importants une journée après l'autre, et 3,6% dans la même journée.
Résultat? Forts intéressants…
> Il y a une corrélation positive entre le temps entre deux examens importants et les notes obtenues par les étudiants. C'est-à-dire qu'à chaque jour qui s'ajoute entre les deux examens, la note obtenue aux deux augmente en moyenne de 0,016 point. Du coup, le gain est de 0,16 point pour un délai de 10 jours, ce qui n'est pas négligeable quand on sait que les notes vont de 0 à 5 et que la note de passage est de 3.
> La probabilité de passer les deux examens importants quand ceux-ci sont espacés d'une seule journée est de 49%.
> La probabilité de passer les deux examens importants quand ceux-ci sont espacés de 10 jours est de 52,9%.
Par conséquent, plus on a de temps entre deux événements majeurs pour nous, plus on a de chance de briller à chacun d'eux. Et inversement, plus ces événements sont rapprochés dans le temps, plus on risque de "foirer" à l'un d'eux, voire aux deux.
Quelle implication cette trouvaille a-t-elle au travail? Un conseil très simple, à mon avis : «Réapprenez à prendre votre temps!». Oui, retrouvez le plaisir de souffler un peu. De lever un peu le pied, de temps en temps, histoire de jeter un œil au paysage ou au chemin déjà parcouru. De laisser les autres vous passer devant et de vous mettre, à votre tour, dans leur roue, porté par la magie des vortex de leurs sillages.
Pourquoi? Pourquoi respirer un moment et vous laisser doubler? Eh bien, parce que votre performance globale n'en sera que meilleure. C'est garanti.
En passant, l'écrivain français Paul Morand aimait à dire : «Que de temps perdu à gagner du temps!».
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