BLOGUE. Disons que vous voilà chargé de trouver de nouvelles idées. Oui, des idées neuves susceptibles de relancer un vieux projet, ou bien de dynamiser les activités de votre équipe. Bref, il vous faut faire preuve d'innovation comme jamais. Comment allez-vous vous y prendre?
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Allez-vous surfer sur le Web pour voir ce que la chance pourra vous apporter? Allez-vous organiser une réunion de brainstorming avec une poignée de collègues? Réfléchir tout seul dans votre coin, un week-end, à la campagne? Contacter un ancien collègue qui a su faire booster sa carrière en ayant bonne idée sur bonne idée? Que sais-je encore?
On le voit bien, les méthodes sont innombrables, et donc parfois efficaces, et parfois non. Comme une loterie géante. Et s'il existait une meilleure manière de procéder…
C'est justement l'objet d'une étude fort intéressante, intitulée How do firms enact absorptive capacity? A routine based approach. Celle-ci est signée par Anna Comacchio, professeure de management à l'Université Ca'Foscari de Venise (Italie), et Sara Bonesso, chargée de recherches au même endroit. Elle montre que ceux qui ont l'habitude d'innover recourent la plupart du temps à une méthode précise…
Ainsi, les deux chercheuses ont eu l'idée de regarder comment les entreprises réputées pour leur faculté d'innover usaient de leur "capacité d'absorption". Leur quoi? Leur capacité d'absorption, c'est-à-dire leur «aisance à évaluer l'intérêt d'une idée neuve, à l'assimiler et à la concrétiser dans une optique commerciale», comme l'ont défini en 1990 Wesley Cohen et Daniel Levinthal. C'est que nombre de recherches universitaires ont étudié ce concept, mais peu d'entre elles ont été vérifiées sur le terrain.
Mmes Comacchio et Bonesso ont dès lors décidé de scruter à la loupe trois entreprises italiennes. Tout d'abord, elles ont analysé toutes les informations que l'on pouvait trouver sur celles-ci (journaux, Web, etc.). Puis, elles ont effectué des entrevues poussées avec plusieurs de leurs employés, en personne ou par téléphone. L'objectif : découvrir comment ces entreprises s'y prenaient concrètement pour avoir sans cesse des idées neuves.
Les trois entreprises retenues sont désignées dans l'étude par les noms d'Alpha, Beta et Gamma :
> Alpha. C'est l'un des leaders européens du secteur de la fabrication de composants technologiques et électroniques destinés à la fabrication de machines en tous genres. Alpha est une filiale d'un holding américain. Elle réalise l'essentiel de ses ventes en Europe.
> Beta. C'est un groupe qui évolue dans le secteur de la mode et qui est composé de 20 compagnies, dont 11 hors d'Italie. Le tiers de ses ventes sont faites en Italie.
> Gamma. C'est un joueur d'envergure internationale du secteur de l'automatisation industrielle. Il a grandi ces dernières années à coups d'opérations de fusion-acquisition, tant en Europe qu'aux États-Unis. La grande majorité de ses ventes proviennent d'Europe.
Ces trois entreprises ont comme point commun d'avoir entamé une croissance économique marquée depuis la même année, à savoir 2000. Une croissance résultant en grande partie de la commercialisation de leurs idées neuves. Pourtant, elles ont utilisé pour cela des stratégies distinctes :
> Alpha. La haute-direction a amorcé au tournant du millénaire un programme de relance de ses opérations de R&D, programme qui s'est traduit en 2004 par la réorganisation complète de son équipe. Les 35 nouveaux membres de l'équipe de R&D ont été répartis dans sept Centres d'Excellence, chacun de ceux-ci ayant des missions très précises à remplir.
> Beta. Auparavant, un manager coordonnait d'innombrables designers qui travaillaient de chez eux, à la pige. Par souci d'efficacité, il a été décidé de former une véritable équipe, avec des designers recrutés pour travailler à temps plein.
> Gamma. Ses opérations de fusion-acquisition répétées l'ont obligé à adapter son équipe de R&D. Ceux qui sont chargés de l'innovation ont été répartis en deux groupes, l'un dédié à la mécanique, l'autre à l'électronique. Et tout ce qui relève du design est aujourd'hui pris en charge par une firme indépendante, qui est logée dans les locaux-mêmes du siège social de Gamma.
Trois fonctionnements radicalement différents pour innover, et pourtant trois mêmes méthodes d'innovation. Voilà ce qu'on découvert les deux chercheuses italiennes. Eh oui, les innovateurs efficaces suivent tous les quatre mêmes étapes :
1. Partir à la pêche au large. Le premier réflexe des équipes chargées de trouver des idées neuves est d'aller à la pêche. À la pêche d'idées, de tendances et de trouvailles récentes. Mais attention, pas n'importe où! Elles ne pêchent pas dans le bassin où elles évoluent, c'est-à-dire qu'elles ne font pas une veille de ce que font leurs concurrents, ni même ne regardent ce qui se passe de neuf dans leur secteur économique. Non, elles vont pêcher au-delà de leurs frontières naturelles, elles vont loin, au large : elles jettent un œil sur les nouveautés d'autres secteurs, qui n'ont a priori rien à voir avec le leur, en se disant qu'il y aura peut-être moyen de s'en inspirer, de les implanter dans leur propre écosystème.
2. User de patience. Quand on pêche, il faut être patient. Car ça mord quand ça veut bien mordre. Idem pour l'innovation, les meilleurs innovateurs sont ceux qui parviennent à convaincre leurs bosses qu'il ne faut pas être trop pressé, si l'on veut vraiment faire une grosse prise.
3. Recourir au mapping. Il s'agit d'un truc pratique pour identifier si la prise que l'on a faite est bonne ou pas. En effet, comment savoir si une idée pêchée ailleurs est vraiment intéressante pour soi, surtout quand on a du mal à l'identifier? Imaginez un pêcheur qui sort de l'eau un poisson qu'il n'a jamais vu de sa vie et qui se gratte la tête, se demandant s'il faut le garder ou le rejeter à la mer… Grosso modo, le mapping revient à établir des passerelles de comparaison entre deux objets, à savoir un que l'on connaît bien, et un autre qui nous est inconnu. Cela s'applique évidemment aux idées.
4. Assimiler l'idée neuve. Une fois la bonne idée neuve pêchée, il faut la ramener chez soi, la cuisiner et la partager avec les autres. Cela se fait en général par une explication détaillée aux autres de l'intérêt de cette idée (rapport, présentation en réunion, discussions, etc.), puis par sa diffusion la plus large possible, à l'interne (premiers tests, expérimentations, etc.).
Voilà. C'est aussi simple que ça. Pour vraiment innover, il suffit de procéder en quatre temps, comme le font les pêcheurs en mer. Des personnes qui ont visiblement une grande capacité d'absorption…
En passant, l'écrivain français Alexandre Dumas aimait à dire : «Dieu pêche les âmes à la ligne, Satan les pêche au filet».
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