BLOGUE. Rien de plus facile que de tuer la créativité d'une équipe. Il suffit que le leader fige dès qu'il s'agit de faire preuve d'audace, que son ego soit tel qu'il refuse qu'autrui ait de meilleures idées que les siennes, ou encore que sa priorité soit sa petite carrière et non l'avancement des projets de son équipe. Il suffit aussi qu'inversement le leader bouillonne lui-même de créativité pour larguer les autres et faire échouer tous les projets amorcés, faute de patience pour les mener à terme. Pas vrai?
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La question saute dès lors à l'esprit : «Y a-t-il un profil idéal de leader pour diriger une équipe dont la mission première est de mettre au point un nouveau produit ou service?». Eh bien, la réponse est «oui». Oui, un tel profil existe. Je l'ai dénichée dans une étude intitulée The impact of leader personality on new product development teamwork and performance: The moderating role of uncertainty. Celle-ci est signée par trois professeurs de la Howe School of Technology Management d'Hoboken (États-Unis), à savoir Zvi Aronson, Richard Reilly et Gary Lynn. Elle montre que certains traits de caractère du leader sont propices à la créativité d'une équipe, et d'autres, disons, moins…
Ainsi, les trois chercheurs ont adressé un questionnaire fouillé à 143 personnes ayant la responsabilité de diriger un projet de nouveau produit ou service, au sein d'entreprises établies dans le Nord-Est des États-Unis. Ce questionnaire permettait de déceler les forces et les faiblesses récurrentes des leaders qui avaient brillé dans la gestion de projet d'innovation, tout comme celles de ceux qui avaient échoué au moins une fois.
MM. Aronson, Reilly et Lynn se sont basés sur les fameux «Big 5» pour étudier les forces et faiblesses des leaders en question. Les Big 5 (ou «modèle Océan», en français) sont cinq traits empiriquement mis en évidence par la recherche en psychologie. On peut les résumer comme suit :
> Ouverture à l'expérience : curiosité, imagination, originalité, etc.
> Contrôle : autodiscipline, sens de l'organisation, etc.
> Extraversion : altruisme, caractère fonceur, énergie, etc.
> Agréabilité : coopération, compassion, etc.
> Névrotisme : vulnérabilité, fragilité psychique, tendance à la dépression, etc.
À cela, ils ont ajouté une variable déterminante : l'incertitude. Elle peut être, dans l'étude, faible ou forte. C'est-à-dire que des facteurs externes (situation économique, niveau de concurrence directe, etc.) peuvent rendre le succès de l'opération plus ou moins sûr, et donc compliquer la tâche du leader. Du coup, certains traits de sa personnalité vont jouer en sa faveur, et d'autres en sa défaveur. Par exemple, on peut imaginer a priori qu'un leader au névrotisme élevé va vraiment poser des problèmes à son équipe si jamais il doit piloter un projet risqué.
Résultats? Vraiment intéressants, comme vous allez vous en rendre compte:
> L'Ouverture à l'expérience est, sans surprise, le trait de personnalité qui permet le plus au leader d'être utile à son équipe, dès qu'il s'agit d'innover. Elle a un impact direct sur le succès – ou l'échec – du projet. De surcroît, elle a une influence directe sur l'équipe, et donc indirecte également sur le succès du projet (mais seulement lorsque le niveau d'incertitude est élevé ; pas lorsqu'il est faible).
> Le Contrôle, l'Extraversion et le Névrotisme du leader jouent un rôle prépondérant sur la performance de l'équipe, et par suite sur le succès du projet lui-même. Cela étant, cette influence n'est véritablement significative que lorsque le degré d'incertitude est faible.
> L'agréabilité du leader, elle, ne semble pas intervenir de manière primordiale en matière d'innovation.
Que retenir de toutes ces trouvailles? À mon avis, deux recommandations émises par les chercheurs eux-mêmes dans leur étude:
> Dès lors qu'il s'agit d'innover, il convient de soigneusement retenir les services d'un leader d'équipe en fonction de certains de ses traits de personnalité. Priorité devrait être donnée à celui ou celle qui fait preuve d'un haut niveau d'Ouverture à l'expérience, mais aussi de Contrôle et d'Extraversion. Idem, il faut tenir compte de son Névrotisme : l'important est que cette personne soit stable sur le plan émotionnel, et donc que son Névrotisme soit relativement faible.
> En situation de grande incertitude, le leader devrait bénéficier de l'aide d'un coach ou d'un mentor. Autrement dit, d'un appui externe. Pourquoi? Parce que certains de ses traits de personnalité vont jouer contre lui, alors que ceux-ci jouent d'habitude en sa faveur. Il aura donc des réflexes qui seront néfastes, à lui comme à son équipe. Et seule une personne compétente externe sera en mesure de le percevoir et d'aider le leader à corriger le tir, le cas échéant.
Passionnant, n'est-ce pas? Cela vous fait-il penser à des cas vécus? Sûrement, je n'en doute pas une seconde…
En passant, Scott Adams a dit dans Le Principe de Dilbert : «L'entreprise ne peut pas grand-chose pour stimuler le bonheur et la créativité, mais elle peut faire beaucoup pour les tuer»…
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