BLOGUE. Soyons francs, de nos jours, une entreprise qui n'a pas le souci d'innover est appelée à disparaître. Ni plus ni moins. Or, pour innover, il lui faut briller par sa créativité, et donc avoir en son sein des personnes créatives en mesure d'exprimer tout leur talent. Le hic? C'est que personne ne semble savoir comment gérer au mieux les personnes vraiment créatives.
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Oui, doit-on leur donner carte blanche? Doit-on au contraire leur fixer des barrières, certains affirmant mordicus que la créativité a besoin de contraintes? Doit-on plutôt trouver un "juste milieu" entre ces deux extrêmes? Et si oui, lequel est-il? Bref, c'est le grand flou.
Un flou dans lequel même les entreprises les plus réputées pour leurs innovations radicales semblent se perdre. À l'image de Google, Microsoft et Amazon…
> Google lui-même ne croit plus en la créativité débridée. Vous avez en effet sûrement déjà entendu du 80/20 de Google : vous savez, ce droit de chaque employé d'user de 20% de son temps de travail à des projets purement personnels. Eh bien, il semble que celui-ci soit remis en cause depuis l'été dernier. En effet, des ex-dirigeants de Google ont confié à des médias américains que les règles du 80/20 avaient changé : par exemple, avoir carte blanche ne serait plus possible, il faudrait maintenant, semble-t-il, soumettre son projet à son boss et obtenir son aval pour pouvoir entreprendre quoi que ce soit. Résultat? Ce frein soudain à la créativité débridée serait très mal vécu à l'interne, au point d'en dégoûter plus d'un de soumettre quelque projet que ce soit. Et pourtant c'est grâce au 80/20 que sont nés des succès de Google comme Gmail, AdSense et autres Google News.
> Microsoft et Amazon imposent trop de contraintes à la créativité. Ainsi, saviez-vous que RealNetworks, Valve et Zillow sont des start-ups qui ont été fondées par d'ex-employés de Microsoft dont les idées d'innovation n'avaient pas trouvé d'écho chez leur employeur? Idem pour Pelago, Winkinvest, Jambool et Twilio, toutes nées de l'initiative d'ex-employés frustrés d'Amazon.
Comment y voir plus clair? C'est justement ce que se sont demandé Silvana Krasteva, professeure d'économie l'Université A&M du Texas (États-Unis), assistée de son étudiante Priyanka Sharma, et Liad Wagman, professeur d'économie et de science de la décision à l'École de management Kellogg (États-Unis). Dans le cadre de leur étude intitulée The 80/20 rule: Corporate support for innovation by employees, ils ont voulu identifier ce fameux "juste milieu" entre liberté et contraintes en matière de créativité au sein d'une entreprise.
Pour ce faire, les trois chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminer les éventuels points d'équilibre entre la volonté d'innover d'un employé-type et les contraintes imposées par son boss dans l'optique de s'assurer d'un résultat tangible dans les temps et les budgets impartis. C'est-à-dire les cas de figure où se produisent simultanément la satisfaction de l'un et de l'autre.
Ce modèle de calcul est somme toute assez simple. Il considère d'une part que l'employé est sans cesse tiraillé par un questionnement : «Ai-je la marge de manœuvre nécessaire pour innover comme je le souhaite au sein de l'entreprise, ou ferais-je mieux de créer ma propre start-up pour exprimer tout mon talent créatif?». Et d'autre part, que le boss est tout le temps tiraillé par un autre questionnement : «Jusqu'où puis-je lâcher la bride de cet employé si talentueux pour qu'il soit efficace et heureux dans le projet sur lequel je veux qu'il travaille?»
Une fois ce modèle de calcul mis au point, les trois chercheurs l'on inséré dans un ordinateur et regardé si des points d'équilibre survenaient, ou pas. Ce qu'ils ont découvert est carrément fascinant…
> L'irrésistible attrait de la nouveauté. L'employé commence à sérieusement penser à créer sa start-up à partir du moment où l'idée qu'il souhaite développer n'a que peu de rapport avec celles qui sont habituellement prisées par son boss (et donc, par l'entreprise pour laquelle il travaille).
> Le danger insoupçonné de l'exploration. Plus le boss permet à l'employé d'explorer de nouvelles voies d'innovation, plus le risque est grand de voir celui-ci s'enticher d'une idée n'ayant que peu de rapport avec celles qui sont habituellement prisées par l'entreprise. Et par suite, de le voir sérieusement penser à créer sa start-up.
> La meilleure situation possible. Il existe bel et bien un point d'équilibre optimal. Celui-ci survient lorsque l'employé à une grande marge de manœuvre – pour ne pas dire carte blanche – en ce qui concerne non pas l'exploration d'idées neuves, mais le développement d'une idée intéressante pour les deux parties, à savoir l'employé et son boss (ou l'entreprise, si vous préférez).
Par conséquent, l'idéal n'est jamais d'accorder carte blanche aux employés les plus créatifs, ni de les cantonner au petit pré carré dans lequel l'entreprise excelle déjà. Il y a un "juste milieu" entre les deux, et celui-ci survient lorsque les employés les plus créatifs peuvent s'y prendre comme ils le veulent pour concrétiser une idée neuve qui séduit leur boss.
Ce résultat semble donner raison au changement de politique de Google : c'est comme si Larry Page et Sergueï Brin avaient réalisé que laisser leurs employés "s'amuser" une journée par semaine ne donnait, en fin de compte, que peu de résultats pertinents pour l'entreprise, et donc qu'il était plus efficace de "diriger" un peu plus l'amusement des uns et des autres. En tous cas, l'avenir le dira…
Que retenir de tout cela? Une chose, à mon avis :
> Qui entend innover doit savoir lâcher la bride aux employés les plus créatifs à partir du moment où ceux-ci se plaisent dans le nouveau pré qui leur est offert.
En passant, le penseur français Ernest Renan aimait à dire : «Nous avons les idées arrêtées dès que nous cessons de réfléchir».
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