L’esprit d’équipe. Voilà quelque chose de franchement mystérieux. Parfois, la chimie prend entre les membres d’une équipe, parfois, elle ne prend pas du tout. À quoi cela tient-il ? Plus d’un manager aimerait bien le savoir, mais doit avouer son impuissance à l’expliquer avec certitude. Pas vrai ?
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La bonne nouvelle du jour, c’est que j’ai mis la main sur une étude lumineuse à ce sujet. Celle-ci est intitulée Social setting, intuition, and experience in lab experiments interact to shape cooperative decision-making et est signée par : Valerio Capraro, chercheur au Centre de mathématiques et d’informatique d’Amsterdam (Pays-Bas); et Giorgia Cococcioni, chercheuse à l’Université libre internationale d’études sociales Guido-Carli de Rome (Italie). Et elle met au jour un truc formidable pour booster comme jamais la collaboration au sein d’une équipe de travail.
Les deux chercheurs sont férus de ce qu’on appelle en économie la théorie des jeux. De quoi s’agit-il ? En deux mots, d’outils mathématiques permettant d’analyser des situations dans lesquelles nous pouvons nous trouver dans la réalité, des décisions où il nous faut prendre une décision irrévocable alors que nous sommes confrontés à un dilemme. Des outils efficaces pour identifier la meilleure attitude à avoir dans ces situations complexes.
Aussi ont-ils naturellement décidé de recourir à la théorie des jeux pour tenter de répondre à une interrogation qui les titillait : «Quand l’esprit d’équipe n’est guère développé au sein d’une équipe (par exemple, parce que les relations y sont tendues, ou encore parce qu’elle vient tout juste d’être créée), quel est le meilleur moyen pour prendre des décisions importantes ? Vaut-il mieux se fier à l’intuition de certains (par exemple, celle du boss), ou au contraire miser sur les délibérations de l’ensemble de l’équipe ?» Une belle interrogation, n’est-ce pas ? Je suis sûr et certain qu’elle vous est déjà venue à l’esprit, un beau jour, à vous aussi…
Pour s’en faire une idée, les deux chercheurs ont invité 6 546 volontaires à bien vouloir se prêter à un petit jeu qui se jouait à deux. Celui-ci était très simple… Chaque joueur se voyait remettre 20 cents, puis devait prendre une décision : choisir le montant qu’il donnerait à l’autre joueur, sachant que celui-ci empocherait cette somme multipliée par 2, 5 ou même 10, selon le cas de figure décidé à l’avance par les expérimentateurs, et sachant que lui empocherait ce qu’il n’aurait pas donné à l’autre, cette somme étant, elle, aucunement multipliée. Prenons un exemple : le joueur décide de donner 9 cents à l’autre, sachant que la somme serait multipliée par 5 ; il garde donc 11 cents pour lui, et c’est tout ; quant au joueur B, il touche dès lors 9x5=45 cents ; du coup, le joueur A n’a plus qu’à croiser les doigts pour que le joueur B se montre tout aussi généreux que lui, sans quoi, au final, il aura en poche moins d’argent que son partenaire de jeu.
On le voit bien, l’objectif de ce petit jeu est d’évaluer le degré de collaboration des uns et des autres, en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent. Car tout le monde n’était pas dans la même situation de départ : par exemple, certains devaient prendre leur décision en moins de 10 secondes, et d’autres devaient attendre au moins 30 secondes avant d’indiquer leur choix ; ou encore, certains avaient de l’expérience dans ce type de jeu, et d’autres, pas du tout.
L’air de rien, cette expérience a priori ludique leur a permis de faire trois belles trouvailles :
➢ Ni l’intuition ni la réflexion. Le fait qu’il agisse par intuition ou à la suite d’une longue réflexion n’a aucune incidence sur le degré de collaboration du joueur. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on prend le temps de se décider qu’on se montre plus collaboratif. Ni parce qu’on agit par instinct.
➢ L’importance de l’expérience. Plus un joueur était expérimenté, plus il faisait preuve de collaboration. Autrement dit, plus on jouit d’une solide expérience, plus on a tendance à faire confiance aux autres, et donc à se montrer généreux envers eux, convaincus que nous sommes d’une certaine réciproque. Car on sait alors que les meilleurs résultats s’obtiennent toujours de la collaboration, et non de l’expression d’un individualisme forcené.
➢ L’effet en U de l’expérience. Ceux qui collaboraient le moins étaient non pas ceux qui n’avaient aucune expérience dans le jeu, mais ceux qui en avaient un peu. Autrement dit, l’expérience a un effet en forme de U sur le degré de collaboration d’une personne :
- quelqu’un qui n’a aucune expérience a le réflexe de collaborer avec les autres ;
- puis, à mesure qu’il prend de l’expérience, il pense que ce n’est pas ainsi qu’il en tirera le plus de profits, et se met à collaborer de moins en moins ;
- et ce, jusqu’au moment où il réalise qu’à force de se montrer individualiste, il sombre dans l’égoïsme, et les autres aussi, si ben que tout le monde devient perdant ;
- arrive enfin un basculement, où il comprend que l’égoïsme ne mène à rien et que le mieux est forcément la collaboration ;
- du coup, il se montre généreux à n’en plus finir, pour bien, finalement, de tous.
Fascinant, non ? Auriez-vous dit, avant de lire tout ça, que la collaboration – et donc l’esprit d’équipe – dépendait tant de l’expérience des membres de l’équipe face à la situation rencontrée ? Et donc, que le véritable danger lorsque votre équipe est confrontée à une situation complexe réside non pas dans le fait que personne ne s’y soit déjà frotté – car alors le réflexe de chacun sera de collaborer à fond –, mais bel et bien dans le fait que certains aient un peu d’expérience en la matière – puisqu’alors ceux-là auront tendance à jouer perso, comme on dit ? Je ne pense pas.
Maintenant, que retenir de tout cela ? Ceci, à mon avis :
➢ Qui entend créer un véritable esprit d’équipe se doit de solliciter à la fois les néophytes et les personnes expérimentées, chaque fois qu’une décision importante doit être prise. Pourquoi ? Parce que ce seront les personnes les plus promptes à faire preuve de collaboration, et, par effet d’entraînement, amèneront les autres à mettre, elles aussi, l’épaule à la roue. Et parce que cela donnera l’occasion aux néophytes de prendre de l’expérience ainsi que l’occasion aux personnes expérimentées de se sentir utiles, en partageant leurs lumières avec les autres.
En passant, le poète lyrique grec Alcman disait : «L’expérience est le début de la sagesse».
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