Pour certains, l'argent mène le monde, et rien ne vaut une prime pour motiver des employés. Pour d'autres, le véritable moteur de la motivation, c'est la passion : les plus productifs sont toujours ceux qui s'amusent en travaillant, et non pas ceux qui effectuent un travail. Qui a raison? Qui a tort? Difficile à dire…
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Et pourtant, une étude permet d'y voir plus clair dans ce qui semble être un débat sans fin. Intitulée Knowing that you matter, matters! The interplay of meaning, monetary incentives, and worker recognition, elle est signée par : Michael Kosfeld, professeur de management à l'Université Goethe à Francfort (Allemagne); Susanne Neckermann, professeure d'économie à l'Université Érasme à Rotterdam (Pays-Bas); et Xiaolan Yang, professeure d'économie à l'Université de Zhejiang à Hangzhou (Chine). Une étude dont les résultats devraient en surprendre plus d'un…
Les trois chercheurs voulaient avant tout voir si donner un sens à son travail était quelque chose de primordial, ou pas, pour les employés. Ils souhaitaient notamment regarder si cela avait un impact sur leur performance individuelle. Mieux, ils se demandaient si les moteurs classiques de la motivation au travail – les primes, la reconnaissance de l'employeur envers l'employé, etc. – étaient réellement efficaces. Et même, si ceux-ci ne risquaient pas, quand on les faisait jouer en même temps, de se nuire les uns les autres.
Vaste programme, n'est-ce pas? Et pourtant, ils ont réussi à le remplir le plus simplement du monde. À l'aide d'une seule expérience. Il a été ainsi demandé à 413 volontaires de remplir une tâche on ne peut plus rébarbative : entrer dans un ordinateur des données chiffrées tirées de documents en papier. Tous les participants, on s'en doute, n'étaient pas placés dans les mêmes conditions :
> Un travail qui a du sens. Pour certains, il a été précisé que leur travail était fondamental pour mener à bien une expérience de la plus haute importance scientifique. Et qu'il leur fallait donc bien le faire, car sans cela l'expérience ne donnerait jamais les résultats escomptés.
> Un travail dénué de sens. Pour les autres, il a été précisé que l'expérience à laquelle ils contribuaient en enrichissant la base de données avait déjà été menée à bien. Il ne s'agissait que d'une banale opération de vérification de la validité des résultats déjà trouvés. Et personne ne leur a indiqué qu'il était fondamental de bien faire le travail.
De surcroît, une autre variable entrait en ligne de compte, concernant l'intérêt personnel à participer à l'expérience :
> Rémunération fixe. Pour certains, il était juste promis une rémunération fixe pour le travail effectué.
> Incitatif financier. Pour d'autres, il était promis une rémunération prédéterminée pour le travail effectué ainsi qu'une prime à la performance (c'est-à-dire si l'on entrait correctement plus de données qu'attendu initialement).
> Reconnaissance symbolique. Pour les autres, enfin, il était promis une rémunération prédéterminée ainsi qu'une reconnaissance symbolique au participant le plus performant, effectuée aux yeux de tous, à la toute fin du travail demandé. Quelle reconnaissance symbolique? Ici, c'était la remise d'un trophée.
Résultats? Tenez-vous bien :
> L'importance indéniable du sens au travail. Ceux pour qui la mission à remplir avait du sens ont globalement enregistré une meilleure performance que les autres. Une performance meilleure, en moyenne, de 14%.
> L'importance notable de l'incitatif financier. Ceux qui s'étaient vus promettre une prime ont affiché une meilleure performance que ceux qui n'avaient qu'une rémunération fixe. De 8% plus élevée, en moyenne.
> L'importance considérable de la reconnaissance. Ceux pour qui il avait été promis de reconnaître symboliquement le participant le plus performant ont affiché les meilleurs résultats de tous les participants. Car leur performance a été, en moyenne, supérieure de 19% à celle de ceux qui n'avaient qu'une rémunération fixe.
Par conséquent, l'idéal pour motiver ses employés, c'est de prendre le temps de leur expliquer à quel point leur travail compte aux yeux de l'entreprise et de prendre aussi le temps de souligner symboliquement l'apport exceptionnel procuré par le plus performant d'entre eux. Et non pas de se contenter d'offrir une prime, de temps à autre.
Ce n'est pas tout! Les trois chercheurs ont cherché la meilleure combinaison possible des différents éléments de motivation. Car les uns peuvent – qui sait? – entrer en conflit avec les autres.
Une excellente idée qui leur a, de fait, permis de faire plusieurs trouvailles :
> Aucune interaction entre le sens et l'argent. Ce n'est pas parce qu'on propose une prime à quelqu'un pour qui son travail a du sens qu'il va redoubler d'ardeur. Idem, ce n'est pas parce qu'on procure davantage de sens au travail à effectuer à quelqu'un à qui on a déjà promis une prime qu'il va tout à coup travailler plus et mieux qu'auparavant.
> Lien ambigu entre le sens et la reconnaissance. Lorsqu'on propose un trophée à quelqu'un pour qui le travail a du sens, cela le démotive. Idem, quand on procure davantage de sens au travail à effectuer à quelqu'un à qui ont a déjà promis un trophée, ça le décourage. Pourquoi? «C'est que les deux entrent en conflit, car ils visent des buts contraires : quand notre travail a du sens, ça donne une bonne image de nous-mêmes à nos propres yeux; alors que lorsqu'on cherche la reconnaissance, ça nous incite à donner une bonne image de nous-mêmes aux yeux d'autrui», expliquent les trois chercheurs dans leur étude. Cela étant, il existe une combinaison intéressante : il peut être payant d'offrir une reconnaissance symbolique à ceux pour qui le travail n'a guère de sens; car leur motivation prend dès lors du mieux.
Que retenir de tout cela? Tout d'abord, que le meilleur moteur de la performance, c'est vous! Ensuite, deux trucs pratiques pour vous (re)motiver, à appliquer dès à présent :
> Prenez conscience que vous comptez vraiment. C'est là l'élément fondamental de la motivation au travail. Prenez le temps d'identifier ce qui fait que vous, et nul autre, pourra mener à bien le nouveau dossier qu'on vient de vous confier. Oui, décelez les différents talents qui vous sont propres et que vous pourrez ainsi exprimer. Et convainquez-vous que vous êtes la bonne personne, au bon moment, à la bonne place.
> Trouvez un sens à votre travail. Lorsqu'on vous demande de prendre en mains un nouveau dossier, commencez par identifier ce qui fera que celui-ci aura un sens pour vous. Évaluez, par exemple, l'importance objective de celui-ci. Ou bien l'importance qu'il peut avoir pour vous-mêmes. Et gardez tout cela en tête durant les semaines, voire les mois, à venir.
Voilà. À vous de jouer, maintenant. Et n'hésitez pas à m'en donner des nouvelles.
En passant, le mathématicien Seymour Papert a dit dans Jaillissement de l'esprit : «Pour apprendre quoi que ce soit, commencer par y trouver un sens.»
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