BLOGUE. Vous comme moi, nous avons en général une image distordue de ce que sont les PDG. Car nous manquons d'informations à leur sujet et pallions ce manque par des a priori. Par exemple, on les imagine souvent en train de passer l'essentiel de leurs journées en réunions sans fin et en dîners d'affaires et consacrer le reste de leur temps dans un gym, à tenter de griller les calories ingurgitées au resto pour éviter de devenir obèses. On les croit pleins aux as, ne sachant plus trop quel "gadget" acheter pour dépenser leurs millions (une nouvelle Ferrari, un nouveau chalet, une nouvelle maîtresse, etc.). Et on pense tout bas qu'ils ne méritent pas leur salaire. Pas vrai?
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On le sent bien, il ne s'agit là que de clichés éculés. Cela étant, quelle est la part de vérité? Et la part de fausseté? La réponse se trouve, à mon avis, dans une étude passionnante intitulée What do CEOs do?, qui est le fruit du travail de deux professeurs d'économie de la London School of Economics (Grande-Bretagne), Oriana Bandiera et Andrea Prat, d'un professeur de finance de l'Institut d'économie et de finance Einaudi à Rome (Italie), Luigi Guiso, et d'une professeure de gestion des affaires de Harvard (États-Unis), Raffaella Sadun. Elle montre à quel point les clichés sont trompeurs…
Les quatre chercheurs ont eu une idée géniale. Ils ont demandé à des assistantes de PDG de rendre compte de chacun des faits et geste de leur patron durant une semaine entière. En effet, qui est mieux placé qu'elles? «Durant 14 ans, j'ai servi de répondeur téléphonique, de robot d'appels téléphoniques, de système de filtre d'appels. J'ai aussi été une machine à mots et une vérificatrice de faits. J'ai aussi été la meilleure amie, la cheerleader et presque la maman, dans les bons comme dans les mauvais moments. Bref, j'ai interprété un rôle considérable de rôles différents à ses côtés», a d'ailleurs raconté, un jour, Roxanne Sadowski, une ex-assistante de Jack Welch, l'ex-PDG de GE.
Dès qu'une activité durait plus de 15 minutes, les assistantes devaient le signaler aux chercheurs, en donnant quelques indications. Par exemple, a-t-il mené cette activité seul ou avec d'autres, et en ce cas, qui (employé, partenaire, client, etc.)? Ou encore, combien de temps a duré au juste cette activité?
En tout, des données fouillées ont été ainsi récoltées auprès de 94 PDG d'entreprises italiennes figurant parmi les 800 plus grandes entreprises d'Italie répertoriées par Dun & Bradstreet et par Mediobanca. Des données qui ont permis de faire plusieurs trouvailles :
> Les PDG passent en moyenne 85% de leur temps avec d'autres personnes. Il est donc rare qu'ils soient tout seul au travail.
> Ils consacrent près de la moitié de leur temps (42%) aux employés.
> Ils passent 25% de leur temps avec, à la fois, des employés et des personnes externes à l'entreprise. Dans le cadre de réunions, par exemple.
> Ils passent 16% de leur temps avec uniquement des personnes externes.
Cela étant, quelques nuances s'imposent. En effet, ces chiffres dissimulent une grande disparité. Prenons un exemple, celui du temps dédié aux personnes externes : la grande majorité des PDG passent très peu de temps avec elles (moins de 5 heures par semaine), alors que 10% d'entre eux les rencontrent pendant un total supérieur à 10 heures par semaine. Ces pourcentages ne suffisent donc pas pour se faire une bonne idée de ce que font les PDG de leurs journées.
Pour aller plus loin, Mmes Bandiera et Sadun et MM. Prat et Guiso ont mis au point un modèle de calcul économétrique visant à déterminer le temps "utile" des PDG. Le temps "utile"? Il est réparti en deux catégories : le temps utile – ou "productif", si vous préférez – pour l'entreprise et le temps utile pour le PDG lui-même. Imaginons que celui-ci rencontre des clients lors d'une activité de réseautage : ce temps de travail est à la fois utile pour l'entreprise (ça peut permettre de décrocher de nouveaux contrats ou de nouveaux clients), mais aussi pour l'individu (ça peut lui permettre de se faire remarquer par d'autres hauts-dirigeants à la recherche d'un PDG compétent, et donc de décrocher, plus tard, un poste encore plus intéressant).
Comment les quatre chercheurs s'y sont-ils pris pour évaluer l'utilité de chacune des activités des PDG étudiés? Grosso modo, en regardant dans quelle mesure les intérêts du PDG et de l'entreprise étaient alignés, ou au contraire divergents. De fait, il y a toujours, ici et là, des rencontres qui ont lieu pour le plus grand bénéfice de l'entreprise, et d'autres qui, disons, ont un tout autre but.
Résultats? Forts intéressants…
> L'avantage des bosseurs. Plus un PDG travaille d'heures dans la semaine, plus il consacre de temps à des activités profitables à l'entreprise, et moins il en alloue à son propre profit. Cela est d'autant plus vrai quand il rencontre des employés, et non des personnes externes à l'entreprise. Et à plus forte raison lorsque cela se fait dans le cadre de rencontres individuelles.
> L'importance de la gouvernance. Plus l'entreprise a une saine gouvernance, plus le PDG a tendance à œuvrer pour l'entreprise, et moins pour lui-même.
> Un lien direct avec la productivité. Le temps du PDG consacré au profit de l'entreprise est fortement et positivement corrélé à la productivité de celle-ci, ce qui n'est pas franchement le cas pour le temps dépensé à son propre profit.
Autrement dit, il est tout à fait possible de fouetter la productivité d'une entreprise, il suffit pour cela d'améliorer l'efficacité du PDG dans son travail. La recette miracle est composée de trois ingrédients :
1. Encourager le PDG à travailler beaucoup d'heures par semaine. (Sans l'épuiser, cela va de soi.)
2. L'inciter à multiplier les rencontres avec des employés, et si possible en face à face.
3. Rafraîchir les valeurs fondatrices de l'entreprise et ajuster les missions des uns et des autres en fonction de celles-ci.
Pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus de l'utilité d'une telle démarche, j'ai deux chiffres à leur présenter. Deux chiffres concernant le deuxième point :
> 1,22%. C'est la hausse de productivité de l'entreprise découlant du simple fait d'accroître de 1% le temps du PDG consacré à rencontrer des employés.
> 0,22%. C'est la hausse de productivité de l'entreprise découlant du simple fait d'accroître de 1% le temps du PDG consacré à rencontrer des personnes externes à l'entreprise.
CQFD.
En passant, le philosophe britannique Bertrand Russell a dit dans Pourquoi je ne suis pas chrétien : «Ceux-là seuls qui se prosternent comme des esclaves devant la réussite peuvent trouver que l'efficacité est admirable indépendamment de l'accomplissement auquel elle tend».
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