BLOGUE. Quand on a une décision à prendre, je parle d'une décision importante, on a tous le même réflexe : demander aux autres ce qu'ils feraient à notre place. Tout le monde fait ça : même Barack Obama, l'homme dit-on le plus puissant de la planète, est entouré d'une armada de conseillers professionnels. Petite question insidieuse de ma part : est-ce forcément la meilleure méthode pour faire le bon choix?
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Intuitivement, on a envie de répondre «oui». Car avoir différents points de vue sur une même question permet de recueillir beaucoup d'informations sur le problème qui nous préoccupe, condition sine qua non pour prendre une décision éclairée. «Mais voilà, cela n'est vrai que si les informations ainsi recueillies sont bonnes et impartiales, ce qui est rarement le cas.» Qui dit cela? Deux professeurs d'économie japonais, Junichiro Ishida, de l'Institut de recherche économique et sociale de l'Université d'Osaka, et Takashi Shimizu, de l'Université Kansai, qui ont fait une étude sur le sujet, intitulée Asking one too many? Why leaders need to be decisive.
Cette étude porte sur un cas de figure qui se présente souvent en entreprise. Un leader doit prendre une décision. Pour cela, il peut demander conseil à deux experts dans le domaine concerné, sans pour autant y être obligé. L'idée est de voir quelle est la meilleure stratégie pour ce leader : ne pas demander de conseil, demander conseil à un seul expert, ou demander conseil aux deux experts.
Les deux chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique, qui permet de voir ce qu'il se produit pour chacune des options offertes au leader, et donc de savoir laquelle est la meilleure pour lui. Bien entendu, ce modèle de calcul tient compte de différentes variables, comme le degré d'indécision du leader et le degré de divergence entre les conseils des deux experts (ils peuvent d'ailleurs avoir des opinions radicalement opposées sur un même problème). Puis, ils ont inséré ce modèle dans un ordinateur et regardé ce qu'il se passait.
Résultats? Fort instructifs...
1. Le péril du leader biaisé. Il peut arriver que le leader ait déjà son opinion faite avant même d'aller demander conseil à autrui. En ce cas, si le premier expert qu'il consulte n'abonde pas dans le même sens que lui, le leader aura le réflexe d'aller chercher un autre expert, dans l'espoir qu'il contredira le premier expert. Et si le premier expert abonde dans son sens, alors il se retiendra d'aller en voir un second, conforté qu'il sera d'avoir vu "juste" dès le départ. Mais, on le voit bien, les œillères de ses a priori l'empêchent de juger sereinement des nouvelles informations recueillies auprès des experts, et donc de revoir son jugement, au besoin.
2. Le danger d'un environnement amical. Lorsqu'au sein de l'équipe où évolue le leader règne une "bonne ambiance", en ce sens qu'il n'y a jamais de chicane ou de débat d'idées, pour ne pas dire de confrontations ouvertes sur les meilleures décisions à prendre, rien ne pousse le leader à aller chercher conseil auprès d'autrui. Il sait que ses décisions, même si elles ne sont pas toujours les meilleures, satisfont tout le monde, et il est amené à procéder toujours de la même façon : réfléchir dans son coin, aviser les autres de ses idées, et comme celles-ci ne sont pas remises en question, prendre seul chacune des décisions importantes. C'est clair, un environnement de travail trop "amical" peut se révéler une nuisance.
3. L'hasardeuse tentation d'attendre. Un leader indécis, même après avoir pris conseil auprès d'experts, peut encore demeurer indécis. Le réflexe classique est dès lors... d'attendre! Oui, d'attendre qu'une solution émerge toute seule, de nulle part, une fois que toutes les informations recueillies ont décanté dans son esprit. Il faut parfois laisser le temps à l'inspiration de venir, dit-on... Mais, en vérité, cela n'est pas une bonne stratégie pour un leader. Car une telle attente est, dans la vie quotidienne d'une entreprise, un luxe incroyable, un luxe que personne ne peut vraiment se permettre. Et de surcroît, cette attente n'est en rien garante d'une meilleure décision.
4. L'intérêt de se soucier de sa carrière. Les deux chercheurs japonais ont imaginé que le leader se souciait plus ou moins de sa carrière, et ce faisant, de sa réputation. En tenant compte de cette variable, ils ont découvert que ceux qui se préoccupent de leur carrière sont amenés à moins tergiverser que les autres, et par suite à être plus efficaces dans leurs prises de décision. À la clé, cela les pousse à faire moins appel aux experts, mais à mieux tenir compte des nouvelles informations recueillies auprès d'eux, et donc à faire de meilleurs choix.
5. L'avantage d'un caractère décidé. Au-delà de ces quatre découvertes, les deux chercheurs japonais au mis au jour un élément remarquable, à savoir que ce qui compte par-dessus tout est le degré d'indécision du leader. Plus ce dernier est indécis, plus il a tendance à faire appel aux conseils des experts, et plus il se noie dans les informations, au point de ne plus être en mesure d'identifier le meilleur choix pour lui. Inversement, plus le leader est quelqu'un de décidé, moins il a recours aux experts, et plus il trouve souvent le bon choix à faire : il lui suffit, en général, de consulter un seul expert pour avoir en mains assez d'informations pour identifier la meilleure décision à prendre.
«Nos résultats montrent que, dans un environnement stratégique, c'est-à-dire où les opinions sont variées ou biaisées (ce qui est souvent le cas en entreprise), le leader qui s'en sort toujours le mieux est celui qui sait prendre des décisions sans tergiverser. Il demande, au besoin, l'opinion d'un expert, et se lance aussitôt après, en tenant compte, bien entendu, de ce qui lui a été dit. Et c'est tout», soulignent les deux professeurs d'économie. Et de souligner : «D'autant plus que, dans bien des cas, mieux vaut faire un choix, même s'il n'est pas optimal, que de ne pas en faire du tout».
Bref, la prochaine fois que vous aurez un choix crucial à faire, dîtes-vous bien que rien ne sert de recueillir un million de conseils : un seul – judicieux et avisé – vous suffira amplement. Le tout est donc de bien choisir votre expert.
En passant, Sénèque a dit : «La raison veut décider ce qui est juste ; la colère veut qu'on trouve juste ce qu'elle a décidé».
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