BLOGUE. C’est bien connu, nous sommes des êtres rationnels, pour ne pas dire hyper-rationnels. Nous sommes tous éduqués depuis l’enfance à n’écouter que notre raison, et le moins possible nos intuitions. Nous avons tous la conviction que notre intuition est mauvaise conseillère, qu’il s’agit d’un petit démon posé sur notre épaule et qui ne cesse de nous glisser des idioties à l’oreille. Pas vrai?
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Mais cela colle-t-il à la réalité? L’intuition est-elle véritablement un poison? Faisons-nous bien de nous boucher ainsi les oreilles à chaque fois que l’on perçoit son doux murmure? Comme moi, il a déjà dû vous arriver de l’écouter une fois, pour voir, et cela vous a été favorable. Peut-être même plus qu’une fois, mais à chaque fois, avec des petits papillons dans le ventre tant vous vous disiez que vous étiez en train de commettre une bêtise. Et vous avez depuis une idée chevillée dans un petit coin de votre cerveau, une idée qui vous dit qu’écouter parfois votre intuition peut avoir du bon pour vous…
Mais voilà, comment savoir si une intuition est bonne ou mauvaise? Oui, que faire la prochaine fois que ce petit démon vous suppliera de l’écouter, sans lâcher prise? La réponse à cette interrogation, je ne l’ai, bien entendu, pas de manière catégorique, car toute généralisation est impossible à ce sujet, mais j’ai trouvé, je crois, un moyen de vous aider à vous en approcher. Si, si… Dans un article du tout dernier numéro du magazine Le Monde de l’intelligence ainsi que dans un petit livre improbable déniché dernièrement dans une bouquinerie du Plateau, du chanteur Bertrand Betsch…
L’intuition? Un exemple permet de mieux saisir de quoi il s’agit au juste, un exemple souvent utilisé par le prix Nobel Daniel Kahneman dans ses conférences : une raquette de tennis et des balles de tennis, le lot coûtant 110 dollars. La raquette coûte 100 dollars de plus que les balles. Combien coûtent ces dernières? Votre intuition vous donne une réponse immédiate : 10 dollars. A-t-elle raison? Si vous prenez le temps de réfléchir, vous noterez que si les balles coûtent 10 dollars et la raquette 100 dollars de plus, le prix de la raquette atteint les 110 dollars, et le prix des deux, 120 dollars (110+10). Le prix correct des balles est donc de 5 dollars.
En conclusion, on ne peut pas se fier à 100% à son intuition. Il nous faut par conséquent parfois nous servir de la raison, parfois de l’intuition. «L’intérêt de l’intuition réside dans sa capacité à traiter très rapidement de multiples éléments d’information, sans avoir besoin d’un effort cognitif important», indique dans Le Monde de l’intelligence Tilmann Betsch, professeur de psychologie de l’université d’Erfurt (Allemagne).
M. Betsch a mené une expérience intéressante à ce sujet. Il a demandé aux participants d’émettre des hypothèses sur l’évolution d’actions en Bourse, en leur soumettant une très grande quantité d’informations boursières. Incapables de retenir tout ce qu’ils avaient lu, surtout dans un domaine qu’ils ne connaissaient pas, nombre de participants ont pourtant été capables d’émettre des hypothèses justes. Comment expliquer ce mystère? M. Betsch considère que l’intuition permet d’intégrer des informations et de formuler un choix, alors que la réflexion intervient avant cela, lors de la recherche d’informations. En fonction de l’étape, l’intuition peut donc être plus ou moins efficace : dans une même situation, on peut avoir intérêt à alterner des moments de raisonnement, et d’autres de fonctionnement intuitif.
Maintenant, comment savoir quand l’intuition est pertinente, et quand elle ne l’est pas? Eh bien, contrairement à ce qu’on peut imaginer, l’intuition ne doit pas être réservée aux choix faciles, c’est-à-dire quand peu d’éléments doivent être pris en compte. Le magazine scientifique cite à cet égard une série d’expériences menées en 2006 par le chercheur néerlandais Ap Dijksterhuis et ses collègues…
Ils ont invité les participants à choisir un logement ou une voiture en fonction d’une série de critères. Après la phase de présentation, une partie des personnes a pris quelques minutes de réflexion, tandis que les autres ont été distraits par la réalisation d’un puzzle. Puis, tous ont dû faire part de leur choix. Résultat? En fait, le résultat dépendait directement du nombre de critères dont il fallait tenir compte. Quand les participants devaient juger à partir de quatre critères, la réflexion permettait la plupart du temps de faire un meilleur choix que l’intuition. En revanche, quand il fallait tenir compte de 12 critères, l’intuition se révélait plus efficace.
Voilà pour ce qui est du bon usage de la raison et de l’intuition. Cela ne nous dit pas pour autant ce qu’est au juste l’intuition, c’est-à-dire cette petit voix mystérieuse qui vient d’on ne sait où et qu’on ne semble jamais contrôler. C’est ici qu’intervient, avec brio, Bertrand Betsch et son ouvrage intitulé La tristesse durera toujours (La machine à cailloux, 2007)…
Dans ce petit livre, il parle de son approche de la musique, et notamment de la composition. Il partage avec nous ces moments où l’artiste suit sa petite voix…
«Postulat principal : l’artiste est un médium.
«Il se met en position d’écoute, reçoit des sensations, des impressions, des paroles, des sons (traduction de son inconscient ou de l’inconscient collectif, ce qui n’est pas loin d’être la même chose puisque plus on s’approche du particulier, plus on touche à l’universel) et transcrit ce qu’il perçoit au travers de ses doigts (écrire et composer) ou de sa voix (chanter).
«Laisser travailler la machine à ressentir ce que l’on porte en soi.
«L’artiste ne crée pas. Il reçoit et rend, sous une forme ou sous une autre, ce qu’il reçoit.» (…)
«Je ne crois pas du tout à la valeur du travail. Je ne crois qu’à l’inspiration, à la visitation.
«Inspiration, c’est-à-dire avaler de l’air, de l’air du temps, l’air de rien, l’air de cette chanson qui passe par là que tout le monde au fond avait dans la tête sans oser se l’avouer et que je me borne à retranscrire.
«Visitation. Car il y a de la spiritualité là-dessous. L’art est avant tout une religion. La religion des gens qui croient à la valeur de l’émotion, du sentiment.
«Les moments de «création» (il vaudrait mieux dire «croyance») sont des sortes d’épiphanies. Quelque chose traverse le cœur et l’esprit. Moment magique. Mais attention, tout va très vite. Il faut savoir se rendre disponible et prêt à recevoir ce moment rare, ce quelque chose de mystérieux qui vient vous visiter.» (…)
Et Bertrand Betsch de conclure : «C’est aussi simple que cela. Écouter, entendre et noter ce que j’entends, très scrupuleusement, sans même parfois chercher à comprendre ce qui m’arrive».
Bref, il convient de réapprendre à écouter notre intuition, de se mettre souvent en situation d’écarter notre raison pour laisser venir à nous cette petite voix qui peut nous être si utile lorsqu’on a un choix complexe à faire. Oui, il faut apprendre à davantage lâcher-prise. Et avoir assez confiance en nous pour suivre son conseil, le moment venu…
Intéressant, n’est-ce pas? Qu’en pensez-vous?
En passant, le théologien suisse Shafique Keshavjee a dit dans Le roi, le sage et le bouffon : «La raison sépare et isole, alors que l’intuition unifie et harmonise»…
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