BLOGUE. Vous avez probablement déjà entendu parler d'Open Innovation, d'Idea contest et autres Crowdsourcing, des termes à la mode en matière d'innovation. L'idée sous-jacente est qu'il peut être bon pour une entreprise de faire appel aux utilisateurs pour trouver des idées vraiment neuves et les concrétiser en produits ou services susceptibles de se démarquer de la concurrence. En effet, qui est mieux placé pour savoir ce qu'il veut comme nouveautés que l'utilisateur lui-même?
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Maintenant, la question qui saute aux yeux est la suivante : qu'est-ce qui peut motiver les utilisateurs à faire part à une entreprise de leurs idées et commentaires? Une réponse jaillit d'elle-même, logique : une récompense, comme une somme d'argent ou un échantillon des produits ou services qu'ils affectionnent. Mais voilà, est-ce bien sûr?
Cette interrogation, trois membres du Groupe technologie et management de l'innovation de l'Université RWTH d'Aix-la-Chapelle (Allemagne), se la sont posée. Elle a fait l'objet d'une étude, intitulée All for the money? The ambiguity of monetary rewards in firm-initiated ideation with users et signée par deux chercheurs, Christoph Ihl et Alexander Vossen, ainsi que par Frank Piller, le directeur du Groupe. Sa conclusion devrait en surprendre plus d'un…
En tout, 1 015 étudiants d'une université allemande ont été invités à répondre à un sondage en ligne, lequel visait à évaluer leur intérêt a priori à participer à un projet d'idéation. Un peu plus de la moitié d'entre eux ont répondu, dont 470 à toutes les questions posées. Cela permettait de savoir ce qui était susceptible de les motiver : l'argent, la notoriété, la satisfaction personnelle, le besoin ressenti pour le futur produit ou service, etc.
Deux mois plus tard, les étudiants intéressés ont reçu une invitation à un tournoi d'idées destiné à trouver de nouvelles façons d'améliorer les services offerts par l'université aux étudiants. Les meilleures idées seraient choisies par un jury composé de membres du personnel de l'université, et les trois meilleures seraient déterminées par le nombre de commentaires faits à leur sujet en ligne. À la clé, des récompenses sous la forme de bons d'achat sur Amazon (300, 200 et 100 euros) pour les trois vainqueurs du tournoi d'idées, et même pour leurs trois plus grands partisans (50 euros pour chacun), à savoir ceux qui auront fait le plus de commentaires en ligne.
Les trois chercheurs allemands ont de la sorte recueilli des données fouillées sur 162 étudiants, qui ont soit soumis des idées, soit commenté les idées des autres. Forts de celles-ci, ils ont procédé à différentes opérations de régression économétriques visant à en dégager les facteurs déterminants de la motivation à innover. Et ce, tant pour ceux qui ont fourni des idées que pour ceux qui les ont critiquées.
Voici ce qu'ils ont trouvé :
> L'argent est le seul moteur des utilisateurs qui émettent des idées neuves. Ce n'est donc pas, comme c'est souvent le cas au sein même des entreprises, d'autres facteurs qui poussent à innover, comme la satisfaction personnelle de voir son idée saluée par les autres.
> L'argent n'est aucunement un moteur pour ceux qui critiquent les idées des autres. Pis, il est même un repoussoir : plus la récompense est élevée, moins les utilisateurs ont envie d'émettre un commentaire (peu importe que celui-ci soit positif ou négatif, bien sûr).
> Le principal moteur de ceux qui critiquent les idées des autres est, en fait, le besoin qu'ils ressentent pour le futur produit ou service en question. Plus on rêve d'avoir un jour ce produit ou service, plus on est disposé à contribuer à sa réalisation.
> Un autre moteur d'importance pour ceux qui critiquent les idées des autres est la réputation. Ceux-ci tireront une grande fierté de révéler à leurs proches et amis que tel nouveau produit ou service a vu le jour (un peu) grâce à eux.
«Les utilisateurs ne sont prêts à faire part de leurs idées neuves qu'en échange d'une compensation, idéalement monétaire. Cela étant, ils sont tout de même disposés à émettre des commentaires sur une idée neuve sans être payés pour ça, mais pourvu que l'idée en question les passionne et que leur contribution soit remarquée et soulignée», résument les trois chercheurs allemands dans leur étude.
Quelles implications pour les managers? Elles sont doubles, me semble-t-il :
1. Si vous voulez obtenir un paquet d'idées neuves et intéressantes, mettez-y le prix. Offrez de belles récompenses sous forme d'argent, et vous les verrez débouler toutes seules.
2. Si vous voulez obtenir des commentaires pertinents sur vos propres idées, ou bien sur les meilleures idées issues des utilisateurs, n'offrez aucune compensation. Au lieu de ça, trouvez un moyen de souligner l'apport de chacun et de faire savoir à tous combien celui-ci vous a été utile : vous pouvez, par exemple, recourir aux médias sociaux pour ça (Facebook, LinkedIn, etc.). À noter que vous pouvez affiner les commentaires, en ne sélectionnant pour ça que des utilisateurs qui ont un grand besoin pour le produit ou service que vous voulez développer.
Voilà. L'argent n'est pas la solution miracle pour l'innovation, pas plus que la satisfaction personnelle d'avoir contribué à une nouveauté. Il convient de jouer savamment sur les cordes sensibles des uns et des autres, de manière subtile, avec doigté.
En passant, le marquis de Vauvenargues a dit dans ses Réflexions et maximes : «C'est la preuve qu'une innovation n'est pas nécessaire, lorsqu'elle est trop difficile à établir».
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